Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2522 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 9:29 |
|
|
Pour ce que ça vaut (très peu, certes) je note que dans sa version allemande Wikipedia établi un lien entre Stibine (Sb2S3) et fard :
Wikipedia.de a écrit: | Das Mineral ist bereits seit der Antike bekannt und wurde als schwarzer Schminkpuder zum Färben von Augenlidern und Augenbrauen verwendet. Dunkel gefärbte Augenränder gelten in der arabischen Kultur als Schönheitsideal und zugleich als magisches Abwehrmittel.
(Le minerai est connu depuis l'antiquité et servait de poudre de maquillage noire pour farder les paupières et sourcils. Des yeux encadrés de bords sombres sont perçus dans la culture arabe comme idéal de beauté et également comme protection magique.) |
En anglais :
Wikipedia.en a écrit: | Pastes of Sb2S3 powder in fat or in other materials have been used since 3000 BC as eye cosmetics in the Middle East and farther afield;
(Des crèmes de poudre de Sb2S3 avec de la graisse ou d'autres supports ont été employées depuis 3000 av.J.C. comme fard pour les yeux au moyen-orient et au-delà.) |
Où est la poule, où est l'œuf ?.. Ce n'est pas une preuve, juste un élément du débat.
Il faudrait donc mettre en parallèle l'extraction de sulfite d'antimoine à partir de stibnite et la distillation d'alcool. D'une matière première donnée on obtient une essence plus noble. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 12:09 |
|
|
Je ne suis pas sûr de devoir mettre en doute, je suis sûr de devoir faire remarquer qu'on nous assène des choses sans trop nous les expliquer.
Charles éclaire bien le rapport antimoine/fard et c'est bien. Mais le rapport kôhl/alcool me turlupine encore.
Papou me rappelle avec justesse l'instabilité du genre et du nombre quand on passe d'une langue à l'autre mais la remarque que je faisais était interne à l'arabe, pas de traduction dans l'affaire.
Peut-être que la langue arabe exprime plus naturellement la continuité d'un liquide par un pluriel et la multiplicité des grains par un singulier, pourquoi pas. Mais ce serait bien de le confirmer par d'autres exemples.
Peut-être y a-t-il de la poésie dans l'affaire : de même que le kôhl rend les femmes plus belles et les hommes plus beaux, les invitant ainsi à l'amour, de même l'alcool, où le surmoi est soluble, facilite les mêmes rapprochements. Mais possède-t-on de tels textes ?
Que les lièvres courent, c'est dans leur nature. Mais nous sommes aussi là pour les attrapper … |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3861 Lieu: Paris
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 13:42 |
|
|
Il semble bien, par cette étude(1), que la stibine ou sulfure d'antimoine ait pu être employé, mais de façon minoritaire, dans les collyres et les fards.
Le terme khol désigne donc de manière imprécise plusieurs substances chimiques qui peuvent être utilisées au même usage.
Outis a écrit: | J
Peut-être que la langue arabe exprime plus naturellement la continuité d'un liquide par un pluriel et la multiplicité des grains par un singulier, pourquoi pas. Mais ce serait bien de le confirmer par d'autres exemples.
|
Il semble que ce soit plutôt en français et non en arabe qu'il faille chercher cette continuité, si l'on en croit des dictionnaires anciens comme celui-ci(2) ou celui-là(3). Au fond le mot alcool (le doit-on vraiment à Paracelse ?) dans le sens qu'on lui connaît aujourd'hui n'est qu'un usage restreint (celui de l'expression alcool de vin, la partie la plus réduite du vin) d'un mot employé plus largement auparavant. Il faut dire que le vocabulaire chimique/alchimique de l'époque est particulièrement abscons.
(1) Le khôl, médicament et fard oculaire, de l'Antiquité à nos jours, par Michel Faure, 1992
(2) Chimie, pharmacie et métallurgie, par Fourcroy et al, 1792
(3) Dictionnaire mytho-hermétique, par Pernety, 1758
Dernière édition par embatérienne le Monday 14 Mar 11, 14:56; édité 1 fois |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 14:52 |
|
|
1. En relisant ce fil, et en tenant compte des doutes d'Outis, je m'aperçois que j'ai peut-être eu tort de négliger l'hypothèse alternative mentionnée plus haut par mansio selon laquelle l'étymologie de alcool pourrait être une autre que la traditionnelle. Cet étymon éventuel n'est autre que غول [ġūl], "ogre, démon", c'est à dire la fameuse "goule" rimbaldienne.
Mais s'il fallait trouver un équivalent à spiritus, un autre mot existait, plus adéquat, روح [rūḥ]. D'ailleurs l'alcool (= l'esprit) de vin se dit روح الخمر [rūḥ al-ẖamr]...
Bref, je ne crois pas trop à l'hypothèse alternative.
2. Pour répondre rapidement à Outis sur la question du nombre ("rapidement", car c'est une question assez complexe) : l'arabe connaît en fait quatre nombres : le singulier, le duel, le pluriel, et le collectif. Ce dernier, dont la forme est basique, quasiment radicale, est très usité chaque fois qu'on parle d'un groupe d'éléments ou d'une matière quelconque, qu'elle soit liquide, solide, poudreuse, etc. et qu'utiliser un autre "nombre" ne s'impose pas. L'accord grammatical du collectif - non marqué et comme tel ayant les apparences d'un masculin singulier - avec les verbes et adjectifs se fait généralement au féminin singulier. On voit que les choses ne sont pas simples... Faute de mieux, un collectif arabe est le plus souvent traduit en français par un pluriel déterminé.
J'espère que ces quelques explications auront suffi pour montrer qu'un emprunt arabe par une autre langue peut connaître quelques aléas... |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 15:08 |
|
|
Grâce à vous deux, je crois avoir atteind ce fameux mur où l'on ne peut pas affirmer mais où il est plus simple de croire. Merci. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 17:47 |
|
|
?
A mon avis, ou si l'on préfère, état actuel de ma réflexion :
1. Il existe en arabe, depuis l'Antiquité, un vieux mot كُحْل [kuḥl] qui désigne une poudre foncée que l'on se met sur les paupières pour soigner les yeux, les embellir ou les protéger du soleil. Que cette poudre contienne un peu, beaucoup ou pas du tout d'antimoine ne semble pas être d'une importance capitale.
2. Au Moyen Âge, les alchimistes produisent, par la distillation du vin, un liquide qu'ils vont appeler, chacun dans sa langue, "esprit du vin". En arabe, ce sera روح الخمر [rūḥ al-ẖamr].
3. Pour une raison qui reste à éclaircir apparaît alors en Espagne un mot alcohol qui sera bientôt utilisé dans toute l'Europe avec la signification de "esprit du vin".
4. Ce mot se retrouve plus tard dans les dictionnaires arabes sous la forme كُحول [kuḥūl] comme synonyme naturel de روح الخمر . Etant donné son schème radical, il y est normalement placé aux côtés de كُحْل [kuḥl] sous la même racine.
5. Les siècles passent. La tentation est grande d'établir un lien sémantique entre les deux mots, mais, Outis a raison, il faut résister à la tentation ! Tant qu'on n'aura pas éclairci les conditions d'apparition du mot alcohol en Espagne (ou ailleurs), on ne pourra affirmer l'existence d'un tel lien.
Une remarque : on a au moins un exemple historique de signifiant, le mot tank, appliqué à deux objets aussi différents l'un de l'autre qu'un réservoir d'eau et un char d'assaut. Il s'agissait alors de tromper l'ennemi. Rien n'interdit de penser que la même chose se soit jadis produite avec des mots désignant des objets sentant un peu trop le soufre... Et les étymologistes de chercher, chercher, chercher...
Autre note, sur l'histoire du changement de nombre à l'intérieur de l'arabe : un schème de pluriel interne peut très bien être considéré comme un singulier et avoir à son tour un pluriel. L'exemple le plus connu et le plus facile à comprendre est celui de balad, "un village". Son pluriel est bilād, "des villages". Mais ce mot en est venu tout naturellement à signifier "un pays", et bilād s'est alors vu dans l'obligation de se fabriquer son propre pluriel, buldān, "des pays". Quiconque n'a pas appris une langue à pluriels internes a légitimement du mal à comprendre que ce genre de chose soit possible. (L'anglais a bien des couples comme man / men ou goose / geese mais il n'a pas été jusqu'à fabriquer *mens ou *geeses.) |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3861 Lieu: Paris
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 22:00 |
|
|
Papou JC a écrit: | ?
3. Pour une raison qui reste à éclaircir apparaît alors en Espagne un mot alcohol qui sera bientôt utilisé dans toute l'Europe avec la signification de "esprit du vin".
|
Est-ce que le mot alcohol n'apparaît pas de manière très naturelle en Espagne avec le sens de poudre pour les yeux, visiblement calqué de l'arabe ? Le mot semble attesté dans ce sens en espagnol dès le XIIIe siècle, et pour le français, le TLFi cite Ambroise Paré : xvie s. « poudre très fine, sorte de collyre » (Paré, XXV, 34 ds Gdf. Compl. : Collyre est un medicament approprié aux yeux, fait de medicamens bien subtilement pulverises, que les Arabes disent comme alcohol). On en trouve d'autres exemples dans le supplément de Godefroy. *
Par contre, je ne vois pas d'indication que la signification d'alcohol dans le sens d'esprit de vin soit apparue en Espagne. On l'attribue généralement au Suisse Paracelse.
Le TLFi cite de son côté une phrase de 1612, plus complète dans Bloch & Wartburg :"Alkol est purior substancia rei, segregata impuritate sua. Sic alkol vini est aqua ardens rectificata et mundissima" (Lexicon alchimaiae).
*On trouve aussi la forme variante "alcofol", toujours dans le sens de poudre. Cette variante a donné, via l'espagnol, le mot français alquifoux, sulfure de plomb, galène, c'est-à-dire le fameux khol. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 22:41 |
|
|
Très bien, merci ! C’est ce que je voulais, être corrigé. Je recommence donc ma petite histoire :
Note préliminaire : les diverses éditions sont dues aux prises en compte des remarques (merci pour elles !) faites suite à la première version de ce post.
1. Il existe en arabe, depuis l'Antiquité, un vieux mot كُحْل [kuḥl] qui désigne une poudre foncée que l'on se met sur les paupières pour soigner les yeux, les embellir ou les protéger du soleil. Que cette poudre contienne un peu, beaucoup ou pas du tout d'antimoine ne semble pas être d'une importance capitale. Le mot semble attesté dans ce sens en espagnol dès le XIIIe siècle, et pour le français, le TLFi cite Ambroise Paré : xvie s. « poudre très fine, sorte de collyre » (Paré, XXV, 34 ds Gdf. Compl. : Collyre est un medicament approprié aux yeux, fait de medicamens bien subtilement pulverises, que les Arabes disent comme alcohol). On en trouve d'autres exemples dans le supplément de Godefroy. On trouve aussi, issue du même mot arabe, la variante espagnole alquifol, toujours dans le sens de poudre. qui a donné le mot français alquifoux, sulfure de plomb, galène, c'est-à-dire le fameux khol.
2. Au Moyen Âge, les alchimistes produisent, par la distillation du vin, un liquide qu'ils vont appeler, chacun dans sa langue, "esprit de vin". En arabe, ce sera روح الخمر [rūḥ al-ẖamr].
3. Pour une raison qui reste à éclaircir, le Suisse Paracelse utilise au XVIe s. le mot alkol en lui donnant la signification suivante : :"Alkol est purior substancia rei, segregata impuritate sua. Sic alkol vini est aqua ardens rectificata et mundissima" (Lexicon alchimaiae).
(= L’alcool est la substance la plus pure de la chose, séparée de ses impuretés. Ainsi l’alcool de vin est de l’eau-de-vie rectifiée et purifiée au maximum.)
(Merci de bien vouloir corriger ma traduction si elle laisse à désirer).
Note : cette phrase, tirée du Lexicon alchimaiae de 1612, n'est a priori pas de Paracelse, mort en 1541. Peut-être en est-elle inspirée.
4. Ce mot se retrouve plus tard dans les dictionnaires arabes sous la forme كُحول [kuḥūl] comme synonyme naturel de روح الخمر . Etant donné son schème radical, il y est normalement placé aux côtés de كُحْل [kuḥl] sous la même racine.
5. Les siècles passent. La tentation est grande d'établir un lien sémantique entre les deux mots kohl et alkol, mais, Outis a raison, il faut résister à la tentation ! Tant qu'on n'aura pas éclairci les conditions d'apparition du mot alkol chez Paracelse, on ne pourra affirmer l'existence d'un tel lien.
Dernière édition par Papou JC le Tuesday 15 Mar 11, 13:42; édité 3 fois |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3861 Lieu: Paris
|
écrit le Monday 14 Mar 11, 22:52 |
|
|
Papou JC a écrit: | 3. Pour une raison qui reste à éclaircir, le Suisse Paracelse utilise au XVIe s. le mot alkol en lui donnant la signification suivante : :"Alkol est purior substancia rei, segregata impuritate sua. Sic alkol vini est aqua ardens rectificata et mundissima" (Lexicon alchimaiae).
|
Mon intervention était peut-être un peu trop lapidaire, mais cette phrase, tirée du Lexicon alchimaiae de 1612, n'est a priori pas de Paracelse, mort en 1541. Peut-être en est-elle inspirée, je ne sais. En fait, je serais très obligé à celui qui pourrait dire précisément où et comment Paracelse parle d'alcool de vin. |
|
|
|
|
MiccaSoffiu
Inscrit le: 24 Jun 2008 Messages: 463 Lieu: Capicursinu-Sophia
|
écrit le Tuesday 15 Mar 11, 0:54 |
|
|
Recherche suite à la référence citée : « Lexicon alchimaiae ».
Plusieurs références citent «alcool vini» dont celle-ci : Histoire du développement de la biologie, Volume 3 Par Hendrik Cornelius Dirk De Wit,A. Baudière - 1994 :
Citation: | "Dans le courant du XVIe siècle, Paracelse (vol. 1 IV 30) a pu fabriquer un remède fameux en mettant des feuilles d'or dans de l'esprit de vin («alcool vini» at-il précisé alors en employant un terme du vocabulaire arabe)" |
Remarque : dans des dictionnaires on retrouve souvent la définition suivante : « alcooliser ou réduire en alcool signifie subtiliser, obtenir l’état subtil. » |
|
|
|
|
|