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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3511 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 27 Jul 17, 17:12 |
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Dans les années 1830, la lexicographie française s'enrichit d'un terme rare ; par exemple :
Dictionnaire de l'Académie, éd. 1831 a écrit: | anguimane. adj. (gui dipht.) Pourvu d'une main qui se meut comme le serpent. L'éléphant est anguimane. |
Le mot est directement emprunté au latin anguimanus, composé de anguis « serpent » et de manus « main », un mot qui n'est guère utilisé que par Lucrèce :
De rerum natura, 2.537 a écrit: | sicut quadripedum cum primis esse videmus
in genere anguimanus elephantos
c'est ainsi que parmi les quadrupèdes nous voyons tout d'abord les éléphants dont la trompe s'allonge comme un serpent ; |
ib., 5.1303 a écrit: | inde boves Lucas turrito corpore, tetras,
anguimanus, belli docuerunt volnera Poeni
sufferre et magnas Martis turbare catervas.
Plus tard les bœufs de Lucanie au dos garni de tours, monstrueux quadrupèdes dont la trompe est une main qui a la souplesse du serpent, furent dressés par les Carthaginois à supporter les blessures de la guerre et à jeter le désordre dans les gros bataillons de Mars. (trad H. Clouard, 1933) |
Cette association de l'éléphant et du serpent connaît un étrange parallèle en Inde où le mot sanskrit nāga- désigne aussi bien le serpent (d'où fr. naja) que l'éléphant, nom que l'érudition reconnaît comme une abréviation de *nāgahasta- « dont la main est un serpent », calque exact de anguimane.
Une imagerie qui rappellera à certains l'historiette qui, dans le jaïnisme, illustre l'élément philosophique clef qu'est l'anekāntavāda, « doctrine de la non unicité [des points de vue] » :
Citation: | « Six hommes d'Inde, très enclins à parfaire leurs connaissances, allèrent voir un éléphant (bien que tous fussent aveugles) afin que chacun, en l'observant, puisse satisfaire sa curiosité. Le premier s'approcha de l'éléphant et perdant pied, alla buter contre son flanc large et robuste. Il s'exclama aussitôt : « Mon Dieu ! Mais l'éléphant ressemble beaucoup à un mur! ». Le second, palpant une défense, s'écria : « Ho ! qu'est-ce que cet objet si rond, si lisse et si pointu? Il ne fait aucun doute que cet éléphant extraordinaire ressemble beaucoup à une lance ! ». Le troisième s'avança vers l'éléphant et, saisissant par inadvertance la trompe qui se tortillait, s'écria sans hésitation : « Je vois que l'éléphant ressemble beaucoup à un serpent ! ». Le quatrième, de sa main fébrile, se mit à palper le genou. « De toute évidence, dit-il, cet animal fabuleux ressemble à un arbre ! ». Le cinquième toucha par hasard à l'oreille et dit : « Même le plus aveugle des hommes peut dire à quoi ressemble le plus l'éléphant ; nul ne peut me prouver le contraire, ce magnifique éléphant ressemble à un éventail ! ». Le sixième commença tout juste à tâter l'animal, la queue qui se balançait lui tomba dans la main. « Je vois, dit-il, que l'éléphant ressemble beaucoup à une corde ! ». Ainsi, ces hommes d'Inde discutèrent longuement, chacun faisant valoir son opinion avec force et fermeté. Même si chacun avait partiellement raison, tous étaient dans l'erreur. » (d'après Wikipedia) |
Cette doctrine de l'anekāntavāda est particulièrement importante aujourd'hui dans la mesure où elle s'oppose à toutes les visions univoques, intolérances, et autres fanatismes, que ce soit dans la religion, la politique (sociale ou économique) ou même la science (y compris linguistique …) … |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3511 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 27 Jul 17, 17:43 |
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Passant des bras aux jambes, le mot anguipède a un plus grand succès en France, en raison d'un grand nombre de groupes sculptés gallo-romains réunis sous le nom de cavalier à l'anguipède et qui sont présumés représenter le dieu Taranis, sous la forme de Jupider et terrassant un monstre anguipède.
Il est connu dès le latin anguĭ-pēs par le mythographe Ovide :
Métamorphoses, 1.182-184 a écrit: | Non ego pro mundi regno magis anxius illa
tempestate fui, qua centum quisque parabat
inicere anguipedum captivo bracchia caelo.
Non, je [Jupiter] n'ai pas été plus inquiet pour ma royauté sur l'univers
à l'époque où les Géants anguipèdes se préparaient
à utiliser leurs cent bras pour s'emparer du ciel.
(trad. A.-M. Boxus et J. Poucet) |
Mais le mot n'a guère été utilisé, comme son équivalent grec, ὀφιό-πους, tout aussi rare et qui ne se trouve que chez Lucien de Samosate :
Les amis du mensonge, 22 a écrit: | ἀλλὰ μετ᾽ ὀλίγον σεισμοῦ τινος ἅμα γενομένου καὶ βοῆς οἷον ἐκ βροντῆς γυναῖκα ὁρῶ προσιοῦσαν φοβεράν, ἡμισταδιαίαν σχεδὸν τὸ ὕψος. εἶχεν δὲ καὶ δᾷδα ἐν τῇ ἀριστερᾷ καὶ ξίφος ἐν τῇ δεξιᾷ ὅσον εἰκοσάπηχυ, καὶ τὰ μὲν ἔνερθεν ὀφιόπους ἦν, τὰ δὲ ἄνω Γοργόνι ἐμφερής,
Peu après, un hurlement retentit : j'eus alors la vision d'une femme monstrueuse, d'une hauteur d'un demi–stade qui tenait une torche dans la main gauche et un glaive d'au moins vingt coudées dans la main droite. À la place des pieds, elle traînait une horde des serpents hideux ; quant à son corps, il ressemblait à celui d'une Gorgone ! (trad. Ph. Renault) |
Ce qui est bien étrange, car les mythes grecs ne sont pas avares de créatures, voire de héros (je pense à Cécrops, roi fondateur d'Athènes) dont le corps se termine par les anneaux d'un serpent. Mais les auteurs que j'ai consulté se contentent d'une périphrase :
Apollodore, III.14.1 a écrit: | Κέκροψ αὐτόχθων, συμφυὲς ἔχων σῶμα ἀνδρὸς καὶ δράκοντος, τῆς Ἀττικῆς ἐβασίλευσε πρῶτος,
Cécrops, fils de la terre, avec un corps unissant homme et serpent, fut le premier roi d'Attique. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3511 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 28 Jul 17, 8:53 |
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pour information :
anekāntavāda « doctrine de la non unicité [des points de vue] »
= an + eka + anta + vāda
an- : négation (< eur. *n-, cp. grec α- ou αν-, alpha privatif)
eka- : « un » (< *oi-ko- < eur. *oi-, plus souvent suffixé en *no-, lat. ūnus, all. eins)
anta- : « fin, conclusion » (cp. all. Ende)
vāda : « doctrine » < vad-, présent vadati « parler, dire » (cp. lit. vadínti « appeler, nommer ») |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Friday 28 Jul 17, 17:23 |
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Outis a écrit: | anguipède a un plus grand succès en France |
L'allemand emploie ses propres composés Schlangenfüßler (substantif) et schlangenfüßig (adj.).
P.-S. : Les "cavaliers à l'anguipède" faisaient partie de monuments plus complexes érigés entre 150 et 250 ap. J.-C. et concentrés principalement dans une zone qui s'étendait entre Rhin, Meuse et Vosges (avec quelques exemplaires dispersés ailleurs, de l'Auvergne à la Bretagne), ainsi qu'à l'arrière du limes entre le Rhin et le Danube (Rhétie). C'est un phénomène limité dans le temps et l'espace.
Le groupe sculpté se plaçait au sommet d'une colonne reposant sur un socle quadrangulaire souvent surmonté d'un second socle octogonal. Le socle quadrangulaire était en principe orné de bas-reliefs représentant Junon, Mercure, Minerve et Hercule et le socle intermédiaire, quand il existait, portait les représentations des planètes (cf. les jours de la semaine) et éventuellement une inscription.
L'inscription pouvait être une dédicace I.O.M. ("à Jupiter très bon et très grand") et portait le nom de ceux qui avaient élevé le monument. J'ai vu une fois la mention I.H.D.D. (In honorem domus divinae, "en l'honneur de la famille impériale").
L'allemand parle de Jupitersäulen ("colonne de Jupiter") ou de Jupitergigantensäulen ("colonnes de Jupiter au Géant"), car parfois la statue du dieu est seule, sans cheval ni Géant, et parfois avec Géant sans cheval. |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10946 Lieu: Lyon
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