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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Friday 25 Apr 08, 23:11 |
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Je viens de découvrir ce mot sur le site de la ville d'Amiens annonçant une réderie.
C'est précisé, entre parenthèses : vide-grenier.
Ce terme est employé dans la Somme.
Selon Jules Corblet (Glossaire étymologique du patois picard) qu'il écrit reiderie :
Engouement pour certains choses, manie de collectionner certains objets.
On appelle aussi reiderie l'objet dont on reide.
Le reideur est celui qui reide.
Reider : être engoué de, amateur de, faire collection de.
Ce mot vient du Roman reiderie, engouement.
Les reideurs font collection des objets qu'ils affectionnent. Pour se les procurer, ils font parfois des dépenses exagérées.
Quelle est cette origine romane ?
Roquefort dans son glossaire de la langue romane écrit :
reiderie : folie, délire, extravagance
Ce terme se retrouve aussi dans le patois normand (Du Bois)
reiderie : engouement pour certaines choses
En ancien français (Godefroy) :
rederie : rêverie, déraison
reder : délirer, extravaguer / rêver, songer
L'origine de ce terme est incertaine. Peut-être une origine germanique ? |
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brennos
Inscrit le: 19 Nov 2004 Messages: 616 Lieu: La Nouvelle-Orléans
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écrit le Saturday 26 Apr 08, 3:21 |
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En poitevin-saintongeais, "le redat" c'est le rêve. Ce qui correspond bien à l'étymologie |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 26 Apr 08, 8:51 |
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Xavier a écrit: | L'origine de ce terme est incertaine. Peut-être une origine germanique ? |
Incertain, c'est sûr, germanique, c'est plus douteux et il faudrait proposer des étymons raisonnables.
De ce que j'ai trouvé en chinant un peu, c'est au départ une confusion, favorisée par la relative proximité sémantique et les variantes dialectales, entre trois formes :
roit, reit < lat. rēctum « dirigé en droite ligne » > « droit, debout, escarpé »
roide, reide < lat. rigidus « raide, rigide, qui ne plie pas » > « obstiné »
raide < vx-fr. rade < lat. rapidus « rapide, impétueux »
Le glissement de sens « qui ne plie pas » > « obstiné » > « collectionneur » ou « dément » n'est pas très étonnant, n'oublions pas que la collection est une manie (au sens psychiatrique) …
On pourra évoquer aussi quelques usages :
« maudits soient les nains a la nuque roide » (F. Ledoux, traducteur de Tolkien)
« je suis raide dingue de toi » (G-squad) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 26 Feb 17, 10:17 |
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Moi aussi j'ai chiné un peu, pas trop, en fait, seulement chez Pierre Guiraud.
Il n'y parle pas de rederie mais de son synonyme parfait rêverie, ou plus exactement du verbe rêver, dont l'étymologie est elle aussi obscure.
Guiraud voit rêver issu d'une forme *re-exvadare avec le sens de "s'échapper (de la réalité)".
Hypothèse : Une différence d'accentuation aurait abouti a rêver dans un cas (*re-exvadare) et à reder (Var. : redder, resder, reideir) dans l'autre (*re-exvadare).
Les latinistes nous diront peut-être si c'est possible, plausible... ou du délire d'amateur. (Je parle de moi, bien sûr, pas de Guiraud...) |
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Buidheag
Inscrit le: 13 Jun 2016 Messages: 94 Lieu: Dùn Èideann
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écrit le Monday 27 Feb 17, 16:14 |
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Réderie vient du verbe picard rédé, qui signifie « travailler à des riens avec minutie » (René Debrie, 1975) et qui a aussi donné le rédeu, nom qui s’emploie beaucoup à Amiens pour désigner les brocanteurs qui vendent leurs « réderies » à la « rédérie » : en effet, une réderie, c’est autant la brocante même, que la chose brocantée.
Toutefois, le sens premier est celui de bricoler. Le rédeu picard, c’est le bricoleur français.
La réderie au sens de délire est probablement un homonyme sans lien étymologique.
Est-ce qu'il ne faudrait pas rapprocher rédé dans le sens de bricoler du latin reductere (à rapprocher du français « réduire »)?
Tandis que dans le sens de délirer (« sous l’effet de la fièvre », précise Debrie) serait sans doute à rapprocher de la reiderie normande mentionnée plus haut? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 27 Feb 17, 16:42 |
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Les sens les plus anciens sont quand même probablement ceux donnés par Godefroy (voir le post de Xavier). Je pense que le sens de "bricoler" est dérivé, mais bon, une homonymie n'est jamais exclue, à condition de trouver à l'homonyme un étymon satisfaisant. Il n'est effectivement pas impossible que ce red- soit commun à rédeu et à réduit... |
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Buidheag
Inscrit le: 13 Jun 2016 Messages: 94 Lieu: Dùn Èideann
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écrit le Tuesday 28 Feb 17, 13:29 |
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Papou JC a écrit: | Les sens les plus anciens sont quand même probablement ceux donnés par Godefroy (voir le post de Xavier). |
Je n’ai rien contre messire Godefroy, mais le titre de son ouvrage précise qu’il a été « composé d’après le dépouillement de tous les plus importants documents manuscrits et imprimés qui se trouvent dans les grandes bibliothèques de la France et de l’Europe et dans les principales archives départementales, municipales ou privées ». Frédéric Godefroy (si c’est bien de lui qu’il s’agit) a donc étudié une langue essentiellement orale (le picard) à partir de pièces écrites et en projetant sa langue (« l’ancienne langue française ») sur ce qu’il considérait être des variations locales (« tous ses dialectes »).
Je ne critique pas son mérite, vu que les travaux de ce genre, en 1850, ne devaient pas être super nombreux, mais je me demande en revanche si l’approche qu’il a utilisée pour identifier les sens les plus anciens de mots d’autres langues est suffisamment utile dans le cas présent (identifier une homonymie possible). Le problème, évidemment, c’est qu’il n’y avait pas d’orthographe officielle, alors « reiderie », « réderie », « rédrie »… Les variations orthographiques risquent d’abonder !
Dans le Petit glossaire du patois de Démuin (c’est dans l’Amiénois) par Alcius Ledieu (1893), il y a ça aussi (page 201-202) :
« Réder, v. n., faire collection de certaines choses, être amateur de ; i’ rède à pigeon [il élève des pigeons] ; — se dit aussi de l’exécution de différents petits travaux de fantaisie ou de leur raccommodage.
Réderie, s. f., objet dont on rède ; des glinne é-de réderie [des poules achetées à la réderie]; — manie de collectionner ; — fig., se dit d’enfants turbulents, insupportables ; qué réderie ! [quelle foire !]
Rédeu, oire, s. m. et f., celui, celle qui collectionne certains objets, qui élève des animaux ou des plantes de fantaisie ; un rédeu à lapin [un éleveur de lapins], — à bouquet [un fleuriste] ; — qui s’occupe, à ses heures perdues, de petits travaux propres aux gens de métier. »
Les rédeux qui élevent des lapins, des pigeons ou font pousser des fleurs dans leurs jardins ne sont pas vraiment des professionnels mais ce sont des amateurs dont l’expérience est assez importante pour pouvoir faire de l’argent lors des réderies. À noter d’ailleurs qu’ils ne vont pas qu’à une seule réderie : il y en a une chaque week-end, dans un village différent, un peu comme le carnaval eud’ Dunkeque. Les plus connues sont évidemment la réderie d’Amiens et la grande Braderie de Lille. Concernant la différence entre le rédeu et le marchand professionnel, il faut probablement relire le passage de La pensée sauvage où Levi-Strauss compare l’ingénieur et le bricoleur.
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 28 Feb 17, 16:04 |
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Marchons pour l'homonymie. Je crois que c'est effectivement une fois de plus l'explication du problème.
1. J'ai bien relu le post de Xavier. Ce qui en ressort comme sens premier de reiderie, c'est "engouement".
Outis a écrit: | roide, reide < lat. rigidus « raide, rigide, qui ne plie pas » > « obstiné » ...
Le glissement de sens « qui ne plie pas » > « obstiné » > « collectionneur » ... |
Et je m'arrête là, car l'engouement est une chose et le délire une autre, il ne faut quand même pas pousser le bouchon trop loin.
Mais oui, le reiderie picard a effectivement de fortes chances d'être issu du latin rigidus, n'en déplaise aux amateurs et collectionneurs.
2. Pour la rederie "rêverie", je maintiens pour le moment mon hypothèse "guiraudienne". |
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Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6525 Lieu: Etats-Unis et France
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écrit le Tuesday 28 Feb 17, 22:13 |
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La ressemblance avec l'anglais raid est frappante, mais la chronologie ne semble pas satisfaisante pour expliquer une parenté.
angl. raid : 15e s. expédition, parfois pour piller, voler. Ex. Viking raids, pirate raids. < vieil angl. rad (expédition à cheval), cf. to ride.
to raid : participer à une expédition pour aller voler, piller ...
to raid the kitchen, the refrigerator : (fam., hum.) aller, parfois en cachette, manger ce qu'il y a dans la cuisine, le réfrigérateur
Selon etymonline, le mot anglais raid est du 15e , et apparenté a to ride (chevaucher)
http://www.etymonline.com/index.php?term=raid |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 01 Mar 17, 0:20 |
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J'ai une autre hypothèse.
Je m'appuie sur un fait de civilisation bien connu : dans toutes les grandes villes du monde, il y a un marché appelé en anglais Thieves' Market, le "marché des voleurs", et en français, au moins à Paris, le Marché aux Puces. À Madrid, c'est le Rastro, littéralement "le Râteau"). C'est dans ces marchés qu'on a pendant des siècles vendu aux uns des objets volés aux autres. (Pas seulement, mais bon, j'en ai fait l'expérience moi-même il y a quelques décennies lorsque mon service de table volé pendant que je dormais a été retrouvé très vite par la police sur le marché aux puces de Khartoum.)
Dans la Rome antique, je ne sais pas s'il y avait un tel marché mais c'est plus que probable. En tout cas le verbe latin rādō, -is, -ere avait le sens de "gratter, enlever en grattant, racler" et son dérivé abrādō celui de "enlever en coupant ou en raclant, raser, gratter" et aussi familièrement le sens figuré de "rafler", c'est-à-dire "voler".
En France, le regrattier d'autrefois vendait à vil prix des objets et denrées de seconde main.
Bref, ces divers éléments me donnent à penser que le nom de la reiderie picarde et tous les autres mots de la famille pourraient bien venir du verbe latin rādō, -is, -ere, aussi bien parce qu'on y gratte les vieux objets pour leur redonner un peu de lustre que parce qu'en les revendant on espère "gratter" quelques sous. La reiderie picarde serait dans ce cas l'exact correspondant du Rastro madrilène, ce mot étant issu du latin rastrum "râteau", dérivé de rādō. |
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alloa
Inscrit le: 27 Aug 2008 Messages: 82 Lieu: Córdoba - Argentine
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écrit le Wednesday 01 Mar 17, 0:31 |
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Rastro, nom du marché madrilène, signifie trace, traînée de sang et par extension abattoir. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 01 Mar 17, 0:41 |
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Ce sont des sens dérivés. Le sens premier est celui d'outil agricole avec des dents, mélange de fourche, de houe et de râteau. Voir raster dans Gaffiot et rādō dans Ernout-Meillet.
Je crois que le sens d'"abattoir" vient plutôt du fait qu'on y vendait la viande au prix de gros. Le verbe rastrear signifie "vender la carne en el rastro al por mayor". (DRAE). Mais pour en vendre la viande, il faut d'abord abattre l'animal.
Le rastro est comme la reiderie d'abord et avant tout un lieu de négoce.
J'avais aussi pensé au latin rete "filet" d'où vient le français réseau, l'espagnol, red... Le filet qui contiendrait les objets qu'on vient vendre, comme la couverture du vendeur à la sauvette...
L'hypothèse du râteau (re)gratteur me semble plus solide. |
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Buidheag
Inscrit le: 13 Jun 2016 Messages: 94 Lieu: Dùn Èideann
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écrit le Wednesday 01 Mar 17, 11:10 |
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Papou JC a écrit: | La reiderie picarde serait dans ce cas l'exact correspondant du Rastro madrilène, ce mot étant issu du latin rastrum "râteau", dérivé de rādō. |
Hypothèse d'autant plus séduisante qu'à une époque, les Flandres espagnoles englobaient l'Artois et descendaient jusqu'à Amiens (que les Espagnols ont occupé brièvement). Des contacts entre le picard et le castillan ont dû modifier ou renforcer certaines proximités sémantiques. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 01 Mar 17, 11:23 |
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Les différences morphologiques accusées entre les deux mots laissent tout de même supposer une origine commune, certes, mais latine, gallo-romaine, donc bien antérieure à l'occupation espagnole.
J'aimerais bien savoir si on a des traces écrites, en latin, d'éventuels "marchés aux puces" dans l'Empire Romain... |
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