dictionnaire bourbonnais
le parler de Diou
 




 

FAÇON DE PARLER :
LA PRONONCIATION

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Lorsque j'étais étudiant à Paris et que je revenais au pays, le parler des voyageurs montant dans le train à partir de Nevers me signalait l'approche du Bourbonnais. Ils avaient l'accent traînant que l'on attribue aux "ch'tits gars de l'Allier". En effet la plupart des sons vocaliques accentués sont longs et fermés, notamment le [E] : "tête" et bête" s'énoncent "tét" [tet] et "bét" [bet], "même" devient "mém" [mem], on prononce ‘’poulet’’ "poulé" [pule] ; ‘’être à son aise’’ se dira [etasɔ̃nez] ; dans certains cas pourtant le [E] accentué reste quelque peu ouvert : on transporte un tonneau de [bwet] (‘’bouette’’ = mauvais vin) sur sa [bәrwet] (brouette). Chez certains le [ɔ] de "mort" ne se différencie pas - et chez les autres peu - du [o] de ‘’mot’’; et si l'on distingue les deux [A] ouvert et fermé de "patte" [pat] et "pâte" [pɑt], le [A] accentué se rapproche plus souvent du second que du premier. Mais l'accent tonique est erratique,  parfois toutes les syllabes sont prononcées avec une égale intensité ; dans la transcription phonétique du [A] initial j'ai choisi de privilégier la variante fermée [ɑ] ; mais la plupart de mes locuteurs de référence émettaient un son intermédiaire : ainsi "abateleur" que j'ai transcrit par [ɑbɑtlœr] aurait pu l'être aussi donc par [abɑtlør]. En tout cas la fermeture du [A] est systématique en position finale devant un [r] : on peut voir des [lizɑr] quand on fauche au [dɑr] ; cela se retrouve au coeur d’un mot : si on reste coi, on ne peut pas "débâiller" [debɑje] une parole. Les voyelles non accentuées ont tendance à s'affaiblir, ainsi le "é" fermé noté [e] évolue vers un  "e" faible noté [ә] : "lécher" devient [lәSe], "bêler" [bәle], "pannet" (pan de chemise) [pəne], mais parfois le [e] devient [a] comme dans ''chercher'' prononcé [SarSe] ou [sarSe]. Si le "eu fermé" accentué de "feu" ou "nœud" noté [ø] est nettement marqué et plutôt long, le ''eu ouvert" de "peur" et de "meuble" symbolisé par [œ] se confond pratiquement chez certains locuteurs avec un [ә] faible, alors que d'autres le font nettement sentir en l'allongeant. On élide ce même [ә] faible quand il est précédé d'une consonne sourde : [pti] pour "petit" et [Sti] pour "chetit", [Svø] ou [Svod] pour "cheveu" ou "chevaude" (jument), [ptet] pour "peut-être", [memmɑ̃ ̃̃] pour "mêmement" ; la semoule devient de la [smuj]. C'est vrai aussi après un [l] : [malrø] pour "malheureux" et un [r] comme dans renard [rnɑr] ou regarder [rgarde]. Ou bien il est rejeté après deux consonnes qui devraient normalement l'encadrer : [stә] au lieu de "cet" (on évoquera plus loin les avatars des démonstratifs). Enfin la succession rapprochée de plusieurs "e" faibles entraîne des élisions en cascade ; s'il y en a deux, on a le choix ; "te me dis" peut s'énoncer [tәmdi] ou [tmәdi], "ça que te dis" [sɑktәdi] ou [sɑkәtdi]. S'il y en a trois, on ne fait généralement entendre que le second : "ça que te me dis" devient [sɑktәmdi]] - mais certains préfèrent [sɑkәtmәdi] ! D'autres voyelles subissent quelquefois le même sort : ainsi "raccommoder" devient [rakmɔde].

Comme en d'autres régions, la diphtongue "oi" dans une syllabe accentuée a longtemps conservé son ancienne prononciation"oué" [we] que le français standard a abandonnée pour le "oua" [wɑ] : voilà soixante ans, des personnes âgées, nées peu après le milieu du dix-neuvième siècle, disaient encore "moué" [mwe] pour "moi", "fouère" [fwer] pour "foire", "bouête" [bwet] pour "boîte", Il faut toutefois noter que cette habitude avait déjà régressé à la génération suivante, même si les brebis sont restées des "oueilles" [zwej] et non des ouailles [zwaj] et si l'on continue à distinguer le "pouêle" [pwel] (poêle) du [pwal] (poil). Certains locuteurs préfèrent cependant le [e] au [we] : C’est à mé qu’te dis ça ?″ - "je crais’’ [ζkre] pour "je crois’’, "dret" [dre] pour "droit". S'est conservée au contraire, dans des syllabes non accentuées et devant certaines consonnes, l'affaiblissement du "oi" [wɑ] en «o » ouvert [o] comme dans la "moitié", la "poitrine" ou la "poignée" prononcées respectivement «motié» [motje], «potrine» [potrin] et «pognée» [poñe].

La prononciation [u] du "o" ouvert : "nout" [nut] pour "notre", "poume" [pum] pour "pomme", "houmme" [um] pour "homme", "mourciau" [mursjo] pour ‘’morceau’’ a régressé également ; elle se rencontre encore de nos jours dans quelques mots comme "bounhoumme" qui signifie "paysan", car elle subsiste pour le son "onne" [ɔn] prononcé [un] comme dans "guerlouner" [gәrlune] pour ‘’grelonner’’, "viouner" [vjune] pour ‘’vionner’’... En revanche l'intercalation d'un [j] devant le [o] accentué en position finale, qui faisait dire [sjo] pour "seau", [vjo] pour "veau", [mursjo] pour ‘’morceau’’, [rysjo] pour "ruisseau’’, a bien résisté : aujourd’hui encore, si on n’a plus le temps de jouer du [flytjo] (‘’flûtiau’’), il arrive qu’on mange un [Sɑ̃tjo] (‘’chantiau’’) de pain accoté aux [bartjo] (‘’bartiaux’’) du char.

La tendance à simplifier, commune à toute langue populaire orale, est générale en Bourbonnais et a pour effet l'affaiblissement ou la disparition pure et simple de consonnes, notamment [l] et [r]. C'est ainsi que "plus" se prononce "pu" [py], "quelque" "quiéque" [kjek], "parce que " "pasque" [pask] ;on coupe les "âbres" [ɑbr] et non les arbres, on "sâque" [sɑk] ses "quat'" [kat] topines au lieu de les sarcler, les femmes vêtues d'un tablier portent un "tâbié" [tɑbje] devant la "potrine" [potrin]. Le [l] disparaît dans les mots se terminant par ‘’able’’, ‘’ible’’ : "C'est pas [posib] d'être si peu [servɑb]. Il en est de même du [r] précédé d’une autre consonne et suivi d’un [e] muet : "être" se dit "ét" [et] ;on va "mette" [met] une "lette" [let] à la poste et "un’aute couvéque" [ynotkuvek] "sus" [sy] une casserole. "Vers", qui signifie également "chez", se prononce "vé" [ve] devant une consonne ("Pourquoi donc que vous venez jamais vé nous ?") et [vez] devant une voyelle ("si te vas vé z'eux, donne ieux y le bonjour"). On verra que le pronom personnel "il" s'affaiblit en [i] devant une consonne. Même en tête de phrase, "donc" se dit [dõ]. Le [f] final suivant le son"eu" ne se prononce pas : on dit "neu" [nø] pour "neuf", "un beu" [ɛ̃bø] pour "un boeuf", une"oeu " [ynø] pour "un oeuf".  


Le souci de faciliter l’énonciation - plutôt sans doute qu’une préoccupation d'ordre euphonique - n'est pas étranger à l'usage de biais pour éviter certains hiatus. Ainsi, on ne prononce pas deux chuintantes successives : chercher devient "sarcher" [sarSe] et changer "sanger" [sɑ̃ ζe] ; pour éviter le rapprochement de deux [a], on a recours à l'intercalation d'une consonne : "j'ai encore trois rayons de patates à n'arracher", Autres exemples : "de loin z'en loin, "un gars comme ça, fie-toi z'y pas !", ‘’te vins-t-i(l), oui v’ou non ?’’, "i(l)s étaint neu v'ou dix". Alors que le français ne s'offusque pas de la rencontre du [ɑ] et du [u] dans "là où", le bourbonnais dira "là v'où". Mais paradoxalement on ne craindra pas la rencontre de deux [i] dans une conditionnelle : "Si i(l) t'y a dit, c'est que c'est vrai". En revanche la diérèse est systématiquement évitée : "panier" se prononce "pagner" [pañe] comme "saigner", le verbe "manier" donne [mañe] y compris quand on le conjugue : "ça me manie" fait [sammañ] Et systématiquement les mots en ‘’neau’’ se prononcent "gnau" [ño] (et non "niau" [njo] ) : "traîgneau" [treño] pour ‘’traîneau’’, embeurgneau" [ɑ̃ bәrño] pour ‘’embreneau’’, et "mouégneau" [mweño] ou "mougneau" [muño] pour "moineau’’, le plus répandu des "zouziaux" [zuzjo].  Dans le même ordre d'idées,"nuage" se prononce [nЦaζ] comme "nuit" [nЦi]. C'est que la loi de la simplification prédomine : "ne t'étonne pas" devient "tonne-te pas" ; combinée avec l'interversion du [ə] faible, elle donne "méqueurdi" [mekərdi] pour "mercredi" et même un "rloge" [rloζ] pour une "horloge". Mais elle n'est pas systématique, sinon on n'irait pas déclarer une naissance à la "mairerie" ! De même les ronces se compliquent en "éronzes", les "chardons" en "échardons" et la conjonction "quand" se prononce "quante"̃ [kɑ̃ t] y compris devant une consonne : "quand tu iras" s'entend [kɑ̃ ttirɑ] à moins qu’on n’intercale un "que" prononcé [k] : [kɑ̃ ktirɑ]. Le phonème [l] placé entre deux consonnes se transforme fréquemment en "ill" noté [j] : une estafilade constitue non une balafre mais une "baillafe" [bajaf] ou "baillâfe" [bajɑf].

Une autre caractéristique réside dans une interversion de sons : dans le corps d’un mot, le [ə] faible normalement précédé de deux consonnes dont la seconde est un [r] est systématiquement intercalé devant celui-ci et, selon l'accentuation et l'usage, se transforme ou non en un [œ]. "Grelot" devient "gueurlot" [gәrlo] ou [gœrlo], bretelle "beurtelle" [bərtel] ou [bœrtel] ; on court la [pәrtɑ̃ ten] et non la prétentaine, le froid donne des [kәrvɑ] plutôt que des crevasses aux mains, on est "embeurné" [ɑ̃ bәrne] ou [ɑ̃ bœrne] au lieu d'être embrené et on "derse" [dәrs] les récalcitrants au lieu de les dresser. On pourrait multiplier les exemples à l'infini. Il arrive que ce phénomène touche d'autres voyelles faibles : "brouette" se dit [bәrwet] ou [bœrwet], "maigriaud" se prononce [megәrjo], "crotte" devient [kœrt], croupion [kœrpjɔ̃],. Faut-il ranger ici un fait linguistique rare mais curieux ? c'est l’existence de métathèses inattendues. La vipère est devenue un "verpi", le cimetière un ‘’smitière’’ ; on ne tasse pas le blé dans un sac, on le "sate" ; la lessive "chesse" quand elle devrait sécher ; la locution adverbiale "quant à" s'est muée en "tant qu'à". Et l’on pourrait ″contuiner″ longtemps cette énumération.

On use volontiers de liaisons particulières. C'est ainsi que l'article indéfini "un" suivi d'un son vocalique se prononce [yn], au point qu'un auditeur peu averti suppose que son interlocuteur féminise "une oeu(f)", "une homme", "une habit", "une individu", "une hangar" ; il n'en est rien puisque le Bourbonnais dira "c'est un(e) homme qu'est gentil" (et non "gentite"), "un(e) individu dégoûtant" (et non pas "dégoûtante"). Cependant, par contamination, on pourra dire "une hangar qu'est vieux" ou "qu'est vieille" et même préférentiellement "une vieille hangar".

Ce vocable permet une autre remarque : l'h est toujours muet et l'on abrite les instruments aratoires "sous l'hangar" où l'on range aussi "l'harnais", ou mieux "les z(h)arnais", de la chevaude ; de même on dira d'un individu sans vergogne qu'"il a chié l'honte" ... L'h disparaît même dans le corps d'un mot : "dehors" se prononce "diôr" [djor], d'où découle le verbe "diôrer" [djore], qui signifie "mettre à la porte". Un autre avatar, rarissime il est vrai, de cette amuïssement systématique aboutit à la concaténation de l’article défini avec le substantif, ce qui nécessite le redoublement du déterminant : et de ce fait celui qui souffre d’une contraction spasmodique du diaphragme n’a pas ‘’le hoquet’’, mais le ‘’loquet’’ ! Un autre exemple d’agglutination est donné par la transformation survenue à ‘’oiseau’’ : ces volatiles étant rarement solitaires, on en parle au pluriel et comme ‘’des oiseaux’’ se prononce [dezozjo] ou [dezuzjo], un oiseau est devenu un [zozjo] ou un [zuzjo] ...

A propos des phonèmes consonantiques, le bourbonnais de Sologne a le privilège d'en posséder deux, proches l'un de l'autre, que l'alphabet phonétique international est impuissant à transcrire. Il s'agit de sons, l'un sourd, l'autre sonore, intermédiaires entre "dentales" et "bilabiales", et tous deux "mouillés". L'un se situe entre [tj] et [kj], l'autre entre [dj] et [gj]. On les rencontre dans la prononciation de mots comportant ces alliances de sons en français standard tels que, pour le premier, "tiens" et "inquiet", pour le second "Dieu" ... ou "diable". Mais le "yod" s'introduit aussi là où il n'a que faire en français - "tuer" se prononce [tjЦe] -, ou après les bilabiales [k] et [g] quand elles sont suivies d'un e, d'un i ou d'un u comme dans "quête", "quitte" et "curé", "guerre", "guide" ou "Auguste". L’emploi de ces phonèmes originaux trahit à coup sûr l’origine du locuteur.

 

 


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TRANSCRIPTION PHONETIQUE

 

première colonne : alphabet phonétique international.

deuxième colonne : transcription adoptée dans ce document.

 


 

Voyelles

 

[i]      [i]         il, vie, lyre

 

[e]      [e]        blé, jouer, lait, jouet, merci

 

[F]     [ɛ]        chouette (rare)

 

[a]        [a]        patte, talon, dernier

 

[A]          [ɑ]          là, pâte, tard

 

[o]        [o]        eau, mot, gauche, tôle

 

[C]        [ɔ]        comme, mort

 

[u]        [u]        genou, roue, vous, goût, toux

 

[y]        [y]        rue, vêtu, bûche

 

[E]       [ә]        le, premier

 

[O]       [Ø]        feu, deux

 

[M]       [œ]       peur, meuble

 

G̃         [̃ɛ̃̃̃]̃        matin, main, plein, chien, brun

 

[B]        [̃̃̃ɑ̃]        sans, vent

 

[D]        [ɔ̃]        bon, ombre

 

Semi-consonnes

 

[j]        [j]         yeux, paille, pied

 

[w]       [w]        foire, douar, nouer

 

[H]          [Ц]           huile, nuit

                                                                                                             

 


 

Consonnes

 

[b]        [b]        bon, robe, abbé, diable

 

[p]        [p]        père, soupe, nappe

 

[d]        [d]        dans, aide, attendre

 

[t]        [t]         terre, vite, attendre

 

[g]        [g]        gare, bague, agglo, claude

 

[k]        [k]        cou, coq, cloque, sac

 

            [dj] [gj]  diable, dehors, guerre, guide

 

            [tj] [kj]   tiens,inquiet, tuer, queue,  képi

 

[f]        [f]         fou, veuf, photo, effort

 

[v]       [v]         vous, rêve

 

[s]        [s]        sale, ci, ça, tasse, pouce, addition

 

[z]        [z]        zéro, maison,rose

 

[I]        [S]        chat, ruche

 

[J]        [ζ]        je, juge, gilet

 

[l]        [l]         laine, habile, allumer

 

[r]        [r]         route, venir, arriver

 

[m]       [m]       main, comme

 

[n]        [n]        nous, peine,

 

[K]        [ñ]        grogner, vigne, dernier

 

           

                                  


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Ne pas oublier la règle d'inversion des phonèmes doubles [br], [kr], [fr], [gr], … en [bәR], [kәR], [fәR], [geR], …

 

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