dictionnaire bourbonnais
le parler de Diou
 





ÉLÉMENTS DE GRAMMAIRE
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LE GROUPE NOMINAL.

 

Comme le français standard, le ‘’diouxois’’ connaît deux genres et deux nombres, et les déterminants, les qualifiants s'accordent avec les substantifs, les verbes avec les sujets. Toutefois on vient de voir que l'article indéfini élidé [yn] pouvait exceptionnellement entraîner des changements de genre ; il en est quelques autres ; ainsi, au cours d'un hiver rigoureux, affirmera-t-on qu'il fait "une froid de chien", tandis que le mot "espèce" est couramment masculinisé. On dira aussi que "l'air est froide" et, par un accord de proximité, que "le fond de l'air est fraîche". Et il faut savoir qu’'"une serpent" n'est pas forcément "un vipère". De plus les glissements phonologiques amènent aussi des modifications : "l'horloge", on l'a vu, est devenu "le rloge". Le souci de marquer le féminin d’adjectifs se terminant par un son vocalique amène quelques singularités : joli - jolite, gai - gaite, gentil - gentite, poilu - poiluse, etc., alors que, au contraire, ‘’la Loire est traître’’. Et ‘’nain’’ donne ‘’nine’’. La dérivation en "erie" à partir d'un adjectif, indiquant qualité (ou défaut), existante en français (pingrerie, ladrerie) est usitée dans le parler local ("bredinerie", "tortinerie") mais est plus fréquente à partir de verbes ("pouffinerie", "piounerie", "traînerie") et se rencontre au moins une fois à partir d'un nom en prenant un tout autre sens ("curasserie")

 

Pour former les adjectifs qualificatifs, le langage local pratique les modes usuels de dérivation. Mais certains sont privilégiés. Le suffixe dépréciatif, sinon toujours péjoratif, "aud" est de ceux-là. On peut être, comme ailleurs, rougeaud, soûlaud ou courtaud ; naïf, on est "brelaud" ou "breluraud", simple d'esprit "bredignaud" ; on se méfie des "mendigauds" et des "saccarauds". La désinence "ard" indique l'habitude et le goût : un "fêtard" est aussi un "amusard" ; un bagarreur est "battiard" et un séducteur impénitent est réputé ‘’queutard’’. Le suffixe "eux", traduisant qualité ou plus souvent défaut, devient "oux". Un enfant pleurnichard est décrété "couinoux", un homme bedonnant est "beuillassoux" ; les "reutoux" (ou "reuilloux") seraient bien inspirés de se décrasser, mais un "crassoux" n'est pas forcément sale : ce peut être aussi un individu malhonnête et peu recommandable. Pourtant un enfant qui manifeste fréquemment son affection est "amitieux" et non "amitioux", même s'il traduit ses sentiments par des baisers, ce qui fait de lui un "bichoux", voire "un "bichouilloux" ou un "lechoux" !

 

Les articles n'appellent pas de remarques lorsqu'ils déterminent des noms communs. A ceci près que, dans certaines expressions, l'un peut remplacer l'autre : on dira d'une oie qu'elle "tend du cou" pour attraper de la salade. Mais, comme dans tout le centre de la France, ils s'emploient systématiquement devant les noms propres de personnes. "Dans mon jeune temps" je n’ai jamais entendu évoquer un autre enfant ou un adulte sans que son prénom - ‘’son petit nom’’ -, suivi ou non de son patronyme, soit précédé de "le" ou "la". "Le Roger Moulois" et "le Loulou Gaume" étaient moins diables que "le Guy Raymond". "L’Alain" et "le Lili" étaient du même âge ... et le sont toujours. Et "le René" n'avait pas quinze ans qu'il fréquentait déjà "la Paulette".

 

Mais si l'article ainsi placé devant le prénom n'a pas de valeur sémantique particulière, il n'en est pas de même lorsqu'il précède immédiatement le nom de famille. Du moins au singulier, car on dira volontiers que "les Granger" sont du bon monde. En revanche appeler quelqu'un "le Jaunon" ou "la Galichet" est dépréciatif ; on marquera d'ailleurs encore plus fortement son mépris si l'on précise : "le vieux Jaunon" ou "la vieille Galichet", quel que soit d'ailleurs l'âge de l'intéressé(e). Les sobriquets - on ne dit pas les surnoms -, quand ils ne comportent pas d'article dans leur libellé, peuvent ou non être précédés de "le" ou "la", au gré du locuteur. L'aîné de la famille Denizon, pendant plusieurs générations, a été surnommé "Fayette" ; mais parler de lui en disant "le Fayette" n''avait pas de connotation spéciale.

 

Il arrive que, pour désigner les habitants d'un village, on utilise le nom de celui-ci précédé de l'article "les" : ainsi dira-t-on que "Les Beaulon, faut pas s'y fier : y'en a gros que valent pas cher". Peut-être est-ce un raccourci de "les gens de Beaulon", mais plutôt sans doute de ‘’les de Beaulon’’, forme équivalente à "ceux de Beaulon" que nous verrons plus loin ; toujours est-il que cette tournure peut fournir un éclairage, original pour notre notre région, sur le processus général qui aboutit à transformer un toponyme en patronyme. Enfin la forme contractée ancienne "ès" (dans les) qui a subsisté dans quelques noms de localités (Riom-ès-Montagnes dans le Cantal, Méry-ès-Bois dans le Cher,) s'emploie à la place de "aux", non seulement devant des noms pluriels de lieux-dits : "Les Bouiller demeurent ès Rodillons", "Les Minard ont été longtemps ès Prats", mais aussi plus généralement ("C't'après-midi faut que j'aille ès patates" - "C'est pas croyable c'que j'a mal ès reins" - "J'a seulement pus rien à me mettre ès pieds").

 

Le seul adjectif possessif à présenter une particularité est celui de la troisième personne du pluriel : leur(s) devient, comme le pronom personnel identique, "ieu(x)" ou ‘’leu(x)’’: "Les Mâchuret m'ont dit qu'ils sont brouillés avec ieu gars, mais moi je veux pas me mêler de leux affaires."

 

Les adjectifs démonstratifs se singularisent davantage.

"Ce", généralement élidé en "c'" s'emploie aussi bien devant un nom féminin que masculin pourvu qu'il commence par une consonne ; mais il devient très souvent [stə] ; on dira donc à peu près indifféremment "ce gars", "ce gatte", ou "[c'tə] gars", "[c'tə] gatte". Mais la forme [st], qui se substitue à "cet" et "cette", est seule admise devant une voyelle : "c't' affaire", "ct' homme". "Ceux" est la forme plurielle commune : "ceux gars", "ceux gattes", "ceux hommes", "ceux affaires".

 

 

 

Le parler local utilise volontiers la forme emphatique "ce ... -là" : "Ce gars-là - ou "[ste] gars-là" est pas feignant". En revanche "ce ... -ci" est totalement inconnu, suivant en cela le sort de l'adverbe "ici" généralement supplanté par "là".

 

Les adverbes en effet présentent quelques particularités.‘’Donc’’ mérite de figurer dans cette rubrique, tant il est fréquemment employé après un verbe soit comme renforçatif : ‘’Dis me donc c’que te boules, ça te soulagera’’, soit comme simple explétif : ‘’Va donc là v’où qu’ te veux !’’. On use aussi très souvent de ‘’voire’’, avec une valeur d’insistance, après un impératif : ‘’Ecoute voire (ou viens voire), gars, que j’te dise quelque chose’’. On ne craint pas même de combiner les deux : ‘’Approche donc voire si t’es pas feignant !’’. Le diouxois a conservé, avec tantôt le sens de ‘’assez’’, tantôt celui de "beaucoup", l'ancien terme "prou" que le français n'utilise plus que dans l'expression "peu ou prou" : "J'ai prou soif" - "Des topines, c't' année, j'en ai prou". Dans cette famille de mots comme dans les autres, certains termes sont inusités, d'autres sont employés dans un sens qui n'est pas, ou n'est plus, le leur en français. Ainsi on utilise la locution "là et là" pour signifier la fréquence d'un fait dans le temps ou dans l'espace : "Le chetit commence à peine à marcher, il tombe encore là et là.". "Mêmement" a le sens de "vraiment", "réellement" : ‘’On dirait mêmement qu'il cherche à prendre un mauvais coup’’ et celui de "précisément", "exactement" : ‘’Le feu a pris mêmement comme j'arrivais" ; on trouvera quelques autres exemples de ces singularités dans la rubrique "expressions préférentielles".  A signaler l'emploi antonymique de "beaucoup", dans l'expression "savoir beaucoup", qui a le sens de "n’être absolument pas certain" : "Ils disont au poste que les Boches avont pris Moscou, mais on sait beaucoup si c'est vrai ...’’

 

Les prépositions ne sont pas originales ; tout au plus substitue-t-on aisément "dedans" à "dans" : "Mets-me donc ceux pierres dedans c’te trou". "Sus", forme locale de "sur", peut avoir le sens de "sur le domaine de" ; ainsi dira-t-on qu'on est passé "sus Goulinet" pour aller quelque part. Notons que "de" a le sens de "par" dans l’expression "s’y prendre de ruse"  ou bien "être mangé des côs", "piqué des vers" et de "pour" dans la formule  "pas être en retard de …" : "J'sus pas en retard de manger des radis : j'ai pas attendu le mois d'avril pour en ramasser" ; "à" remplace "de" pour indiquer l'appartenance ("le bateau à Ducluzeau", "le gars au René") et peut dans quelques cas se substituer à "pour" : "Le Pierre était pas chez lui, si bien que j'ai fait mon chemin à rien". On pourrait encore prétendre que "au" à la valeur de "chez le (ou la)" puisque l'on va "au coiffeur", "au dentiste", "au boucher" ; mais il s'agit plutôt d'un phénomène de métonymie, courant dans tout langage populaire : le métier désigne le lieu où on l'exerce.




LES FORMES PRONOMINALES.

 

La liste des pronoms personnels peut surprendre le lecteur étranger au Bourbonnais :







Personne

Sujet

Objet direct

Objet indirect

Attribution - Apposit.

 

Singulier

Pluriel

Singulier

Pluriel

Singulier

Pluriel

Singulier

Pluriel

Première

je (j')

je (j')

nous

me (m')

nous

me (m')

nous

moi

[mwé]

nous

(autres)

Seconde

te (t')

vous

te (t') ou tu

vous

te (t')

vous

toi [twé]

vous

(autres)

Troisième

masculin

il (i)-al (a)

{ol (o)}

is(i) - as (a) - os(o)

le

les

li ou lu

leux ou ieux

soi

[swé]

eusses ou ieux autres

Troisième féminin

al (a)

 

as (a)

la

les

li ou lu

leux ou ieux

soi

[swé]

eusses ou ieux autres

Troisième neutre

ça

 

y

y

y

 

ça

 






Ainsi dira-t-on, par exemple : "je nous sons ben amusés (avernés, promenés, ...)" ou bien : "Amuse-tu pas avec ça, donne me-z-y". Passons sur la substitution, usuelle en langage populaire, de "ça" à "il" neutre : "Ca va pleuvoir. - Ma foi non, ça va pas pleuvoir, ça pleut déjà !" Systématique devant les verbes évoquant les phénomènes météorologiques, elle se pratique aussi avec "devoir", "pouvoir", mais non avec "falloir". Parfois on fait purement et simplement l’économie de ce pronom : "Pourrait ben pleuvoir ! "Ce", quand il ne s'élide pas, fait place à "ça", aussi bien comme sujet ("Si te tombes malade, ça sera pas volé, à sortir dans le froid sans rien") que comme complément : "Faut pas croire tout ça qu'on te dit".

 

On constate la coexistence de deux formes à la première personne du pluriel sujet : "J'ons - ou nous ons - guère de sous" dira un paysan peu argenté. Mais s'il emploie la forme verbale "avons" il n'aura pas le choix et ne pourra dire que "j'avons". La troisième personne du singulier est riche en possibilités valables pour les deux sexes : il, al, ol; toutefois la forme "ol" est moins usitée et trahit une origine bourguignonne ou morvandelle, ou une contamination de même provenance. De toute façon, le "l" s'élide devant une consonne : "il a", mais "i va". La seconde personne a la même forme "te" pour sujet et complément, sauf dans le cas d'un verbe pronominal à l'impératif : "tais-toi !" se traduit par "apaise-tu !". Le complément indirect à la troisième personne présente des formes originales ; le choix entre "li" et "lu", substituts de "lui", est possible dans certaines occurrences : J'vas li (ou lu) foutre ma main sus la gueule", mais n'est pas toujours possible : "Va li dire (et non pas lu dire) de venir me voir". A l'inverse les deux formes plurielles "leux" ou "ieux" seraient admises dans les mêmes formules, avec toutefois une préférence pour la seconde : "Va ieux y dire que j''vas ieux y foutre ma main sus leux gueules".


C'est ici le moment de signaler l'utilisation du pronom "y" dans le cas d'un double complément pronominal direct et indirect. "Va le lui dire" se décline "Va l'y dire". On pourrait supposer qu'il ne s'agit que de la forme locale "li" de "lui", la langue orale courante faisant volontiers l'économie du complément direct "le" ("Va donc lui dire"). Mais le passage au pluriel nous détrompe : "Va ieux y dire". Au reste "y" est un pronom complément passe-partout qui peut aussi bien remplacer, lorsqu'il évoque un nom commun, "le" que "la" ou "les" : d'un panier, d'une lessiveuse ou de "tavelles" de bois, on dira "C'est pas ben lourd, j'vas ben y porter jusqu'à la maison". Il prend aussi systématiquement la valeur du "le" neutre : "Si al est pas content, al a qu'à venir m'y dire".

 

Enfin on relève que, en situation d'apposition ou d'attribution, la forme ancienne "soi" [swa] [swé] subsiste là ou le français emploie "lui" ou "elle" : "Soi, c'est pas un feignant (une feignante) !" - Moi, j'ai pas besoin de tomates, t'as qu'à les donner à soi qu'en a guère". La même forme se retrouve au présentatif : "C'est pas moi, c'est soi qu'est malade". Ma grand'mère, dans son jeune temps, s'était rendue chez le sabotier du village pour se faire fabriquer une paire de sabots ; l'épouse de l'artisan appela son mari : "Vincent, viens voire ! c'est la Jeanne, c'est soi qu'a le pied gros !" ... Quant aux pronoms pluriels compléments ou apposés, il sont généralement renforcés par l'adjonction de l'indéfini "autres", prononcé [o:t]: "Nous autres, on a pas les moyens comme vous autres" - "Eux autres (ou ieux autres), c'est du monde qu'est pas de bruit."

 

Les pronoms relatifs se signalent par la polysémie étendue de la forme "que", fréquemment élidée en "qu'" même devant une consonne. On ne l'utilise pas seulement comme objet : "le panier qu'te portes est ben trop lourd pour une chetite gatte comme toi !" Mais c'est aussi la forme normale du relatif sujet : "Le Marcel, c'est pas un gars qu’s'occupe des autres". Il remplace également les pronoms compléments de nom "dont" et "de qui" : "l'affaire (ou l'homme) que je te cause" et, aux deux genres comme aux deux nombres, les pronoms relatifs composés "à qui", "de quoi", "auquel", "desquelles", "par lequel", etc. : "J'connais seulement pas l'homme que j'ai demandé mon chemin" - "J'sais pas la raison que la dispute s'est emmanchée".

 

Les pronoms démonstratifs constituent une famille particulièrement intéressante.

Ceci est inusité et "ça" remplace systématiquement "cela" : "On raconte ci et ça ; les uns disent d'une façon, les autres d'une autre.". "Ca" se rencontre aussi - et cet emploi me paraît original - antéposé à quelques rares adjectifs qualificatifs, dans ce cas invariables, évoquant des personnes avec des connotations affectives variées : "ça vieux", sauf dans une occurrence humoristique, est nettement péjoratif. "Ca pour vieux" et "ça pou(r) chetit" impliquent au contraire une nuance de commisération, "ça chetit" de tendresse amusée. "Ca chetit, regardez-moi si c'est gentil !" - "Ca vieux, ça vaut pas cher ..." - "Ca pour vieux, ça serait mieux en terre qu'en pré" (entendez "mort que vivant"). L'invariabilité du qualifiant permet de supposer que ces formes apposées emphatiques sont des raccourcis de "ça qu'est vieux (chetit, pour vieux, pour chetit)".

 

"Celui" se simplifie en "çui" (plus fréquemment "çui-là" - et jamais "çui-ci") ; "Ceux" (fréquemment "ceux-là") prend aussi la forme "ceusses", ou "les ceusses" ; les jeunes de Saligny, fiers de quitter leurs sabots les jours de fêtes, chantaient jadis :

"Les ceusses qu'avaint des bottes, i(l)s savaint s'amuser ;

Les ceusses qu'avaint point d'bottes, i(l)s s'amusaint pas si ben tant seulement !"

 

Typique de notre région est l'emploi comme pronoms démonstratifs de "le", "la", "les" aux lieu et place de "celui", "celle", "ceux". Occupé à couper du bois avec l'aide d'un voisin, on lui dira : "M'faudrait une grosse cognie, donne-me donc la qu'est sus le plot." Voici un jardinier embarrassé : "J' sèmerains ben de la salade, mais il me reste pus de graine ; te peux pas me donner de la qu't'as fait l'année dernière ? ou donc ben de la des moines qu'est si bonne ?" Si le bruit court que les métayers d'un domaine vont déménager, on rapportera : "I(l) paraît que les des Davaux vont faire la Saint-Martin." Ou bien, évoquant la fameuse épidémie de "grippe espagnole" de 1917, un ancien rapportait : "Y'en a gros qu'y sont restés ; et les qu'en ont réchappé, ils ont mis du temps à se repaumer." Parallèlement, "des" prend fréquemment, en évoquant des personnes, la valeur du pronom indéfini "certains" : "Y en a des que sont tout le temps en train de se plaindre.". Notons aussi la redondance ″tout chacun″ pour ″chacun″.

 

L'inversion simple du sujet "Vas-tu à la foire ?" est inusitée. La forme la plus commune est purement intonative : "Te vas à la foire ?". Renforcée par l'explétif "t-il" prononcé [ti] : "Te vas-t-i(l) à la foire ?", elle prend une valeur d'insistance, d'impatience et presque de menace, surtout si elle s'accompagne de l'adverbe "bien" ([bɛ̃]) : "Te vas-t-i(l) ben m'écouter une bonne fois ?"

 

De même que "est-ce ... ?" devient "c'est-i(l) ...? : "C'est-i(l) mon Dieu possible ?", la tournure "est-ce que ... ?" prend chez nous la forme "c'est-i(l) que ... ?" : "C'est-i(l) qu'te vas à la foire ?" C'est pratiquement la seule admise si le sujet n'est pas un pronom : "C'est-i(l) que le Glaude et la Marie vont à la foire ?". Elle marque fréquemment une nuance d'étonnement, en particulier si le verbe est au conditionnel : "Ca serait-i(l) qu'te vas à la foire ?" ou si cette interrogation est légitimée par une subordonnée consécutive :"C'est-i(l) qu'te vas à la foire que t'es habillé beau ?" La forme interro-négative connaît les mêmes avatars : "Te vas-t-i(l) pas me fout' la paix ?". "N'est-ce pas  ... ?" devient "C'est-i(l) pas ... ?" : "C'est-i(l) pas malheureux de voir des horreurs pareilles ?", formule dans laquelle la valeur exclamative prend le pas sur l'interrogation pure et simple.

 

 

 

 

Comme certaines conjonctions de subordination, les pronoms et les adverbes interrogatifs sont systématiquement  enrichis d’un ‘’que" suivi de la forme affirmative : "Qui qu'est là ?", "Là (v)où que te vas ?", "Quand que te vas revenir ?", "Comment qu'ol a fait son compte ?", "Pourquoi donc que te me causes pus ?". "Quand que vous revenez ?", ou même d'un "que c'est-i(l)?" : "Quand que c'est-i(l) que vous revenez ?" - "Comment (que c'est-il) qu'ils ont fait ieu compte ?" - "Là-v-où donc (que c'est-il) que t'as trouvé ton plant de patates ?". Pour sa part, le "qui ?" du français standard est souvent renforcé du présentatif : "C'est qui qu'est là ?". "Qui est-ce qui ... ?" devient "qui que c'est que ... ?" (Qui que c'est que vint ?) ou "C'est qui que ... ?" ("C'est qui qu' vint ?"). "Qui" se substitue aussi à "que ?" ou "qu'est-ce que ?" ("Qui que te dis ?") ; dans ce cas l'usage du présentatif donnera "Qui que c'est que te dis ?". "Que ?" est plus rarement remplacé par "quoi ?" ("Quoi qu'o(l) fait qu'o(l) vint pas ?) mais on préférera ‘’Qui que c’est qu’o(l) fait qu’o(l) vint pas ?’’

 

"Pourquoi" s'accommode moins bien du "que c'est-il" ; on peut certes dire ‘’Pourquoi que c’est-il que le Toine te cause pus ?’’ mais on se bornera aisément à "Pourquoi donc que le Toine te cause pus ?". à moins que l'on n'emploie la formule "à cause que ?" : "A cause que te veux pas venir au bourg avec moi ?" ou, ce qui implique aussi soupçon et reproche, "par quelle (donc) raison" : "Par quelle donc raison que te me fais la gueule ?". ‘’ "Pourquoi’’ a, il est vrai, de nombreux substituts comme ‘’qui faire ?‘’ : ‘’Qui faire que te t’es levé si bonne heure ?’’, ou ‘’comment que ça se fait ?’’ :’’Comment que ça se fait que t'as pas encore semé ton orge ?’’

 

Les mêmes locutions sont employées dans le discours interrogatif indirect : "Mon père m'a demandé quand que c'est que vous allez revenir" - "Faudra me faire voir comment que te fais pour affûter une scie". Dans ce mode de construction, "qui" peut se substituer à "quoi" : "La Berthe, elle sait pas qui faire pour rendre service à sa bru". ‘’Qui’’ se substitue également, au style interrogatif indirect, à "ce" antécédent : "Dis-me voire qui que te veux, à la fin !" On peut retrouver alors ‘’qui faire que ?’’ ("Je sais pas qui faire que t'as été t'enverrer dans ce chemin qu'est pas passable’’). En revanche l'interrogation conditionnelle ne présente pas de forme particulière : ‘’Faudra me dire si te veux de la graine de raves".


LES SUBORDONNEES CONJONCTIVES

 

L’adjonction d’un ‘’que’’ à la conjonction de coordination, qui est de règle dans la construction des complétives interrogatives indirectes, se retrouve dans un bon nombre de subordonnées circonstancielles. Pour les temporelles, ‘’quand que’’, bâti sur le même schéma que l’inusité ‘’lorsque’’, est l’introducteur le plus fréquent : ‘’Quand que t’airas fini, te m’y diras’’. Comme en français standard, ‘’après que’’ commande l’indicatif (passé composé ou futur), et ‘’avant que’’ le subjonctif : ‘’Te revindras ben me voir avant que te t’en alles ?’’; mais on préférera ‘’avant de t’en aller’’ ; on dit ‘’sitôt que’’ et non ‘’dès que’’. Les complétives de lieu commencent non par ‘’où’’ mais par ‘’là v’où qu’ ‘’ : ‘’Quand que te partiras à l’armée, faudra ben que t’alles là v’où qu’ils t’enverront.’’. ‘’Tant que’’ peut avoir valeur temporelle, préféré à ‘’pendant que’’ : ‘’Tant qu’il cause, il travaille toujours pas’’ ou comparative, préféré à ‘’autant que’’ : ‘’Il en fait pas tant qu’il en dit.’’

 

A noter que les conjonctions ‘’or’’ et ‘’car’’, curieusement dites de coordination alors qu’elles introduisent une notion de dépendance entre les énoncés qu’elles unissent, sont ignorés des Diouxois. La cause s’indique par ‘’parce que’’ [pask] mais aussi par ‘’à cause que’’ ou ‘’cause que’’ : ‘’J’sus en colère à cause que le Jacques est pas veni me voir pendant sa permission’’ ; à ‘’puisque’’ [pisk] on préfère souvent ‘’du moment que’’ : ‘’T’es pas un menteur : du moment qu’ t’y dis, j’te crois’’. La conséquence se marque par ‘’si tellement ... que’’ : ‘’La Berthe s’est si tellement goinfrée que ça li a porté au coeur’’ ; de même "au cas où" est remplacé par "en cas que". ‘’Quoique’’ et ‘’bien que’’ n’ont pas droit de cité dans notre langue, qui a conservé l’ancien ‘’malgré que’’ condamné par les puristes : ‘’Malgré qu’il y a pas tombé de pleue depis quasiment un mois, c’est pas encore la grosse chesseresse.’’

 

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UN MOT DE CONJUGAISON.

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Les temps les plus couramment employés sont le présent, l'imparfait, le passé composé et le futur 2 (composé avec l'auxiliaire "aller") de l'indicatif, le présent du conditionnel et celui de l'impératif. Le passé simple est pratiquement inconnu, comme le passé antérieur ; le futur simple, le plus-que-parfait et le futur antérieur, le subjonctif présent ne s'utilisent que rarement ; on rencontre chez certains locuteurs le passé surcomposé, qui indique une action définitivement achevée mais qui a duré dans le passé ("Dans ton jeune temps, t'as ben eu travaillé ès carrières ?"). Dans le langage oral les verbes les plus employés sont les auxiliaires être et avoir et de nombreux verbes du troisième groupe comme dire, faire, voir, aller, venir, pouvoir, vouloir, savoir, etc. et bien sûr de nombreux verbes du premier groupe évoquant les activités de la vie courante. On trouvera en annexe un tableau présentant la conjugaison de quelques verbes parmi les plus usités ; mais, pour ne pas donner à cette partie de notre recueil un volume démesuré, on s'est borné à y faire figurer les formes verbales qui diffèrent sensiblement de celles du français standard.

 

Le souci de simplification se retrouve : à l’indicatif présent, les trois personnes du singulier d'avoir et aller ont les mêmes formes, respectivement [ɑ] et [vɑ]. Une autre de ses manifestations concerne la conjugaison des verbes du troisième groupe au subjonctif présent : les personnes du singulier sont fréquemment formées sur le radical sans lui faire subir de changement : avoir peut donner "que j'aye" prononcé "aiye" [ej]comme "que j'ave"; mais aller n'e connaît que la forme "que j'alle", vouloir "que j’voule", pouvoir "que t’pouves", faire "qu'i(l) faise", prononcé [fəz] et non [fez], etc. Il en va fréquemment de même du participe passé "pouvu" de pouvoir, "mettu" de mettre, "vivu" de vivre, "peindu" de "peindre’’. On notera que les verbes du troisième groupe terminés en "re" ont leur participe passé en "u", même quand ce n'est pas le cas en français : "disu", "faisu", "naissu", "lisu", "craignu",... à la curieuse exception d’ ‘’entendre’’ et ‘’répondre’’ : ‘’C’est p'têt qu' te m’as pas entend qu’ te m’as pas répond ?’’  Les verbes du même groupe terminés en "ir" se partagent : on dit "sentu", "mouru", "bouillu", "sortu" mais "offrit" ("offrite" au féminin). La même préoccupation a sans doute guidé le passage de certains verbes du troisième au premier groupe. C’est le cas de verbes anciens tels "se mouvoir’’ devenu "se mouver", "se douloir" devenu ‘’se douler", et de quelques-uns encore fréquemment usités comme "servir": ‘’Quand on est vieux, on serve pus à rien." On peut aussi rencontrer ‘’sentre’’ au lieu de ‘’sentir’’. Aux personnes du singulier de l'indicatif présent, on conserve le son [j] des verbes en "ayer", "oyer", "uyer" : j'essaye prononcé [Jesej], t'envoyes [tɑ̃ waj], i(l) s'ennuye [isɑ̃ nvj]. On notera encore la double désinence ‘’ais’’ [ɛ] et ‘’ains’’ [ɛ̃] de l’indicatif imparfait et du conditionnel présent aux personnes du singulier.

 

A la différence du français standard mais conformément à l'usage du latin, le verbe d'une proposition subordonnée complément de condition se met au conditionnel comme celui de la proposition principale : "Si t'y aurais pensé, te m'aurais rapporté du tabac." 

 

S'agissant des temps composés de certains verbes, les auxiliaires "être" et "avoir" sont pratiquement interchangeables ; le même locuteur peut dire "t'as tombé" ou "t'es tombé", "j'a venu" et j'sus venu", "j'ons été" et "j'sons été". ("Etre" aux temps composés a aussi bien le sens d'aller que celui de verbe d'état).

 

Qu’on nous permette, en écho à la remarque précédente, une dernière observation, mais essentielle. Ces formes, celles de la phonologie comme celles de la morpho - syntaxe, n’ont rien de rigide ni d’absolu : tel locuteur dit ‘’j’ai’’, et prononce [ɛ] les finales ‘’ait’’ de l’imparfait et du conditionnel, tel autre dit ‘’j’a’’, et en est resté au [ɛ̃] (‘’aint’’) ; l’un [fərgon] et [gərlon] quand l’autre [fərgun] et [gərlun]. Ils se comprennent pourtant, même si aucun grammairien n’a légiféré pour décréter des règles et imposer une norme  C'est le charme des parlers locaux ...








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