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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 01 Jun 11, 11:42 |
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Ne nous égarons pas trop ou, plutôt, ne nous noyons pas. Il n'est nullement établi qu'il y ait un rapport entre goutte et la racine *gʰeu- « verser » ni même avec son élargissement en dentale *gʰeu-d- que présentent le latin et le germanique. Bien au contraire, il est extrêmement douteux, tant phonétiquement que sémantiquement !
Émile Benvéniste (VIIE, tome II, livre 3, ch. 2, pp. 209-221), en s'appuyant sur la réalité des textes, a bien analysé le vocabulaire de la libation et séparé les trois groupes :
— grec σπένδω « verser en libation » et latin spondeō « promettre solennellement » se placent du côté signifié du rituel, il s'agit d'une offrande de sécurité, d'une garantie, comme en garde l'esprit le français « j'en réponds » ;
— grec λείβω « verser goutte à goutte » et latin lībō « enlever une parcelle de, faire une libation » sont du côté signifiant et y dénotent la petite quantité prélevée, y compris dans des sens non religieux ;
— grec χέω « verser » et latin fundō « verser, répandre » se rapportent également au signifiant mais connotent en revanche la grande quantité, l'abondance, comme leur correspondant germanique commun *geutan (> all. gießen).
Il n'y a donc lieu ni de s'étonner, ni de s'amuser ; dans le mot du jour « goutte », la racine *gʰeu- est simplement hors sujet … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11197 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 01 Jun 11, 12:10 |
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Tu écartes donc l'éventualité d'un homonyme goutte dialectal qui serait d'origine germanique ? |
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Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6532 Lieu: Etats-Unis et France
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écrit le Wednesday 01 Jun 11, 13:25 |
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semensat a écrit: | Le garde-mots a écrit: | On n'y voit goutte [guère], ça doit être autre chose. | C'est un mélange avec je ne bois goutte. En effet, en ancien français, la négation était simplement ne, mais l'on pouvait ajouter un nom pour renforcer, zB : je ne bois goutte, je ne marche pas, etc ... | A-t-on une confirmation de ceci ? |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Wednesday 01 Jun 11, 13:38 |
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Euh oui.
Je ne bois goutte, je ne vois point, je ne mange mie, je ne marche pas, je ne dis mot.
Voici ce que dit Grevisse ( le Bon Usage, 14ème édition, § 1015:
Citation: | La forme atone ne , négation ordinaire dans la langue du Moyen Âge, a été de très bonne heure renforcée par des noms désignant une petite quantité, une petite étendue,une chose de valeur insignifiante. Outre les auuxiliaires dont il reste au moins des traces( pas, point, mie ainsi que goutte, mot ) on employait des noms variés souvent précédés d'un numéral exprimant un nombre peu élevé. Leur sens était ordinairement " rien".
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Il précise ensuite que le choix ultérieur ( pour l'auxiliaire) ne s'est pas opéré partout de la même façon: Citation: | il y a des dialectes où l'auxiliaire normal est point.; d'autres où c'est mie; d'autres encore où c'est nient; En Normandie, on emploie brin:" j'avais peur du mal de mer et je n'en ai brin."( Flaubert, Correspondance)
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giòrss
Inscrit le: 02 Aug 2007 Messages: 2778 Lieu: Barge - Piemont
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écrit le Wednesday 01 Jun 11, 15:25 |
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Par contre, en italien,
un goccio = un petit peu (de liquide). |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 02 Jun 11, 9:55 |
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Papou JC a écrit: | Tu écartes donc l'éventualité d'un homonyme goutte dialectal qui serait d'origine germanique ? |
Complètement. Et pour beaucoup de raisons. Dont, d'abord, la faiblesse des arguments pour.
J'ai été regarder les noms de lieux que tu invoques, je n'ai trouvé que des rigoles et des petits ruisseaux, bien loin des abondances que l'on attend de *gʰeu-. Tu oublies, semble-t-il, que pour les paysans un petit ruisseau n'est qu'une goutte d'eau, bien insuffisante à leurs besoins. En outre, tous ces lieux se répartissent sur l'ensemble de la France, bien loin, souvent, d'une influence germanique dans la toponymie.
Ensuite, quel germain ? Il est bien vrai que la loi de Grimm conduit de *gʰeu-d- au verbe germanique commun *geutan (avec un e ayant une forte tendance à la fermeture) mais cette forme n'est à peu près stable que dans le gotique giutan, le vx norois gjôta ou l'anglo-saxon geotan, dialectes qui sont chez nous de peu d'influence. En occidental, la seconde mutation conduit à un vx haut-allemand giozan > all. gießen. D'où viendrait pour toi le t de goutte ?
Inutile aussi d'invoquer les suffixes, un nom d'action en dentale comme *gʰeu-d-tio aboutit à germ. *gussia > suisse güssi « débordement, inondation » (en passant, on est bien loin de la goutte !).
En conclusion, je crois que, s'il est généreux de vouloir réhabiliter max-azerty, on ne peut prendre à la légère à la fois sémantique et phonétique. Ces germanismes dialectaux non attestés, inventés sur la foi d'une seule consonne et d'un vague rapport à l'eau ne font que faire perdre du temps. Et du temps hélas nécessaire car, s'il n'est guère nécessaire de réfuter des amateurs comme max-azerty, un Papou est d'une tout autre envergure. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11197 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 02 Jun 11, 10:39 |
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Merci d'avoir pris le temps de me répondre. Contrairement à toi, je ne pense pas que réfuter savamment une hypothèse (pas trop) farfelue soit une perte de temps. Détromper l'humanité est ma foi bien aussi utile que lui révéler la vérité.
Pour revenir à goutte et conclure (en ce qui me concerne) : je reste très étonné par l'évolution sémantique du latin gutta - avant les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, les gouttes auront donc fait des rus ! - mais il est vrai que les langues en ont vu d'autres ! |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 02 Jun 11, 11:37 |
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Et cet étonnement est bien instructif car il permet de déboucher sur un élément qu'on néglige souvent, le caractère relatif plutôt qu'absolu des mots de quantité :
« cent millions d'euros ! mais mon bon monsieur, ce n'est qu'une goutte d'eau dans le budget de … »
« bon, alors juste une 'tite goutte, mais c'est bien pour vous faire plaisir » me dit-il en tendant son quart …
etc.
Ceci dit, j'aime bien ton idéalisme, même si je ne suis pas tout-à-fait sûr que l'humanité profite beaucoup de l'étymologie du mot « goutte ». Les gens meurent à nos murs et le sexe des anges n'intéresse plus que les pédophiles. Souvenons-nous aussi du pavage de l'enfer … |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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écrit le Saturday 04 Jun 11, 23:27 |
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Papou JC a écrit :
Citation: | Je suppose que le phénomène climatique appelé dans la Communauté Valencienne gota fría (voir Wikipedia) a plus à voir - si j'en crois mon expérience - avec la notion de "pleuvoir à verse" qu'avec celle de "goutte" ! |
Je pense que tu le disais par ironie, mais la goutte dont il s’agit dans la locution espagnole gota fria désigne une masse d’air froid, de forme plus ou moins sphérique, isolée dans un contexte d’air plus chaud. Et évidemment pas chaque goutte, ou l’ensemble des gouttes, de ces pluies diluviennes qui s’abattent régulièrement en automne sur les côtes est de l’Espagne. Un synonyme ici serait bulle d’air froid ou dôme d’air froid. La notice de Wikipedia en espagnol que tu signales parle d’ailleurs de una especie de burbuja, « une sorte de bulle ».
Il s’agit ici d’un terme savant, d’un terme de météorologues, passé, sans doute par la presse, dans le langage courant, en espagnol, en catalan, en valencien (gota freda), parce que le phénomène avait des conséquences concrètes, souvent dramatiques, sur la vie des gens.
Ce n’est le cas ni en français, ni en anglais, ni en allemand semble-t-il, ou la locution reste un terme du lexique météorologique (Voir d’ailleurs la différence de structure entre les articles de Wikipedia en français et en espagnol).
Ce qui serait intéressant c’est de savoir comment les Valenciens désignaient ce phénomène jusqu’au milieu du XX° siècle, c’est-à-dire jusqu’à la vulgarisation du savoir météorologique.
Bon, mais tout ça ça fait pas avancer votre controverse étymologique… |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11197 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 05 Jun 11, 6:03 |
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Il n'y a plus de controverse. Convaincu par l'argumentation d'Outis, j'ai remballé mon hypothèse "germanique".
Merci pour ce petit développement sur la gota fria. Je ne comprends pas que bola n'ait pas été utilisé de préférence à gota, et surtout que le mot allemand Tropfen ait été utilisé à l'origine pour désigner ce phénomène, alors qu'il s'agit plutôt d'une bulle et que la langue allemande dispose bien d'un mot spécifique pour dire "bulle", et qui est Blase, sauf erreur ... Kaltluftblase, ça sonne comment aux oreilles des germanophones ?
Effectivement, ce serait intéressant de savoir comment on appelait ce phénomène autrefois à Valencia. Peut-être "fortes pluies d'automne", tout simplement. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 13 Jun 11, 15:29 |
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Ajoutons à la famille les Goths, d'après Wikipedia :
Citation: | La racine gaut, qui semble revenir à la fois dans les noms des Goths, des Götar et des Gutar indique toutefois qu'il s'agit d'une origine commune probable. Elle provient du gotique giutan (en allemand giessen, en français verser) et signifierait « Verseurs de semence » donc géniteur, donc homme. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Tuesday 14 Jun 11, 0:15 |
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D'après ce que j'ai compris, ce sont des météorologues allemands ( 1886 Koppen, puis Scherhag au début du XXème) qui ont, les premiers, décrit exactement ce qu'était un Kaltlufttropfen et ont donné un nom à ce phénomène. L'expression espagnole n'en est qu'une traduction plus ou moins littérale (normalement gota de aire frio, abrégé populairement en gota fria).
Pourquoi n'ont-ils pas choisi le terme équivalent à " bulle" / Blase? Eh bien, lorsque je lis les explications en allemand sur les sites scientifiques, ce n'est pas l'image d'une bulle qui surgit. On y explique qu'il s'agit d'une masse d'air froid qui peut s'étendre sur une distance de 300 à 1000 km, dans la partie supérieure de la troposphère, que cette masse n'a pas de fronts et que la partie d'air la plus froide est concentrée en son milieu. On peut le décrire comme un Luftpaket ( un paquet d'air) qui va se disloquer, se défaire sous forme de gouttes,de pluie, de précipitations.
La bulle éclate, disparaît mais n'évoque pas, à mon avis, l'idée d'une énorme goutte qui va abtropfen vers le sol. |
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Chusé Antón
Inscrit le: 25 Feb 2005 Messages: 740
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écrit le Saturday 09 Jul 11, 10:32 |
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En aragonais, aussi, comme nous dit rejsl on emploie gota au sens négatif:
Yo no treballo gota/mica/cosa/pas/pon... |
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Moutik Animateur
Inscrit le: 06 Apr 2008 Messages: 1236
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Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6532 Lieu: Etats-Unis et France
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écrit le Saturday 31 Aug 13, 22:03 |
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dawance a écrit: | TLF Citation: | Absol. Petit verre d'eau-de-vie, de liqueur. Offrir, payer la goutte | C'est une acception courante en Wallonie (et chez Zola). Il s'agit ici du genièvre, nommé aussi "pèket", localement en France "petit blanc" (quoique cette dernière expression soit équivoque). |
J'ai souvent entendu "la goutte" dans les régions à pommes, pour "du calva" (dans un verre ou bien au fond de la tasse quand le café a été bu). |
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