Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
dubsar
Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 0:17 |
|
|
1. Dilemme :
du grec di- deux
lemma : proposition
Raisonnement à deux termes contradictoires dont l'un doit être juste, l'autre faux.
Au moins selon Aristote (principe du choix et principe du tiers exclu), Héraclite acceptant les deux et Anaxagore acceptant de se situer quelque part entre les deux :
ἔοικε δ ὁ μεν Ἡρακλείτου λόγος λέγων πάντα εἲναι καὶ μη εἲναι ἃπανα ἀληθὴ ποεῖν ὁ δ Ἀναξόρου εἲναι τι μεταξὺ τῆς αντιφάσεως ὥςτε πάνα ψευδῆ (Métaphysique Γ, 4, 1007b26)
Aristote dénonce héraclite : "en disant que tout est et n'est pas, fait que tout est vrai" et Anaxagore : "en disant qu'il ya un intermédiare entre les contradictoires fait que tout est faux".
La philosophie indienne raisonne en tétralemme. Aux deux prémisses
A et
nonA, elle rajoute
A et non A
niA et ni nonA.
(ou : l'un, l'autre, l'un et l'autre, ni l'un ni l'autre)
G. Bugault appelle la troisième "syllemme" : syn- avec + lemma.
Il n'a pas trouvé de néologisme pour la quatrième.
Les philosophes bouddhistes de l'école du milieu (madhyamaka) accepent de ne décider d'aucune des 4 (vacuité, çûnyatâ).
2. On trouive le mot parfois sous la forme dilemne : par rapport aux choix obligé du dilemme, le dilemne serait-elle la forme du non-choix ? : le dilemne du prisonnier, l'âne de Buridan... |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 1:52 |
|
|
Le mot lemme, emprunté par la logique au grec λῆμμα [lẽmma < *lāb-ma < *leh₂-gʷ-mn] est un neutre qui, initialement désigne le résultat de l'action du verbe, ici λαμβάνω [lambánō] « prendre », donc « ce qu'on prend », d'où le sens courant de « recette, profit, gain » et, en logique, « hypothèse, prémisse » (à ne pas confondre avec prémices).
Il est amusant de constater que l'orthographe et prononciation fautives dilemne (analogique de indemne) rétablit un groupe mn qui avait disparu depuis plusieurs millénaires !
En mathématiques un lemme est un théorème accessoire qu'on démontre avant un autre théorème plus important et dont la conclusion sera utilisée dans la démonstration de ce dernier. On l'appelle lemme quand qu'il ne sert à rien d'autre.
Utiliser un ou plusieurs lemmes dans la démonstration d'un théorème permet de la rendre plus claire en localisant bien chaque difficulté, leur rôle est le même que celui qu'ont les sous-programmes en informatique : diviser le travail (éventuellement entre plusieurs personnes …).
Pour les connaisseurs d'un peu de logique propositionnelle, voici la démonstration avec laquelle Aristote réfute Héraclite (pour une lecture plus compacte, j'utilise pour non A la notation à que connaissent bien les lecteurs de Van Vogt) :
Théorème
S'il existe une seule proposition A qui soit telle que A et à soient toutes deux vraies, alors toute proposition est vraie.
preuve :
Soit P une proposition quelconque ; comme A et à est vraie, alors P ou (A et Ã) est vraie. (pour qu'une disjonction soit vraie, il suffit qu'un des deux termes le soit)
Comme P ou (A et Ã) est vraie, (P ou A) et (P ou Ã) l'est aussi. (distributivité de ou par rapport à et)
Comme (P ou A) et (P ou Ã) est vraie, alors, en particulier, P ou à est vraie. (si une conjonction est vraie, chacun de ses membres l'est)
Comme P ou à est vraie, A implique P l'est aussi. (définition de l'implication)
Comme A implique P est vraie et que, par hypothèse, A est vraie, alors P est vraie ! (théorème sur l'implication)
quod erat demonstrandum
Question pour les vrais esprits critiques (en principe, niveau terminale) :
Pourquoi la démonstration ci-dessus est-elle fausse ?
(je sais, c'est cruel, mais un dilemme est toujours cruel …) |
|
|
|
|
joachim
Inscrit le: 13 Jun 2006 Messages: 220 Lieu: Nord (avesnois)
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 11:11 |
|
|
Bizarre, je ne connaissais que l'orthographe dilemne (en prononçant dilemme), qui signifiait pour moi l'obligation de faire un choix entre deux options, pas forcément contradictoires...
C'est une mauvaise compréhension de ma part, ou bien d'autres babéliens sont dans le même cas ? (je précise que j'ai été élevé en région parisienne, ceci au cas où des interprétations seraient différentes d'une région à l'autre). |
|
|
|
|
Pixel
Inscrit le: 14 Dec 2004 Messages: 961 Lieu: Au pays des grenouilles, avec vue sur la mare...
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 11:43 |
|
|
Joachim : concernant le sens de dilemme, je connaissais le même que toi, c'est-à-dire un choix entre 2 options difficile à faire. 2 options pas forcément contradictoires, mais qui mènent à 2 voies différentes tout de même...
Outis : C'est la démonstration qui est fausse ou le résultat qui est faux ? |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 12:26 |
|
|
« dilemne » est clairement une faute qui résulte de l'influence du plus courant « indemne » et de la difficulté visuelle à compter les barres. Elles est courante mais quand même limitée (Google : 235 000 dilemne, 1 850 000 dilemme).
Le sens courant actuel du mot rend bien compte de l'origine « double prémisse », donc deux points de départ possibles qui entraîneront des avenirs distincts.
@ Pixel : c'est la démonstration !
Le résultat, lui, est vrai en logique aristotélicienne parce qu'on y a mis en axiome le principe de non-contradiction (A et à est faux). Mais il faut effectivement le prendre pour axiome car, sinon, il est indémontrable. D'autres théories ont été construites plus récemment sans cet axiome, en particulier pour modéliser les problèmes de logique de la mécanique quantique, mais cette histoire n'est guère babélienne …
J'aimais beaucoup proposer de temps en temps aux étudiants des démonstrations fausses (quelquefois extraites de manuels qui les donnaient pour justes !) en leur demandant de trouver l'erreur. Le but : il faut tout remettre en question, même le prof ! Donc, à plus forte raison, les journaux, la télé, le web, etc. … |
|
|
|
|
Valeria
Inscrit le: 10 Oct 2006 Messages: 336 Lieu: France
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 12:33 |
|
|
En Albanais , on dit pareil "dilemë" qui veut dire la même chose qu'en français. |
|
|
|
|
Groultoudix
Inscrit le: 05 Apr 2007 Messages: 137 Lieu: Lyon
|
écrit le Tuesday 30 Oct 07, 14:42 |
|
|
Un grand auteur dramatique français est souvent associé à la notion de dilemme.
On en trouve une savoureuse référence dans "Le Domaine des Dieux" (une aventure d'Astérix), cité de mémoire.
Les Romains veulent créer une clairière dans la forêt près du village. Pour cela, ils emploient des esclaves qui coupent les arbres... et Astérix replante aussitôt des glands "traités" par le druide Panoramix, lesquels deviennent tout de suite des arbres de taille adulte. Les esclaves parlementent avec les Gaulois.
DILEMME :
SI Astérix laisse les esclaves créer une clairière,
ALORS une mini-ville Romaine sera construite près de son village ce qui menacera l'équilibre établi ET Idéfix et les corneilles seront malheureux
MAIS les esclaves ont la promesse d'être libérés
Un esclave Numide : mais votre chien est libre, et les corneilles aussi...
Panoramix : c'est un problème cornélien...
:applaudir: |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 31 Oct 07, 20:16 |
|
|
La solution
Ma démonstration utilisait comme lemme un théorème sur l'implication :
Outis a écrit: | Comme A implique P est vraie et que, par hypothèse, A est vraie, alors P est vraie ! (théorème sur l'implication) |
Ce théorème est juste en logique aristotélicienne, mais parce que celle-ci pose en axiome le principe de non-contradiction. Voici en effet sa démonstration :
hypothèses :
(1) A est vraie
(2) A implique P est vraie (donc, par définition, P ou à est vraie)
conclusion :
P est vraie
preuve :
de (1) et (2) on déduit A et (P ou Ã) est vraie
puis par distributivité, (A et P) ou (A et Ã) est vraie
il faut donc qu'une des deux conjonctions soit vraie mais, comme on sait que A et à est fausse (non contradiction !) c'est nécessairement A et P qui est vraie, donc P est vraie.
Dans ma démonstration initiale, ce théorème ne pouvait être utilisé puisque j'avais justement comme hypothèse que A et à était vraie !
On aura peut-être compris où je veux en venir : au mot du jour, dilemme !
On peut construire des logiques, non aristotéliciennes mais cohérentes, sans dilemmes.
Dans une célèbre expérience de mécanique quantique, le photon n'a pas à choisir entre passer par un trou ou passer par l'autre, il passe par les deux à la fois sans pour autant perdre son individualité.
Le monde se plie mal à la rigueur d'Aristote, c'est Héraclite qui avait raison !
Mais, rassurez-vous, à notre échelle humaine plus rien n'est quantique, impossible de faire les deux choix en même temps et nous aurons toujours de cruels dilemmes … |
|
|
|
|
Groultoudix
Inscrit le: 05 Apr 2007 Messages: 137 Lieu: Lyon
|
écrit le Wednesday 31 Oct 07, 20:50 |
|
|
Très fort, la démonstration... Tout le monde n'a pas forcément en tête les conditions d'applications du théorème d'implication, mais c'est élégant.
HS : je connaissais une autre démonstration qui prouve que tous les triangles sont équilatéraux, mais il faut faire un schéma pour cela. |
|
|
|
|
Pixel
Inscrit le: 14 Dec 2004 Messages: 961 Lieu: Au pays des grenouilles, avec vue sur la mare...
|
écrit le Wednesday 31 Oct 07, 22:39 |
|
|
En fait Outis, tu apportes une preuve rigoureuse que la démonstration est fausse, mais je reste dans l'idée de départ que j'avais pas postée : en se basant sur des hypothèses fausses, on peut tout démontrer
Après, il faut trouver la faille, c'est sûr |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Thursday 01 Nov 07, 10:23 |
|
|
Techniquement, c'est un peu plus précis. La démonstration est une activité strictement basée sur la notion d'implication. Mais A implique B ne dit rien d'autre que, soit A est fausse, soit B est vraie.
Donc, quand A est fausse, on ne peut rien affirmer de B qui peut être aussi bien vraie que fausse, tout au plus peut-on le décréter en faisant un saut épistémologique (attitude banale dans le discours argumentatif de la politique). Un exemple sera plus clair.
P : s'il pleut, je prends mon parapluie
C'est clair, pluie => parapluie. Mais s'il ne pleut pas ? Là, rien n'est dit, je peux le prendre ou non selon mon degré de prudence, c'est un dilemme que je ne peux résoudre que par décret personnel.
Pourtant, nous savons bien que pour beaucoup de gens cette proposition P sera aussi comprise comme :
s'il ne pleut pas, je ne prends pas mon parapluie
Cette conclusion erronée est une des bases de l'art de tromper les gens :
si tu m'épouses, tu seras heureuse …
si vous ne votez pas pour moi, le pays ira à la catastrophe …
etc. |
|
|
|
|
dubsar
Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
|
écrit le Friday 02 Nov 07, 20:27 |
|
|
Et s'il ne pleut pas je prend quand même mon parapluie, et s'il pleut je ne le prend quand même pas, etc.
On peut sortir de diverses manières du principe du tiers exclu aristotélicien.
Hegel : thèse : A
antithèse non A
et enfin aufhebung, c'est à dire quelque chose de neuf (pas comme en français synthèse qui serait le mélange des deux) |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Thursday 24 Mar 11, 7:49 |
|
|
Pour les divers mots issus du verbe grec λαμβάνω [lambánō], voir analeptique. |
|
|
|
|
|