Causalité et linguistique

[Fayet]

Il ne peut pas y avoir de science sans déterminisme mais le déterminisme se présente à la raison de façons différentes selon l'objet auquel il s'applique donc selon la science envisagée. Les mathématiques ne sont pas à proprement parler une science car elles n'étudient pas des causes mais des identités : En physique on étudie un objet aussi simple que possible mis en contact en un moment donné avec un deuxième objet et cette relation entraîne une conséquence bien définie tandis qu'en mathématiques il n'y a pas d'objet réel localisé ni temporel. Le rapport entre deux notions strictement abstraites ne fait que manifester l'identité de deux notions dont le rapport est égal à une autre notion et cela non pas en un endroit ni à un temps donné mais dans l'abstrait total ; tandis qu'en physique un objet par exemple de l'acide chlorhydrique en tel lieu à tel moment mis en présence de sodium produira du chlorure de sodium ici et maintenant. L'universalité de la loi consiste en ceci que de l'acide chlorhydrique en présence de sodium pourra toujours en autant d'événements, donner du chlorure de sodium alors qu'en mathématiques le fait que deux plus trois soit égal à cinq n'est pas un événement localisable ni daté mais une abstraction et une identité.
Ce sont ces notions qui dirigent l'idée que nous avons généralement de la causalité et du déterminisme mais elles ne s'appliquent pas à tous les objets de science et c'est pour cela que dans le cadre de certaines sciences comme la linguistique on se heurte à des faits qui semblent échapper au déterminisme parce que l'objet de ces sciences n'est pas un être simple en relation avec un autre être simple en un lieu unique et en un temps donné. En linguistique, on n'étudie pas un objet bien défini mis en rapport en un instant donné avec un autre objet précisément localisé et daté . On n'étudie pas un événement unique mais un flux d'objets mis en rapport dans le temps et dans l'espace, si bien qu'il est fort rare qu'à partir d'un fait et de ses circonstances on puisse déduire la conséquence et trop de gens concluent alors que c'est le hasard qui commande l'évolution.
Mais le hasard n'est jamais que la coïncidence dans le temps de deux faits qui ne sont pas conséquence l'un de l'autre. En fait les faits linguistiques pourraient se réduire à des déterminations rigoureuses si on pouvait analyser le flux des objets mis en présence : l'infinité des locuteurs individuels avec leurs approximations, l'éloignement des lieux où agissent des causes différentes et l'évolution dans le temps de ces conditionnements. Un linguiste qui veut étudier l'évolution historique des langues n'a pas à déterminer le rapport d'un fait unique avec un autre fait mais l'infinité des rapports mis en cause.. Il peut à la rigueur découvrir des lois s'il définit un cadre spatial et temporel limité mais ce n'est pas une raison pour déclarer que les faits linguistiques sont indéterminés.
L'impossibilité d'analyser l'enchevêtrement des flux n'oblige pas à conclure qu'il y a des faits qui échappent au déterminisme. Il suffit de penser quand deux évolutions se contredisent que les distorsions sont le fait d'un conditionnement infini. On admettra donc qu'il est impossible d'obtenir des lois simples comme en physique mais on peut tout de même analyser partiellement ces évolutions pour établir des "lois" qu'on observe dans tel domaine individuel, spatial ou temporel qui sont une réalité et on pourra toujours considérer ces lois comme des lois universelles si l'analyse a été bien faite car il faut toujours considérer qu'un fait divergent s'explique par un conditionnement divergent.. Si "PONTEM" latin donne "PUENTE" en espagnol et "PONTE" en portugais ce n'est pas pour autant que la diphtongaison en espagnol n'a pas d'explication possible !
Enfin il y a une autre erreur que commettent souvent les philologues : La causalité en matière linguistique ne concerne pas seulement des faits simples. Il ne suffit pas de chercher dans le passé l'origine du A de la désinence de "AMABAM" car la physionomie d'un mot n'est pas seulement la résultante de l'évolution des faits singuliers. La phonétique historique doit considérer qu'un mot est aussi la résultante des actions du système. La morphologie de la conjugaison latine n'est pas tellement le résultat de l'évolution de chaque phonème . En même temps que les phonèmes évoluent, un système évolue. Je montrerai dans un autre article que la conjugaison en latin s'est créé un système propre pour réutiliser les ruines des morphèmes indoeuropéens. Et d'ailleurs l'évolution des systèmes n'est pas non plus un fait singulier mais un flux permanent si bien qu'ils se désagrègent avant même d'avoir été totalement réalisés. Par exemple j'analyserai le système de conjugaison remarquable que le latin a adopté au temps de Cicéron mais il est clair que les formes comme Amavisti et Amavistis ne se sont pas soumises au système pourtant mathématique de la conjugaison latine classique.
En conclusion, je dirais qu'on doit considérer que toute science n'existe que pour analyser des lois même si on ne peut que s'approcher le plus possible de l'analyse infinie et que d'autre part on n'étudie pas seulement des faits singuliers mais des faits imbriqués comme des poupées russes dans des systèmes qui sont eux même évolutifs et qui participent au conditionnement des faits plus particuliers.