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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Thursday 09 Apr 15, 18:39 |
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מסורה massorah
Ce terme se retrouve dans l'expression texte massorétique qui désigne le texte hébreu de l'Ancien Testament : il s'agit du canon (qui a dû déjà être fixé vers le début de l'ère chrétienne) et de l'ajout des voyelles.
Ce travail a été réalisé entre le Ve et XIe siècle par ces massorètes, installés notamment à Tibériade.
massorète : docteur juif qui a compilé et fixé la Massore, texte hébreu de la Bible (TLF)
Ce terme vient de l'hébreu biblique מָסֹרֶת (massoreth) "lien" du verbe אָסַר (asser) : lier
se trouve dans le Livre d'Ézéchiel (20, 37). Il n'apparait qu'une fois dans la Bible :
"Je vous ferai passer sous la houlette et je vous introduirai dans le lien de l'alliance" (TOB)
Le sens du mot massorah s'explique par l'idée de transmettre.
Le terme massore est utilisé dans le dictionnaire de Furetière :
Massore : "C'est un travail fait sur la Bible par quelques Savants Rabbins pour en empêcher l'altération.
[...] On appelle Massorètes, ces Auteurs qui ont travaillé à la Massore. L'exemplaire Massorétique est le Texte Hébreu dont on se sert aujourd'hui. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 10 Apr 15, 0:03 |
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Étymologie donnée par le TLF :
Empr. à l'hébr. mishnaïque māsōrāh ou massōrāh pour māsōreth, massōreth «tradition», dér. de māsar «transmettre». C'est à tort que l'on a rattaché ce mot à l'hébr. biblique māsōreth «lien» (Ezechiel 20, 37, hapax) pour *ma'ăsōreth, dér. de āsar «lier, attacher».
Je ne connais pas l'hébreu mais en m'appuyant sur l'arabe je crois comprendre que l'homonymie, source de l'erreur, est due au fait que le premier mot est peut-être un nom dérivé d'une racine MSR alors que le deuxième est un dérivé de la racine 'SR avec préfixe M des participes passifs.
Je dis "peut-être" car il existe bien un verbe arabe مسر masara mais il est très isolé, n'a aucun dérivé, et il a trois sens qui n'ont pas grand rapport entre eux ni avec "transmettre" : 1. tirer, extraire. 2. calomnier. 3. exciter qqn secrètement. Pas de racine MSR chez Rajki.
En revanche il y a bien un nom ماسورة māsūra, “conduite, tube, tuyau”, qui est un emprunt au persan māsora ou māšora, “roseau de tisserand, tube, tuyau”, toutes choses qui ont quelque rapport avec l'action de "transmettre". Mais je ne m'avancerai pas jusqu'à dire que le mot hébreu qui nous intéresse ici a cette même origine. Peut-être que oui, et peut-être que non. À un hébraïsant de nous le dire.
Il n'y a pas lieu de s'attarder ici sur l'équivalent arabe de l'hébreu āsar, ce serait hors sujet. Je dirai simplement qu'il s'agit d'une racine bien connue dont un dérivé signifie "famille" et un autre "prisonnier". On voit qu'il y a des liens dans les deux cas, mais les uns sont plus concrets que les autres... |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Friday 10 Apr 15, 18:12 |
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Merci ! Cela m'avait échappé.
Cela semble plus évident ainsi...
Cependant, dans son dictionnaire étymologique, Klein écrit que le mot est probablement formé à partir de "lier"
Plus tard, on l'a expliqué comme la récapitulation des traditions concernant les écritures et lectures correctes de la Bible, comme dérivé du verbe מסר (messer) (to hand down, to hand over : transmettre)
Cependant à ce terme, il donne le sens de "institutionnaliser"
du terme biblique מַסַּד , "fondation", apparaissant dans 1 Rois 7, 9 (hapax)
d'om מְסַדֵר (messader) : compositeur (typesetter)
Selon l'OED : à l'origine un usage impropre (misapplication) de Masoreth, meilleure forme (better form) de Masorah ;
le suffixe de massorète est due à une association avec la terminaison des mots grecs comme exégète, athlète
Il existe une forme massoretz chez Rabelais :
"je vous allegueray l'authorité des Massoretz, bon couillaux, & beaux Cornemuseurs Hebraïques" |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 10 Apr 15, 18:38 |
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De toutes façons, loin dans l'Histoire, les verbes 'asara et masara sont probablement apparentés et, outre qu'ils ont en commun deux consonnes sur trois, ils ont certainement aussi en commun le sème "premier" du lien. Je pourrais montrer comment pour l'arabe mais on se contentera de me faire confiance.
Et ce qui vaut pour l'arabe vaut probablement pour l'hébreu, puisqu'on parle de leurs communs ancêtres.
À part ça, je serais plutôt porté à penser que le sens de massorah est plus concret qu'abstrait, un terme technique relatif à l'écriture, mais bon, c'est une simple hypothèse. |
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Shaoul
Inscrit le: 10 Apr 2015 Messages: 17 Lieu: Rhône-Alpes
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 9:57 |
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On signale aussi le verbe masar en Nombres 31:5 et Deutéronome 23:3. (M. Clark, Etymological dictionary of Biblical Hebrew, Feldheim). |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 10:15 |
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Avec quels sens ? Pouvez-vous nous donner les contextes ? |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 10:19 |
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J'ai confondu le d et le r ! (influencé par le sens de "typesetter")
Klein à l'entrée מסר (masser) : to hand over, deliver, transmit
selon certains universitaires, ce terme serait lié à l'akkadien mushuru (to send away)
C'est ce terme qui figure dans Nombres 31, 16. |
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Shaoul
Inscrit le: 10 Apr 2015 Messages: 17 Lieu: Rhône-Alpes
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 11:36 |
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Papou JC a écrit: | Avec quels sens ? Pouvez-vous nous donner les contextes ? |
Nombres 31:5 : on lève des troupes dans les douze tribus d'Israël pour tirer vengeance des Midianites, et les hommes recrutés sont "livrés" par les chefs de tribus à l'armée: vayyimasru mealfe yisrael lamateh, et on les "livra" par millliers par tribu. C'est une désignation, un recrutement pour une campagne militaire, ce qui (peut-être) implique une idée d'autorité et de mise à disposition de soi. En hébreu rabbinique, "mesirut nefesh" veut dire dévouement, et sacrifice de soi, voire martyre.
La référence au Deutéronome 23:3 doit être fausse, je ne trouve pas le mot. Je vais mieux chercher.
En akkadien (je réponds en amateur), on a plusieurs candidats : soit masârum (ou mats / maz-), empêcher, bloquer un chemin ; soit matsârum, arpenter, fermer un territoire par des enclos, des frontières, limiter (dans le temps aussi) ; soit enfin mashârum, traîner au sol, conduire un véhicule. Notez que je ne dispose pas du signe "macron" qui permet de signaler les a longs. Le circonflexe est impropre ici, car il n'est employé que pour un certain type de voyelles.
A suivre.
Dernière édition par Shaoul le Saturday 11 Apr 15, 11:51; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 11:47 |
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Merci ! À votre avis, cet exemple permet-il d'éclairer le sens de massorah ? Quelle est votre propre interprétation de ce mot ?
Un conseil : utilisez la fonction "clavier" en haut de cette page. |
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Shaoul
Inscrit le: 10 Apr 2015 Messages: 17 Lieu: Rhône-Alpes
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 12:01 |
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Dans mon dictionnaire de Jeremy Black, je trouve mushshuru, dont la signification est inconnue et qui semble un mot amorrite. L'autre forme homonyme est un participe de washarum, tomber, rabaisser, se soumettre.
Pour le sens général de massorah, je dirais que le mot et sa racine semblent renvoyer à une idée d'obligation, de chose qui lie et qui entrave, mais sous la forme, parfois, d'un service volontaire. La Mishnah dit que Moïse transmit (racine masar) la Tora aux Anciens, et ainsi de suite dans la chaîne des générations (Avot I-1). Le mot renvoie à l'autorité et à sa réception, à mon avis. A vérifier si vous consultez une édition française commentée des Pirké Avot, où masar est le mot clé du début (il en existe une chez Verdier, collection "Les dix paroles"). |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 11 Apr 15, 15:51 |
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Merci beaucoup ! Je crois qu'on touche au but. Votre explication m'a fait penser au "témoin" que se passent deux coureurs de relais.
J'ai aussi pensé, avant de vous lire, au mot "modèle". La massorah comme "modèle" (d'écriture et de lecture) qu'on va devoir se transmettre de génération en génération. |
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Shaoul
Inscrit le: 10 Apr 2015 Messages: 17 Lieu: Rhône-Alpes
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écrit le Sunday 12 Apr 15, 9:07 |
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A tout cela il faut ajouter qu'en bonne méthode, il faudra chercher l'origine biblique du mot non seulement à l'entrée MSR du dictionnaire ou de la concordance, mais aussi à MUSAR : je trouve une bonne colonne de références dans la Concordance d'Even-Shoshan à cette entrée-là, p. 685. Les sens de base seront tokha'ha (réprimande, admonition), 'onesh 'al ma'asse ra', punition d'une mauvaise action, azhara, explication, avertissement. Le mot et la racine sont très fréquents dans le Livre des Proverbes et les énoncés moraux des Prophètes.
La Mishnah du traité Avot dit : "Moïse reçut (qibbel) la Tora du Sinaï et la transmit (mesarah) à Josué ..." Le verbe mesarah reprend le verset du livre des Nombres (27:23) : il lui imposa les mains (vayyimsor et yadav 'alav), geste désigné par le même verbe MSR et qui signifie ici "imposer les mains", et ailleurs encore donner.
L'école lituanienne de morale, devenue célèbre au XIX°s, s'est nommée "Moussar", sous l'égide du rav Israël Salanter.
La nuance d'autorité est donc bien présente, avec les connotations de réprimande dans certains contextes, mais il faut absolument qu'elle soit associée à l'idée de don et de souci éducatif. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 16 Sep 19, 7:05 |
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Quatre ans plus tard, je reviens sur ce fil un peu plus avisé :
1. L’arabe ماسورة māsūra “conduite, tube, tuyau” n’est pas un emprunt au persan māsora ou māšora, même sens, quoi qu’en disent Dozy et Johnson, qui m’ont induit en erreur, c’est très exactement le contraire.
2. L’arabe ماسورة māsūra n’est pas non plus dérivé d’une racine MSR comme sa forme pourrait le laisser croire, c’est une formation secondaire non de la racine 'SR "lier" mais de la racine SYR « aller, se déplacer », à partir du nom مسيرة masīra, “cours, cheminement, conduite”, dérivé du verbe سار sāra, “aller, marcher, avancer”. C’est de cette même racine que relèvent le mot سيرة Sīra « biographie du Prophète » ainsi que سيّارة sayyāra “planète ; voiture”. La forme II du verbe a notamment le sens de “faire courir, mettre en circulation (un proverbe, un poème, etc.), publier, transmettre au public (l’histoire, les récits des faits anciens)”.
3. L'hébreu māsōrāh est, à mon avis, le même mot que l’arabe ماسورة māsūra, issu de la même racine ; même formation, mêmes sens. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 17 Sep 19, 6:46 |
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Un petit ajout, à peine hors-sujet :
Comme le dit le DRAE, l'espagnol mazorca "épi de maïs" est lui aussi issu de l'arabe ماسورة māsūra (qui a aussi eu le sens de "fuseau de tisserand"), par analogie de forme, via l'arabo-andalou masurica > masurca, mot hybride dont la finale est issue du suffixe adjectival latin -icus, -ica, -icum, information importante pêchée dans le dictionnaire étymologique chilien, qui cite sa source, le dictionnaire d'arabo-andalou de F. Corriente.
Il y aurait beaucoup plus à dire sur la fortune du mot mazorca, mais on trouvera tout dans le DRAE et dans Wikipedia. |
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