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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1886 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Tuesday 07 Jul 15, 17:47 |
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Il faut aussi bien observer qu'il y a au moins deux lectures du Coran (et bien plus au 12e siècle).
Une première serait de lire le Coran " à la lettre", voire même en négligeant certains passages. Il s'agit notamment de l'interprétation des Salafistes.
Une autre de voir plutôt "l'idée", et de considérer la "Révélation divine" écrite dans un milieu et à un moment donné, avec des métaphores éventuelles.
Le précurseur est sans doute Averroès (Ibn Rushd), Andalou du XIIe s, avec ses héritiers philosophiques que sont, par exemple, les recteurs des mosquées de Paris, Lyon, Bordeaux, etc... (Le meurtre, quel qu'il soit, est un péché mortel et nullement sanctifié.)
Il faut connaître un peu ce mec, un humaniste et un Descartes avant la lettre. Citation: | L’intégrisme islamique braque le projecteur sur une minorité, certes agissante et dangereuse, mais dangereuse pour tout le monde – non-musulmans et musulmans.
À ne voir l’islam qu’à travers le prisme intégriste ne pousse-t-on pas chacun à se situer par rapport à ce fanatisme plutôt que par rapport au fondement même de cette civilisation ?
Que dirait un catholique, que dirait un juif, s’il n’était reconnu qu’à travers les intégristes de sa religion ?
Il s’agit donc, ici, de renouer avec un maillon essentiel de nos cultures. |
PS: La Bible a connu aussi ces deux lectures: "Dieu arrêta le soleil dans sa course". Galilée dut en souffrir... |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 07 Jul 15, 19:05 |
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Ce que je trouve de particulièrement intéressant et surprenant dans le couple lexical gréco-arabe μάρτυς [mártus] / شهيد šahīd, c'est le parallélisme sémantique témoin / martyr, alors qu'il n'y avait a priori aucune raison pour que ces deux sémantismes soient aussi intimement associés dans chacun des deux mots.
La cause pourrait en être la traduction, au Moyen Âge, du mot grec signifiant "témoin" par le mot arabe signifiant "témoin". Quand le mot grec a pris le sens de "martyr", on aura permis à l'arabe de le prendre également. Mais, on l'a vu, souvent avec un autre vocalisme, ce qui prouve bien qu'on avait conscience que les deux mots n'étaient pas synonymes.
Il faut enfin ajouter que pour dire "martyriser" l'arabe n'utilise pas du tout la même racine, ce qui prouve bien que le "martyr" arabe n'est pas le "martyr" occidental. C'est sans doute ce que voulait dire plus haut Embaterienne quand il parlait de traduction "un peu trompeuse". Je crois que "mort au champ d'Honneur", que propose Reig, est une bien meilleure traduction. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 08 Jul 15, 8:39 |
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Xavier a écrit: | Et en arabe : شهود يهوه. Le terme utilisé a le sens de témoin et de martyr :
شهيد šahīd : témoin, martyr & pluriel : شُهَدَاء šuhadāʾ. |
J'ai l'esprit de l'escalier, mais je dois apporter ici une correction en forme de précision :
De même qu'il ne faut pas confondre les formes du singulier, il ne faut pas confondre celles du pluriel.
- "témoin" se dit plutôt شاهد šāhid et a pour pluriel شهود šuhūd
- "martyr" (disons comme ça) se dit plutôt شهيد šahīd et a pour pluriel شهداء šuhadāʾ
Quant à الشهيد Aš-Šahīd c'est bien, comme l'a dit Xavier, un des attributs de Dieu. Je le traduirais par "le Tout-Voyant". |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 08 Jul 15, 9:23 |
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Glossophile a écrit: | Il y a aussi le goût de l'aventure, le patriotisme... |
Il y a aussi des motivations moins nobles : pouvoir violer, voler et tuer impunément, par exemple... |
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MiccaSoffiu
Inscrit le: 24 Jun 2008 Messages: 463 Lieu: Capicursinu-Sophia
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écrit le Monday 07 Sep 15, 10:11 |
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dawance a écrit: | Le précurseur est sans doute Averroès (Ibn Rushd), Andalou du XIIe s, avec ses héritiers philosophiques que sont, par exemple, les recteurs des mosquées de Paris, Lyon, Bordeaux, etc... (Le meurtre, quel qu'il soit, est un péché mortel et nullement sanctifié.) |
"Le meurtre, quel qu'il soit" : tout dépend de la définition du meurtre.
Sauf probablement dans le cadre du jihad défensif. Toute la difficulté consiste à caractériser un acte défensif.
Voir le martyr de type « hizbullah »
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-martyr-de-type-hizbullah.html#nb4
En Islam un martyr ne meurt jamais. On ne meurt pas au combat on trouve le martyre, on ne meurt pas en martyr, on trouve le paradis.
Il y a une très grande différence entre mourir et trouver.
Dans un cas on perd la vie, dans l’autre on trouve, on gagne le paradis. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 07 Sep 15, 23:00 |
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Xavier a écrit: | Le terme français vient du latin ecclésiastique. En ancien français, on employait le terme martre que l'on retrouve dans le nom de lieu |
Le breton aussi connaît le mot martyr sous une forme différente en toponymie et dans l'usage courant. Ar Merzer présente ainsi le passage de [rt] à [rz] qui apparaît en breton dans les mots du vieux fond celtique et dans les emprunts romans les plus anciens. Ce nom est toujours bizarrement traduit en La Martyre alors que ce mot est masculin en breton comme en bon français. La plus célèbre des La Martyre est considéré par la tradition comme le lieu de l'aveuglement de Salomon, roi des Bretons et saint local très populaire. Dans son usage actuel, le breton a ar martir, emprunté au français ou au latin d'église, par exemple dans cette prière collectée par Daniel Giraudon :
Citation: | Santez Barba, c'hwi pehini c'heus an enor
Da bosediñ ur gurunenn doubl
Gwerc'hez ha martirez
Plijet ganeoc'h, me ho suppli,
En pep keñver hon frezerviñ
Hom zud hag hom madoù
Deus an tan hag ar c'hurunoù.
Sainte Barbe, vous qui avez l'honneur
D'avoir une couronne double
Vierge et martyre,
S'il vous plaît, je vous supplie,
À tous égards de nous préserver,
Nos parents et nos biens,
Du feu et du tonnerre. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3511 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 13 Feb 19, 16:43 |
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Relisant ce vieux fil, je m'aperçois que personne ne s'y est occupé d'étymologie.
Commençons par un peu de sémantique. Nous avons largement vu que le martyr est un témoin, bien. Le témoin, l'anglais witness en témoigne (sic), c'est souvent celui qui sait parce qu'il a vu, c'est le célèbre thème *wid- qui est ici convoqué.
Hélas, les tribunaux le savent bien, il ne suffit pas d'avoir vu, il faut encore se souvenir !
Et c'est là qu'on peut appeler le verbe sanskrit SMṚ-, smarati -te « il se souvient », inf. smartum « se souvenir ».
Dans sa famille un mot important est la smṛti qui appartient aux noms d'action en *-ti que Benveniste (Noms d'agent et noms d'action, pp. 81-82) assimile à des verbes transitifs ayant des objets au génitif (se souvenir de qqc) ou à l'accusatif (se rappeler qqc). Le mot smṛti a donc les deux régimes et il désigne les textes connus par une tradition, le plus célèbre étant les Lois de Manu. Il s'oppose ainsi aux noms d'action en *-tu qui, eux, se réfèrent au sujet : le grec μάρτυς est celui qui se souvient.
En latin on aura le nom d'agent memor « qui se souvient, qui fait se souvenir » et memoria « mémoire ».
Peut-être aussi l'allemand Mär « mythe » sont on connaît mieux le diminutif Märchen « conte » qui s'apuieraient sur le vieil allemand māri « mémorable ». Mais les germanistes pourront préciser car je n'ai pas bien compris ce qu'en disent les frères Grimm. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Wednesday 13 Feb 19, 17:15 |
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Merci Outis, c'est très intéressant !
Jeannotin a écrit: | Dans son usage actuel, le breton a ar martir |
En me relisant, c'était s'avancer bien dangereusement que de sous-entendre que merzher n'était plus dans l'usage. Le verbe merzherïañ "martyriser", attesté dans le Catholicon sous la forme merzeryaff, est bien vivant en Centre-Bretagne, où il a été collecté par Francis Favereau à Poullaouen :
Mahat oant bet merzheriet mat d'ar mare-se
Probablement avaient-ils été passablement torturés, en ce temps-là
et par Gurvan Lozac'h à Plounevez-du-Faou :
Sete vïent skleñjet hag a troc'het o blew dê ha merzherïet ! Lod-all vïe plantet ba'n tan !
Elles étaient donc traînées et on leur coupait les cheveux et les martyrisait ! D'autres étaient foutus dans le feu ! |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 13 Feb 19, 18:54 |
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À ce que dit Outis, Calvert Watkins nous invite à ajouter dans la famille (s)mer- l'anglais to mourn être en deuil (=se souvenir du défunt avec chagrin), et Mimir (du vieux norois), nom d'un géant qui garde le puits de la Sagesse. (Je n'avais jamais entendu parler de ce Mimir, mais c'est bon à savoir...)
No longer mourn for me when I am dead
Than you shall hear the surly sullen bell.
Que ton deuil, à ma mort, n'aille au-delà
De la durée du morne et triste glas.
C'est extrait d'un sonnet de Shakespeare dont nous avons parlé ailleurs. |
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