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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 07 Aug 18, 10:04 |
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Aisé à définir, pacte : Convention expresse ou tacite, en principe immuable, entre deux ou plusieurs parties. (TLFi)
Rien d'autre à en dire et, s'il est là, c'est en fait sous la forme PACTE, représentant privilégié d'une des Grandes familles de mots de notre ami JC Papou. Celui-ci a en effet attiré récemment mon attention sur celle-ci (je dois reconnaître à ma honte que je ne les fréquente guère, je ne suis pas un lexicographe et les listes de mots ne m'attirent guère). Mais, ayant été la lire (ce que je recommande), j'ai été surpris d'y voir réunis sous l'appellation de « radicaux » des éléments aussi variés que pai-, pay-, pac-, pag-, pal- et pel-.
Aussi, ce que je souhaite faire ici c'est de compléter son travail sur le plan phonétique en essayant de comprendre pourquoi un même thème a pris des visages si différents. Pour le sens de base, le français fixer suffit à s'imaginer la plupart des emplois et, pour le détail, se reporter au travail de JC Papou.
Examinons de plus près le thème eurindien que Pokorny note « pā̆k̂- und pā̆ĝ- » et que, de façon plus moderne, je note avec une laryngale *peh₂-G- où eh₂ > ā tandis qu'au degré zéro h₂ > a bref, et où G désigne une gutturale sourde ou sonore, en fait un métaphonème dont la réalisation, k ou g dépendra du contexte et/ou de l'histoire du mot.
C'est ainsi qu'on aura au nominatif pāx « paix » < *peh₂-k-s car le s est sourd. Au contraire, pour pāgina « page » et pāgus « borne » c'est la présence d'une voyelle qui impose la sonore. En revanche, dans les formes fléchies de pāx comme le génitif pācis ou l'accusatif pācem la sourde k est analogique du nominatif et sera palatalisée en s dans un mot français comme paci-fier ou en tch dans l'italien pace.
Alors que paix est issu de l'accusatif pācem qui accentué sur le ā voit disparaître tout ce qui est post-tonique pour aboutir à un simple [pε] où le timbre ε hérite de la longue latine.
Le latin pālus « poteau » (à ne pas confondre avec palus « marais », cf. paludisme) est issu d'un *pā̆k-s-lo- où -lo- est un suffixe formateur de noms d'instrument (on ne peut déterminer la longueur initiale du a, le ā de pālus pourrait provenir de la simplification consonantique).
(à suivre) |
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ElieDeLeuze
Inscrit le: 14 Jun 2006 Messages: 1622 Lieu: Allemagne
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écrit le Tuesday 07 Aug 18, 13:35 |
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Outis a écrit: | C'est ainsi qu'on aura au nominatif pāx « paix » < *peh₂-k-s car le s est sourd. Au contraire, pour pāgina « page » et pāgus « borne » c'est la présence d'une voyelle qui impose la sonore. En revanche, dans les formes fléchies de pāx comme le génitif pācis ou l'accusatif pācem la sourde k est analogique du nominatif et sera palatalisée en s dans un mot français comme paci-fier ou en tch dans l'italien pace.
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Juste une question : peut-on expliquer pourquoi cette consonne sourde par analogie au nominatif serait présente dans la déclinaison de pāx mais pas cette de rex ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 07 Aug 18, 14:41 |
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Peut-être mais cela dépasse mes compétences. Ernout et Meillet se contentent d'un :
L'existence d'une double forme […] n'a rien que de naturel.
C'est moi qui ai fait l'hypothèse de l'analogie, banale solution de facilité, celle-ci ne s'exerçant qu'en fonction des usages parlés plus que suivant des règles : il ne s'agit en général que de fautes (attirance de formes et d'autres mots de la famille) qui deviennent des usages communs. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 09 Aug 18, 7:33 |
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(suite)
Le dérivé thématique *peh₂-g-o-s, fournit l'adjectif grec πηγός [pēgós] (dorien πᾱγός [pāgós]) « bien fixé, solide » et le latin pāgus « borne » puis « district bien délimité », mot qui possède des dérivés intéressants.
Pour former ethniques et gentilés, le latin avait (entre autres) les deux suffixes -ensis et -ānus : sur Massilia, massiliensis > marseillais, sur burgus, burgensis > bourgeois, sur africa, africānus > africain, sur urbs, urbānus > urbain.
Sur pāgus ayant pris un sens territorial, on trouve les deux formations, pāgensis et pāgānus.
Les g intervocaliques vont évoluer en yod et, pour les deux, la deuxième syllabe portant l’accent (car longue), on aboutit à *pāyen et *pāyān. Ce dernier va donner païen (cf. ce MdJ) et le premier *pεyi (le i résiste à la nasalisation) et, le yod s'amuissant, pays, ce mot désignant primitivement un habitant (cf. encore mon pays, ma payse) sur lequel avec, cette fois, le suffixe -enc, on reformera paysan.
(à suivre) |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 09 Aug 18, 11:29 |
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Pour l'évolution pāgensis > pays, je ne crois pas que ça se soit tout à fait passé comme ça. Il doit s'agir d'un des nombreux cas de simplification du groupe -ns- > -s- à l'intervocalique en latin vulgaire. Voir sur ce point l'Appendix Probi : mensa non mesa ("table, et non tabe"). Dire que le i a résisté à la nasalisation est un anachronisme. La nasalisation est un phénomène surtout gallo-roman, qui est bien postérieur à la simplification -ns- > -s-, qui, elle, doit être pan-romane et dater des origine du latin vulgaire. Voici comment je vois les étapes intermédiaires de l'évolution pāgensis > pays :
pāgensem > *pāgese > *pāges > *pεyis > *pεyi > pays
Cette évolution permet, en plus, d'expliquer les formes romanes où le -s- s'est conservé (italien paese, espagnol país), ce qui n'est pas le cas de la forme intermédiaire **pāyen.
À part cela, merci beaucoup pour ce mot du jour extrêmement intéressant. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 09 Aug 18, 15:05 |
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Merci de cette correction, je suis un peu léger en linguistique romane. Et j'oublie une fois sur deux de partir de l'accusatif ... |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 09 Aug 18, 17:17 |
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(suite)
Sur le thème *peh₂-G- le latin comme le grec ont construit des présents à nasale.
À suffixe dans le grec πήγνυμι [pēgnumi] « coller, fixer », aoriste ἔπηξα [épēxa], adjectif verbal πηκτός [pēktós] « fixé, coagulé » d’après lequel les chimistes modernes ont nommé la pectine, ce polysaccharide à faire les confitures.
À infixe dans le latin pangō « attacher, fixer », parfait pepigi, adjectif verbal pactum « fixé », où l’on retrouve enfin le patriarche pacte de JC Papou. Malgré les tentations, pas de rapport avec le français méridional péguer « poisser, coller » qui dépend du latin pix « poix ».
Avec le degré zéro du thème, *ph₂-G-, on a le grec πάγος [págos] « rocher, falaise » mais aussi « sang figé » et « fleur de sel », sans oublier le composé πάγουρος [pág-ouros] « queue fixée > pagure », notre bernard-l’hermite dont une espèce terrestre, Coenobita clypeatus, peut faire partie des NAC !.
Je m'arrête ici, un peu lassé mais ayant aussi mieux compris d'où venaient quelques formes intrigantes. Il reste du travail mais il reste aussi des ouvriers. S'ils en ont l'envie, Jeannotin pourra nous expliquer comment le cas régime pluriel pels a évolué en pieu, et Ion pourquoi ἅπαξ [hápax] a pris le sens de « une fois ». Ou d'autres Babéliens, pourquoi pas ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 10 Sep 18, 16:49 |
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Outis a écrit: | ... où l’on retrouve enfin le patriarche pacte de JC Papou. |
Non, PACTE est le nom de la famille. Ce que, dans les Grandes familles, j'appelle "patriarche", c'est la racine. Logiquement.
Outis a écrit: | ... et Ion pourquoi ἅπαξ [hápax] a pris le sens de « une fois ». |
N'étant pas Ion, j'avance timidement une explication.
- L'alpha initial, avec esprit rude, n'est pas le privatif mais le copulatif (terminologie de Chantraine.)
- Toujours dans Chantraine, on lit que παξ [pax] signifie "assez, ça suffit".
(Le glissement de sens de "La paix !" à "Assez !" est banal et universel, mais je le rappelle pour éviter d'éventuelles demandes d'explications.)
À partir de là, il faut supposer en amont un énoncé du genre "on rencontre ce mot à tel endroit, dans tel texte" ... "et c'est tout", autrement dit "et nulle part ailleurs", autrement dit "et cette seule fois".
Mais j'imagine qu'il y a belle lurette qu'un brillant helléniste a dit ou écrit cela quelque part. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3862 Lieu: Paris
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écrit le Monday 10 Sep 18, 18:27 |
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Papou JC a écrit: | - Toujours dans Chantraine, on lit que παξ [pax] signifie "assez, ça suffit".
(Le glissement de sens de "La paix !" à "Assez !" est banal et universel, mais je le rappelle pour éviter d'éventuelles demandes d'explications.)
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Naguère les enfants anglais disaient aussi "Pax" là où nous disons "Pouce", dans les jeux. J'ai longtemps cru qu'il y avait un lien entre les deux mais il semble que non.
Le mot ne paraît plus être d'usage en Angleterre.
https://en.wikipedia.org/wiki/Truce_term |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 10 Sep 18, 19:10 |
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Papou JC a écrit: | Le glissement de sens de "La paix !" à "Assez !" est banal et universel |
Le breton dit ràet poc'h, littéralement "donnez de la paix" pour "taisez-vous". Poc'h vient du latin pāx. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1889 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Tuesday 11 Sep 18, 17:49 |
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Et en wallon sous une forme légèrement différente :
"lê-m' è paye ! [pa:j]", litt. laisse moi en paix, tranquille !
D'où l'expression : «Dji so plin d'"lê-m' è paye" !», J'ai plein de soucis.
A noter la même expression chez Chrétien de Troyes (1165) : "Leissier (aucun) an pes", (le TLF au mot paix)
A noter aussi qu'en wallon, paix et paie sont homonymes : wallon paye [pa:j]. J'apprends qu'ils sont aussi cousins sémantiques par leur ancêtre pacare !
Le fr. pays se dit w. payis [paji]. (Et à Toulouse [pajis], selon Nougaro.) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 13 Sep 18, 6:00 |
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Revenons au grec ancien.
Si mon hypothèse est juste, le cas du grec ἅπαξ [hápax] présente tout de même un intérêt supplémentaire par rapport à l'anglais, au breton, au wallon, etc., c'est le glissement de sens de l'exclamation Assez ! à la locution adverbiale une fois. Puis au terme savant un hapax.
Wikipedia : Le terme hapax est un néologisme dû à John Trapp en 1654 (Annotations upon the Old and New Testament), créé à partir du grec ἅπαξ (λεγόμενον) / hápax (legómenon), « (dit) une seule fois ». L'expression hapax legomenon apparaît dans le Larousse pour tous de 1909 ; le substantif hapax y entra en 1922.
Ça rappelle un peu notre familier ... et basta.
Lequel basta signifie "assez, ça suffit" dans toutes les langues romanes, y compris en provençal.
(La variante baste ne s'emploie plus guère, je crois. J'ai le vague souvenir de l'avoir entendue dans mon enfance, dans la région Rhône-Loire.) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 16 Nov 19, 17:21 |
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J'ai reçu aujourd'hui le message suivant d'un aimable lecteur allemand de Munich :
Cher monsieur Rolland,
merci de votre travail impressionnant! Je voudrais bien proposer d’ajouter quelques mots allemands à l’article «pacte» (il veut parler de la grande famille PACTE): Évidemment «Pakt / paktieren» manque ainsi que «Pacht / pachten» (bail / prendre à bail) et toutes leurs familles (http://woerterbuchnetz.de/DWB/call_wbgui_py_from_form?sigle=DWB&mode=Volltextsuche&lemid=GP00179#XGP00179 et http://woerterbuchnetz.de/DWB/call_wbgui_py_from_form?sigle=DWB&mode=Volltextsuche&hitlist=&textpattern=&lemmapattern=gon&patternlist=L:gon&lemid=GP00021#XGP00021 et https://www.dwds.de/wb/pachten).
Qu’en pensez-vous: Serait-il même possible que «bail» appartienne aux «invités masqués» ?
Salutations amicales de Munich,
MS
- Sur le premier point, je ne doute guère de sa proposition et, après confirmation de Babéliens germanistes compétents, j'ajouterais volontiers à la grande famille PACTE les quelques mots proposés. Mais il faudra que Xavier me rappelle comment faire pour y accéder, ou qu'il s'en charge lui-même.
- Sur le cas de bail, que répondre ? De bailler, voici ce que dit le TLF : Du lat. bajulare « porter » dep. Plaute (Asin., 660 ds TLL s.v., 1685, 77); en lat. médiév. « exercer, se charger de (une fonction) » viie-viiies. (Formulae Marculfi, 1, 1, p. 39, 20 ds Mittellat. W. s.v., 1315, 26) d'où bailler « gouverner »; en a. fr. aussi baillir « id. »
En amont, bāiulus "portefaix", d'étymologie inconnue. (DELL)
ETYMONLINE confirme :
bail (n.1) ("caution")
"bond money, security given to obtain the release of a prisoner," late 15c., a sense that apparently developed from that of "temporary release (of an arrested person) from jail" (into the custody of another, who gives security for future appearance at trial), which is recorded from early 15c. That seems to have evolved from the earlier meanings "captivity, custody" (late 14c.), "charge, guardianship" (early 14c.).
The word is from Old French baillier "to control, to guard, deliver" (12c.), from Latin baiulare "to bear a burden," from baiulus "porter, carrier, one who bears burdens (for pay)," which is of uncertain origin; perhaps a borrowing from Germanic and cognate with the root of English pack, or perhaps from Celtic. De Vaan writes that, in either case, "PIE origin seems unlikely."
Un rapport avec la balle du colporteur ? (nº 3 des homonymes). |
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