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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 15:29 |
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Même si le mot paradis désigne aujourd'hui par métaphore n'importe quel lieu ou situation agréable ou favorable, qu'il soit fiscal ou artificiel, le sens premier reste attaché au jardin d'Eden, le Paradis de la tradition judéo-chrétienne, un sens second s'appliquant à des états favorables supposés atteints au-delà de la mort dans les traditions de diverses religions.
Mais, laissant mes honorables confrères fréquenter le haut des théâtres ou sucer des sucettes à l'anis, je vais tenter d'explorer l'étymologie du mot, elle n'est pas si simple qu'on le croit et l'ésotérisme y a une large part.
• Le TLF et Chantraine (DELG) sont d'accord pour faire remonter paradis au grec παράδεισος [parádeisos], mot qui se trouve chez Xénophon avec le sens de « parc clos où se trouvent des animaux sauvages » en parlant des parcs des nobles perses (Anabase 1.2.7 et 2.4.14, Cyropédie 1.3.14, Hellenica 4.1.15).
Un tel jardin avec toutes sortes d'arbres et d'animaux sauvages n'a pas manqué d'être utilisé par les auteurs de la Septante (Cantique de Salomon 4.13, Ecclésiaste 2.5) et, en particulier, pour le jardin d'Eden (Genèse 2.8) :
Καὶ ἐφύτευσεν κύριος ὁ θεὸς παράδεισον ἐν Εδεμ κατὰ ἀνατολὰς
Or, Dieu avait créé un paradis dans Éden, à l'orient
Ce παράδεισος est considéré comme un emprunt iranien. À défaut d'une attestation achéménide *pardēz, on invoque le persan pālēz « jardin » et les deux s'appuiraient sur l'avestique pairi-daēza « enclos » où pairi est l'équivalent du grec περι- [peri] « autour » (cf. périmètre) et daēza du grec τοῖχος [toîkhos] « mur » (eurindien *dʰei-gʰ- « levée de terre ».
• La tradition de la Kabbale hébraïque, elle, fait remonter l'origine lexicale du paradis à l'acronyme PARDES (hébreu PRDS) qui signale les quatre degrés de lecture de la Torah :
P pour PESHAT, le 1er degré, le sens littéral, domaine de la perception sensorielle, mais aussi de l'apparence, de l'illusion, du mirage, voire de l'embrasement, degré qu'il faut vite dépasser sous peine d'être englouti par le réel. « Malheur à qui s'arrête à la surface des choses » dit le texte ;
R pour REMEZ, le 2e degré ouvre au sens allusif, allégorique et symbolique. Mais, là aussi, l'image n'est pas la réalité ;
D pour DERASH, le 3e degré, c'est le temps du commentaire, de l'éxégèse. Le degré herméneutique, où s'exercent raison et intelligence ;
S pour SOD, le 4e degré, dévoile la face cachée des choses. C'est le degré ésotérique, qui permet le dépassement de la réalité dans quelque chose de l'ordre de la plénitude. L'âme de l'âme, dit la Kabbale.
À noter cependant que la même structuration existe dans la tradition chrétienne sous le nom des « Quatre sens de l'Écriture » (littéral, allégorique, tropologique et anagogique).
• Enfin, René Guénon (Le Roi du Monde, p. 73) attire notre attention sur un sanskrit pāradeśa « pays au-delà » qui aurait été le nom de l'Agartha (monde mythique disparu ou enfoui) avant le début du Kali-Yuga (l'Âge actuel du monde, celui où tout va mal). |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 16:58 |
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Citation: | Et l'on reconnaît bien sûr le firdaous (firdaws) arabo-musulman |
On reconnaît d'abord et surtout le pluriel فراديس farādīs, probablement issu du grec via le syriaque.
La forme فردوس firdaws aura été créée ultérieurement pour servir de singulier à ce mot étranger aux airs de pluriel arabe. Comme on l'a vu souvent pour d'autres emprunts, c'est un phénomène assez banal.
Il y a deux occurrences du mot dans le Coran. |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 19:11 |
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Relevons que, tout comme paradis, le mot jardin renvoie aussi à cette idée d'espace clos, fermé — mais cette fois d'origine germanique :
Citation: | Remonte prob. à un gallo-rom. *hortus gardinus (gardinium attesté au IXe s. en lat. médiév. ds Nierm.) « jardin entouré d'une clôture », dont le second élém. est issu de l'a. b. frq. *gart ou *gardo « clôture » […]
Source : TLFI
from Vulgar Latin *hortus gardinus "enclosed garden," via Frankish *gardo or some other Germanic source, from Proto-Germanic *gardan- (source also of Old Frisian garda, Old Saxon gardo, Old High German garto, German Garten "a garden," Old English geard, Gothic gards "enclosure"), from PIE root *gher- (1) "to grasp, enclose."
Source : EOM, s.vº garden |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 19:23 |
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hortus gardinus : les deux mots sont issus du thème IE *gʰor-to- "enclos".
Voir le mot du jour jardin. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 19:53 |
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Outis a écrit: | La tradition de la Kabbale hébraïque, elle, fait remonter l'origine lexicale du paradis à l'acronyme PARDES (hébreu PRDS) qui signale les quatre degrés de lecture de la Torah :
P pour PESHAT, le 1er degré, le sens littéral, domaine de la perception sensorielle, mais aussi de l'apparence, de l'illusion, du mirage, voire de l'embrasement, degré qu'il faut vite dépasser sous peine d'être englouti par le réel. « Malheur à qui s'arrête à la surface des choses » dit le texte ;
R pour REMEZ, le 2e degré ouvre au sens allusif, allégorique et symbolique. Mais, là aussi, l'image n'est pas la réalité ;
D pour DERASH, le 3e degré, c'est le temps du commentaire, de l'éxégèse. Le degré herméneutique, où s'exercent raison et intelligence ;
S pour SOD, le 4e degré, dévoile la face cachée des choses. C'est le degré ésotérique, qui permet le dépassement de la réalité dans quelque chose de l'ordre de la plénitude. L'âme de l'âme, dit la Kabbale. |
Sous ces quatre mots, l'arabisant devine facilement les trois premiers :
فصح faṣaḥa "apparaître à qqn dans tout son éclat" (racine vue à propos de Pâques).
رمز ramz "symbole"
درس dars "leçon, étude"
Le quatrième est moins sûr : je hasarde شوّد šawwada "s'élever sur l'horizon (soleil)". |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 23:04 |
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Je crois que SOD est le Secret. Mais, n'étant pas hébraïsant, je ne saurais m'avancer plus. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3665 Lieu: Massalia
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 23:49 |
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Oui, תוד , SOD , c'est le secret. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 25 Jun 19, 23:54 |
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Peut-être alors tout simplement la racine سود SWD "noir" (> Soudan, pays des Noirs) car on a en arabe des expressions comme sawād al-qalb ou aswad al-qalb qui signifient non pas "la noirceur du coeur" mais "le fond du coeur". (Racine vue à propos de saudade).
Le noir de l'oeil est souvent nommé comme la chose la plus précieuse que l'on possède. (Dozy)
On retrouverait ainsi le jeu consonantique FRDS correspondant très exactement à l'hébreu PRDS. |
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