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Feintisti
Inscrit le: 09 Oct 2005 Messages: 1591 Lieu: Liège, Belgique
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écrit le Sunday 06 Sep 15, 10:47 |
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Sujet scindé du Fil Le wallon : un créole d'avant JC ? - [ José ]
En wallon liégeois, pour "penser", on utilise tûzer. Connaissez-vous l'origine de ce mot ? |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Sunday 06 Sep 15, 14:10 |
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Selon Jean Haust, du moyen haut allemand tüzen, être taciturne, triste.
A remarquer le sens particulier de tûzer : c'est tout à la fois songer, rêver, méditer, penser et réfléchir.
Voir par exemple cette anecdote bien connue, et ici bien racontée je trouve :
http://regardscroises.blog.tdg.ch/archive/2013/04/07/tuser-pour-creer.html
Citation: | Etimolodjeye: nén claire; les pus vîs motîs walons (Villers) dinèt purade des sinses veyous do mwais costé (trinner a l' ovraedje tot sondjant), ki les raprotche di l' almand "tüzen" (esse poenneus et sondjåd), u do vî flamind "tusen" (awè l' tournisse); li prumî sinse d' asteure (pinser sûtimint) n' a nén l' air vî.
[Littéralement. Etymologie : pas claire. Les plus vieux dictionnaires wallons (Villers) donnent plutot des sens négatifs (traîner à l'ouvrage, rêvasser), qui les rapprochent de l'allemand "tüzen" (être à la peine et songeur), ou du vieux flamand "tusen" (avoir le tournis) ; le sens premier actuel (penser savamment) n'a pas l'air vieux. ]
Source : http://moti.walon.org/dicc_esplicantT_TE.html
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10945 Lieu: Lyon
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écrit le Monday 07 Sep 15, 10:21 |
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Je me souviens de ce mot (= tûzer), il est mentionné ici :
http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=115
Maisse Arsouye a écrit: | En wallon, il y a quelques termes que j'aime bien :
tûzer = réfléchir, penser
Les pompes alimentant les jardins de Versailles ont été concues par le liégeois Rennekin Sualem. Louis XIV, fort satisfait, le convoque et lui demande :
- comment vous est venu cette idée ?
- tot tûzant, sire ( en réfléchissant ,sire ) |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Monday 07 Sep 15, 21:11 |
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Un hasard extraordinaire fait que j'étais occupé sur ce tûzer pour une autre raison: l'origine du [ü] wallon. Pas simple !
Grandganage: Citation: | du moy ht all tûsen, être tranquille, comparer bavarois dusen, duselen, se tenir tranquille, rêver, sommeiller (Schmeller, 401) |
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Feintisti
Inscrit le: 09 Oct 2005 Messages: 1591 Lieu: Liège, Belgique
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écrit le Monday 07 Sep 15, 21:23 |
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Merci pour vos réponses, mais je ne trouve pas ces mots "tüzen, tusen, tûsen, dus(el)en" sur Google... S'agit-il de mots désuets, anciens ou très locaux ?
Et concernant ce "u" wallon, quelle en est l'origine ? |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Monday 07 Sep 15, 22:30 |
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Je ne maîtrise pas assez la philologie (que ce soit pour l'étymologie et les évolutions, ou juste pour décrypter certaines abréviations…) que pour exploiter convenablement ces sources mais il me semble qu'il vaudrait la peine d'explorer l'origine et les sens des mots néerlandais :
duizelen (être étourdi, avoir des vertiges),
doezelen (être stupide, endormi)
beduusd (confus, hébété, mal réveillé)
— à rapprocher de l'anglais to doze (somnoler, être triste ou stupéfié)…
Citation: | doze (v.)
1640s, probably from a Scandinavian source (compare Old Norse dusa "to doze," Danish døse "to make dull," Swedish dialectal dusa "to sleep"); related to Old English dysig "foolish" (see dizzy). May have existed in dialect earlier than attested date. Related: Dozed; dozing. As a noun, from 1731.
Source : Etymonline |
ou encore de l'allemand dösen, dösig. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Wednesday 09 Sep 15, 15:59 |
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Feintisti a écrit: | Merci pour vos réponses, mais je ne trouve pas ces mots "tüzen, tusen, tûsen, dus(el)en" sur Google... S'agit-il de mots désuets, anciens ou très locaux ?
Et concernant ce "u" wallon, quelle en est l'origine ? | J'ai cité mes sources. AdM également.
Ce serait intéressant qu'un Babélien compétent en allemand réponde à ta question de datation.
Si c'était possible aussi d'avoir l'état de la question du [ü] en allemand: le bas saxon, le gotique et autres le connaissaient-ils ? Par exemple, lorsqu'il est écrit dans Guinet, westique busk, s'agit-il d'un [u] ou d'un [ü] ? Enfin, si c'est possible de le dire...
Concernant le [ü] wallon, je ne peux donc répondre à ta question. Il serait intéressant de connaître la toponymie wallonne en [ü]: Huy (Hu, pays des Hutois), Hannut, Juprelle, Fumal, Huccorgne, Julémont, etc..., peut-être une source de renseignements intéressante: ça, c'est pour des Babélierns wallons !
Je prépare donc un sujet, mais je suis loin d'avoir toutes les cartes en main. On peut dire que la palatalisation [u] > [ü] n'a eu lieu que rarement, comme chacun sait. Le lien indiqué n'est pas exempt de fautes de frappe ou autres. La bibliographie y est toutefois intéressante |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 05 Dec 16, 21:11 |
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Le [y] en allemand est issu d'une phénomène de métaphonie. Dans les séquences [u] + consonne + [i], le [i] a exercé une action palatalisante sur le [u] pour aboutir à la séquence [y] + consonne + [i]. Il y a apparemment débat pour savoir si ce phénomène a existé en gotique. Dans le chapitre du Manuel des langues romanes intitulé "La Romania submersa dans les pays de langue allemande", Wolfgang Haubrichs et Max Pfister s'appuient sur la métaphonie pour dater la germanisation de tel ou tel lieu avant ou après le VIIIème siècle. J'en déduit que la métaphonie s'est produite au VIIIème siècle et que le [y] allemand date de cet époque. L'origine du [y] en wallon peut-elle être rapprochée de ce phénomène germanique ? |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Tuesday 06 Dec 16, 18:48 |
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Tout d'abord, Philippa au mot duizelen: Citation: | ht all.. duseln ‘rêver, être dans la lune’. Ensuite, dérivés peu fréquents de même racine, tels que moy.nl. dosich ‘pris de vertige’ (voir→ does 2); moy.bas all. dūsich , même sens; vx ht all.. tusig ‘stupide’; vx fri. dusia ‘être pris de vertige’; vx angl. dȳsig ‘fou’ (angl. dizzy, zie → dizzy); vx nord. dúsa ‘être dans la lune’; < pgm. *dūs- ‘avoir des vertiges’.
De vormen zouden behoren bij pie. *dheus-, *dhus- ‘stuiven, wervelen’ (IEW 261, 268), een uitbreiding met -s van de wortel pie. *dheu- ‘stuiven, wervelen’ (IEW 261). |
Merci à AdM pour l'idée. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 10 Dec 16, 18:10 |
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N'y a-t-il pas un germanophile qui peut confirmer et étayer ces ht all. duseln, moy.bas all. dūsich , même sens; vx ht all.. tusig ‘stupide’; vx fri. dusia ...?
Pour en venir au message de Jeannotin:
Je n'ai pas trouvé en wallon ce phénomène de métaphonie (par ailleurs inconnu pour moi).
On trouve par contre le phénomène cousin d'assimilation (contagion au contact direct, et non à distance, comme la dilation).
Voici trois exemples similaires:
- lat. tēgŭla w. tûlê (Verviers, Stavelot), tuile (a.fr tioule, tiule, teule, etc.)
(NB: tûle et tîle (Huy), de même étymon, signifie "craie rouge")
- lat. rēgŭla, règle servant de niveau, w. rûle m. = w. rîle, m., 1. règle graduée 2. règle servant de niveau (sens latin) 3. règle à araser (par ex. de plafonneur, fr. plâtrier), (anc. fr. ruile et riule).
- lat. nĕbŭla, 1. brouillard 2. obscurité w. nulèye, 1. nuage (nuée) 2.ondée, (anc.fr. niulée)
Les deux premiers supposent un amuïssement de la consonne intervocalique, suivi soit d'une métathèse pour le fr., soit d'une monophtongaison pour le wallon (qui refuse implicitement cette diphtongue -iu- (ou -ui-).
Le troisième suggère un *nebulata, aussi bien pour l'ancien fr. que pour le wallon.
Pour paraphraser Jeannotin, on aurait Citation: | Dans la séquence [u] + [i], le [i] a exercé une action palatalisante sur le [u] pour aboutir à ... [y] |
On pourra comparer avec la diphtongue éventuelle -ui- à l'origine de tûzer.
(corrigé l'alinéa tēgŭla )
Dernière édition par dawance le Thursday 15 Dec 16, 13:15; édité 1 fois |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Monday 12 Dec 16, 17:03 |
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Voici une autre évolution similaire.
On voudra bien d'abord noter dans Wartburg, au mot outil , l'attestation huitille, (de *usitilia, lui-même de ūstēnsĭlia), le mot huitil.
J'ai trouvé aussi sur le net, le slovaque (hé oui !) uistil, outil.
Dès lors, il m'est permis de supposer un bas latin *uistilia, d'où dériverait le wallon le wallon ustèye, outil et un ancien fr. hustil ça et la en France (cfr Wartburg).
(Pour rappel, l'évolution illa, ilia, ita, etc en w.èye est une constante.)
Godefroy atteste un usteille liégeois en 1330, qui n'a pas changé d'un iota, sinon l'orthographe.
Dernière édition par dawance le Saturday 31 Dec 16, 18:29; édité 1 fois |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 17 Dec 16, 13:20 |
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La question principale est l'origine du u wallon, en API upsilon, [y].
Il n'existait pas en latin. Le u latin se disait ou, en API [u].
Si le u latin [u] a presque toujours été conservé en wallon, le français l'a presque toujours muté en [y] (vers le 8e siècle selon les phonéticiens français).
Une première piste partirait de la constatation qu'au français -ui- correspond souvent un -u- [y] wallon.
Aux exemples cités lus haut, on pourrait ajouter : lûre, luire ; cûre, cuire ; brut bruit ; etc...
Une première hypothèse serait donc une évolution phonétique de cette diphtongue -ui [ui] vers [y], et non vers [yi],
en notant que cette diphtongue n'existe pas en wallon (tout comme la diphtongue ié).
Ceci ne peut toutefois pas tout expliquer.
Il existe en wallon des mots en u d'origine germanique, tels que tûzer, réfléchir; gruzale, groseille; gruzê, grésil ; suris' , suret ; surale, oseille, dont je ne sais si l'étymon se prononçait bien [y].
Une première question serait de voir si le sür du francique rhénan, région est (et Sürkrütt) existait déjà au 4e siècle, date de début de l'invasion des Francs.
Ou bien tout simplement, si un ü germanique n'existait pas avant l'arrivée de l'all. sauer et qui aurait été introduit par les tribus importées par les colons romains.
Enfin, il existe aussi des mots wallons qui se disent avec i ou u [y], selon les régions, tels que cizê, çuzê ciseau(x); briber, bruber, mendier, etc.
Encore faudrait-il savoir si ça ne viendrait pas du francique rhénan, via la région de Stavelot - Malmédy.
Cette région (non loin de Trêves) a bien connu les Francs rhénans.
Que de questions ! |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 17 Dec 16, 16:43 |
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Un mot intéressant dans le présent contexte :
lat. būtĕōnem w. buse (oiseau), fr. buse;
Wartburg donne au mot buse : «La forme de base est a.fr. buison , où -ui- est devenu -u-». |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 31 Dec 16, 18:28 |
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Voici une première série de u wallon répertoriés.
Cette première liste est issue de la constatation qu'au français -ui- correspond souvent un -u- [y] wallon, ou plus simplement, elle reprend les mots où une diphtongue (apparue après amuïssement d'une consonne en position faible) a été monophtonguée en [y].
La consonne amuïe est ci-dessous mise entre praenthèses :
- fŭ(g)io, (dji) fû, (je) fuis
- fŭ(g)ere, fûr, fuir. Influence du vx sax. fluht, < pgm. *fluhti-, Philippa, au mot vlucht(en).
- fru(ct)ŭs, fru, fruit. Noter le vx sax fruht, du latin fructŭs (Philippa au mot vrucht.).
- bas lat. *brū(g)ĭtum, pp. de *brū(g)ĕre, bruire (TLF), bru, brûti, bruit. Influence possible de vx ht all.. hlūti ou du vx nl lūt même sens.
- lū(c)ēre w. lûre luire, afr. luisir
- dū(c)ĕre dûre (arch) duire (vieilli), convenir
- bas lat. *co(c)ere, co(c)tu > w. cûre cût cûte, fr cuire cuit cuite (w. buscûte, biscuit); a.fr coist
- no(c)tem (ou vx sax neaht, vx angl. niht) w. nute nuit ; a.fr noit, grec núks.
- o(c)tō w. ûte huit; a.fr oit ; it otto (non diphtongué).
J'ai recherché les isoglosses en u donnés par l'ALF pour quelques mots.
Un fait remarquable apparaît pour les mots ûte, huit et nute, nuit : la répartition se fait essentiellement en Wallonie de l'est y compris Malmédy (germano-wallonne), les départements de la Meuse, la Moselle et la Meurthe et Moselle. Pour nute, nuit, on ajoutera la Marne et la Picardie et pour cûr, cuir, Neuchâtel et Sestrière. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Wednesday 04 Jan 17, 12:24 |
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Ajoutons encore quelques mots wallons en [y] issus de diphtongues latines :
- stā(t)u w. stu, été (partic.p.). Cfr. ital. stato, portug. esp. estado,
- lat.pop. sĕ(qu)ĕre w. sûre suivre, a.fr. sire
- consobrinus, abrégé en co(n)sinu (TLF) w. m. cuzin, f. cuzène, cousin, a.fr. cusin
- cǒriu cûr cuir ; vx fr quir (1100) ; esp cuero ; prov cuer.
- b.lat *vo(c)itu, famille de vocuus « vide », lat. vacuus « vide», w. m. vû, f. vûde vide, vûder vider, al vûde pour rien., a.fr. vuide, voit ; it. vuòto ; anc. it vôito.
- lat. pop. ustilia ustèye outil ; anc.fr. ustilz (début XIIe, TLF)
Une attention spéciale pour le wallon de Malmédy :
- bas lat. cocina Stavelot, Malmédy,…, cuhène; w.lg couhène, cuisine.
- hodie w.de Malmédy: u, aujourd’hui, a.fr. hoi, hui .
Ici, le liégeois a gardé l'archaïque diphtongue: w.lg oûy.
Enfin, notons que huile se dit ôle en wallon (et non *ûle), issu directement du latin oleum. |
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