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Eurindien 4 : le verbe « aller » - Cours & Documents - Forum Babel
Eurindien 4 : le verbe « aller »

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Outis
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Messageécrit le Wednesday 24 Apr 19, 10:36 Répondre en citant ce message   

La Porte et le Chemin, (initiations et solstices)
the road goes ever on and on
down from the door where it began

(chant de route de Bilbon le Hobbit)

La racine alternante *h₁ei-/*h₁i- est présente avec le même sens dans la plupart des langues indo-européennes archaïques, le plus souvent avec un présent en -mi, seul le latin innovant avec .
grec: εἶ-μι [ei-mi] je vais / ἲ-μεν [i-men] nous allons
sanskrit: ēmi [< *ei-mi] je vais / i-mas nous allons
vieux lituanien: ei-mi je vais / ei-me [ei- par analogie] nous allons
latin: [< *ey-ō] je vais / i-mus nous allons

Les dérivés sont propres à chaque langue:

sanskrit : ayana [< *h₁ei-e-no] « fait d'aller, voyage », un mot souvent utilisé pour désigner le parcours du soleil d'un solstice à l'autre, en particulier dans le composé ayanānta « solstice » [< ayana +anta « fin du parcours »]
Mais on le trouve aussi dans le composé Rāmāyaṇa « La Quête de Rāma », titre d'une célèbre épopée indienne où le héros parcourt un long chemin pour regagner sa royauté perdue et son épouse enlevée.

Le composé upāyana [< upa- « vers le haut » + ayana] existe avec les sens nominaux d'aller à un maître, de devenir un élève et, éventuellement, de l'initiation individuelle.

On notera une homophonie forte avec upanayana [< upa- « vers le haut » + nayana < « conduire »] « élévation, initiation », cérémonie par laquelle, à 8, 11 ou 12 ans selon la caste, un enfant mâle d'une des trois castes nobles reçoit avec sa seconde naissance son cordon sacré et le droit d'entendre les Vedas.

latin : iter « parcours, chemin parcouru, marche, voyage » avait un génitif archaique *itinis sur lequel a été refait le génitif hybride itineris. De ce mot dérivent les français mathématiques « itérer, itération » et le programmatique « itinéraire » pour un parcours dont les étapes sont marquées.

Mais c'est avec le préfixe in- que la racine s'exprime avec plus de vigueur.
ineō < in- « dans » + [inf. īre] « aller », d'où les sens variés :
* aller dans, entrer dans;
* commencer (absolu : ex ineunte aeuō « dès le commencement des temps », et transitif : inīre magistrātum « entrer en charge »)
* saillir (en parlant d'un mâle), d'où inīre fēminam « connaître une femme »
initium : commencement, début, origine
et, dans la langue religieuse, au pluriel initia
* auspices pris au début d'une entreprise
* cérémonies d'initiation, mystères
initiō : initier (classique), commencer (tardif)
plus fréquent au passif initiārī : être initié

initiālia [pl.] : initiation aux mystères [de Cérès (= Déméter)]
initiātiō, initiāmenta [pl.] : initiation
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Outis
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Messageécrit le Friday 26 Apr 19, 16:55 Répondre en citant ce message   

L'extension *h₁i-eh₂-

Une extension *h₁i-eh₂- de la racine — en pratique la semi-voyelle i est alors suivie d'un ā — est connue dans plusieurs langues:

• en sanskrit: yā-ti : il va
sans que la nuance apportée par rapport au verbe simple e-ti soit très claire. Un grand dictionnaire de la langue propose de rendre le verbe par les anglais to go, proceed, move, walk, set out, march, advance, travel, journey, une liste qui n'impose aucune spécificité particulière.
On précise aussi que le complément désignant la route suivie est à l'accusatif (sens de destination) ou à l'instrumental (sens de moyen), dernier usage que l'on pourra comparer au français aller par les chemins.

On pourra aller un peu plus loin en examinant le nom d'action dérivé yāna qui désigne le voyage en général ou, pris comme nom d'instrument, un véhicule de quelque sorte que ce soit, de la voiture au navire, en passant par le palanquin.
D'une certaine façon, les deux sens sont réunis dans les composés mahāyāna, hīnayāna et vajrayāna qui désignent les principales voies d'enseignement du boudhisme et qu'on traduit couramment par grand véhicule, petit véhicule et véhicule de diamant. L'ambiguïté est ici complète en ce sens qu'une doctrine est en même temps la voie à suivre et le moyen de la suivre, sans qu'on puisse toujours aisément séparer l'un de l'autre.

On rencontre aussi ce terme yāna dans deux composés parallèles, devayāna « conduisant aux dieux » qui désigne le solstice d'hiver et pitṛyāna « conduisant aux pères », ces pères étant ici les ancêtres morts, pour le solstice d'été. On retrouve ici l'équivalence avec les deux expressions latines Ianua Cœli et Ianua Inferni qui désignent ces mêmes solstices. En effet, le sanskrit deva qui désigne le dieu, le désigne en fait comme céleste car formé sur le thème *div-, nom du jour, tout comme le latin infernus est exactement ce qui est inférieur, le monde souterrain, domaine de ceux qui ont été mis en terre.

Parallélisme parfait, car ce thème yā- du sanskrit yāna est le même que celui des latins iānua et iānitor qui désignent respectivement la porte et le portier (chez Virgile, iānitor [Orci] « portier [d'Orcus] » désigne Cerbère). On voit ainsi, comment d'une langue à l'autre, quand il s'agit de nommer les solstices on utilise un même mot qui est indifféremment la porte et le chemin, Porte du Ciel ou Chemin des Dieux pour le solstice d'hiver, celui qui, chaque année, nous conduit vers la Lumière.

Mais ne quittons pas les exemples latins du thème *yā- avec le nom commun iānus (gén. iānūs) qui désigne un passage en général et, plus particulièrement à Rome, un passage voûté permettant de passer d'une rue à l'autre (cf. Cicéron: transitiones peruiae iani nominantur). Mais c'est le fait de passer d'un lieu à un autre qui reste essentiel comme en témoignent le nom de la porte que nous venons de voir ainsi que, surtout, le thématisé Iānus (gén. Iāni), dieu de tous les passages, portes et changements, et, en particulier, dieu des débuts. Les étymologistes du latin, Ernout et Meillet, rejettent ce rapprochement usuel entre le nom du Dieu et le sanskrit yā- mais leur réticence est fondée sur un sémantisme trop partiel du thème sanskrit qu'ils restreignent abusivement à aller (en véhicule).

C'est bien de tout cela qu'il résulte que Janus — je lui donne ici son nom français — est, entre autres, le dieu des passages et des voyages, c'est-à-dire des voyages qui sont aussi des passages et, entre autres, du voyage fait lui-même de voyages, celui que nous appelons l'initiation, mot également formé sur la racine du verbe aller.
Quant au lien de Janus avec les deux solstices, portes et chemins, il survit avec deux des Saints Jean qui sont fêtés, le Baptiste (le Précurseur, O Πρόδρομος, pour les orthodoxes) au 24 juin et l'Évangéliste au 27 décembre.
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Jeannotin
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Messageécrit le Wednesday 01 May 19, 18:36 Répondre en citant ce message   

Merci beaucoup, c'est passionnant. Sais-tu si cette racine est attestée en celtique ?
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Outis
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Messageécrit le Thursday 02 May 19, 7:25 Répondre en citant ce message   

Oui, selon Pokorny qui, sous *ei- « to go, gehen », indique çà et là :

cymr. wyf `bin', eigentlich `ich gehe' 2. Sg. wyt (anders über wyt Stern ZfceltPh. 3, 394 Anm.);

air. Pass. ethae `itum est', ethaid `geht', ad-etha (*-it-āt) `ergreift'; vielleicht air. ōeth `Eid', acymr. an-utonou, mcymr. an-udon `Meineid'

élargissement gh- :
air. ōegi, Gen. -ed `Gast';

sous i̯ā- in:
air. ā `Achse, Wagen' (idg. *i̯ā), āth `Furt' (*i̯ā-tu-s; brit. Zubehör vermutet Pedersen KG. I 322 f.);

i̯ē- in i̯ēro-:i̯ōro-: i̯əro- `Jahr, Sommer':
urkelt. *i̯arā (*i̯ərā), cymr. bret. iar `Henne', gall. PN Iarilla, mir. eir-īn `Huhn' (air. *air-īn); falsch O'Rahilly Eriu 13, 148 f.;

Où air. = vieil-irlandais, cymr. = gallois, urkelt. = celtique commun, etc. Mais, ne connaissant que très peu de choses aux langues celtiques, je ne peux guère juger de la validité (il arrive que Pokorny râtisse un peu large). Tout ce que je peux ajouter, c'est que nommer un animal domestique (ici la poule) d'un nom allusion à son âge est attesté ailleurs.
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Papou JC



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Messageécrit le Thursday 02 May 19, 9:03 Répondre en citant ce message   

Oui, c'est intéressant, et je vois la nécessité d'ouvrir un fil year car je lis çà et là plusieurs hypothèses sur son origine. Pour ETYMONLINE par exemple, ce mot n'est pas d'origine celtique mais germanique :

year (n.)
Old English gear (West Saxon), ger (Anglian) "year," from Proto-Germanic *jēr "year" (source also of Old Saxon, Old High German jar, Old Norse ar, Danish aar, Old Frisian ger, Dutch jaar, German Jahr, Gothic jer "year"), from PIE *yer-o-, from root *yer- "year, season" (source also of Avestan yare (nominative singular) "year;" Greek hōra "year, season, any part of a year," also "any part of a day, hour;" Old Church Slavonic jaru, Bohemian jaro "spring;" Latin hornus "of this year;" Old Persian dušiyaram "famine," literally "bad year"). Probably originally "that which makes [a complete cycle]," and from verbal root *ei- meaning "to do, make."


Même racine que celle du fil ou racine homonyme ? "aller" dans un cas et "faire" dans l'autre, c'est une polysémie douteuse.

On peut aussi se demander s'il ne faudrait pas voir là aussi l'origine du mot jars "mâle de l'oie" tellement celle qui est généralement proposée (aiguillon) est douteuse.

On connaît bien l'anglais yearling qui désigne un poulain d'un an. (Adopté par les turfistes francophones.)
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Outis
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Messageécrit le Thursday 02 May 19, 15:22 Répondre en citant ce message   

Papou JC a écrit:
… ce mot n'est pas d'origine celtique mais germanique

Raccourci abusif.
Je répondais à une question sur les langues celtiques, je n'ai évidemment pas indiqué tous les mots liés au § « i̯ē- in i̯ēro-:i̯ōro-: i̯əro- `Jahr, Sommer' » de Pokorny. Les voici pour éviter d'autres malentendus :

ai. paryāríṇī- (pari-yāríṇī-) `nach einem Jahr erst kalbend' (?);
av. yārə n. `Jahr';
gr. ὥρα `Jahreszeit, Tageszeit, Stunde, rechte Zeit', ω<S-01839d>ρος `Zeit, Jahr';
vielleicht lat. hōrnus `heurig', wenn auf *hōi̯ōrō `in diesem Jahre' beruhend, vgl. ahd. hiuru `heuer' aus *hiu jāru;
got. jēr, anord. ār, ags. geār, as. ahd. jār n. `Jahr';
russ.-ksl. jara `Frühling', russ. jarь `Sommerkorn' (usw., s. Berneker 446, davon Ableitungen für einjährige Tiere, z. B. russ. járec `einjähriger Biber', járka `Schaflamm', bulg. járka `junges Huhn');
dagegen gewiß hierher mhd. jān `Reihe, Gang', nhd. Jahn `Gang, Reihe gemähten Getreides', schwed. mundartl. ån ds.
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Outis
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Messageécrit le Friday 07 Feb 20, 19:47 Répondre en citant ce message   

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