Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 9:40 |
|
|
Le dragon est un gros animal mythique présent dans les contes de plusieurs cultures, essentiellement germaniques (Siegfried, Bilbon) et chinoises (signe zodiacal), même si nous avons nos vouivres et nos tarasques.
Par l'intermédiaire du latin draco, son nom est issu du grec δράκων « dragon, serpent ». Oui, serpent, car ce δράκων, alterne librement avec ὄφις [ópʰis] « serpent » (ophidien, ophiure).
C'est δράκων qu'Homère utilise quand il montre en présage la lutte d'un aigle et d'un serpent (Iliade, XII, 200 ss.) ou quand il décrit la Chimère : Iliade, 180 a écrit: | ἣ δ᾽ ἄρ᾽ ἔην θεῖον γένος οὐδ᾽ ἀνθρώπων, πρόσθε λέων, ὄπιθεν δὲ δράκων, μέσση δὲ χίμαιρα,
elle était de race divine, non de race humaine : lion par-devant, serpent par-derrière, chimère [= jeune chèvre] au milieu, |
Le mot est, avec déplacement d'accent, le même que δρακών « regardant avec intensité », participe présent de δέρκομαι, parfait δέδορκα (cp. sanskrit dadarśa « j'ai regardé »). On l'explique par le regard fixe et paralysant du serpent.
Sont appelés Draco ou dragon, et toujours vivants aujourd'hui :
• Le « lézard volant » Draco fimbriatus que des membranes latérales peuvent faire planer de branche en branche ;
• Le « dragon de Komodo » Varanus komodoensis, le plus grand des varans, plutôt une sale bête. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 9:54 |
|
|
1. Le dérivé le plus connu de δράκων est probablement δρακόντιον [drakóntion], “estragon, serpentaire”, que l'arabe a emprunté sous la forme طرخون ṭarẖūn, même sens.
2. Il existe en arabe trois ou quatre termes synonymes désignant eux aussi aussi bien un dragon qu'un serpent. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 18:26 |
|
|
Le mot δράκων devait être primitivement un thème en n comme en témoigne le féminin δράκαινα [drákaina] « dragonne » mais, attiré par le participe δρακών, il est passé à nt (gén. δρακοντος).
D'où le diminutif régulier δρακόντιον « dragonnet » (suffixe -yo-) qui a pu désigner :
• un poisson (la grande vive Trachinus draco) ;
• la serpentaire Dracunculus vulgaris ;
• un ver parasite Dracunculus medinensis, dit ver de Guinée provoquant la dracunculose ;
• une sorte de figue (?) ;
• un pigment rouge, le sang-dragon extrait du dragonnier (Dracaena draco) des îles Canaries.
Mais je ne sache pas que δρακόντιον ait jamais désigné l'estragon en grec ancien, malgré le nom latin Artemisia dracunculus dû à la croyance que, comme la serpentaire et le sang-dragon, la plante passait pour guérir les morsures de serpent.
rectification partielle : en grec moderne, estragon se dit effectivement δρακόντιον [drakódio].
Dernière édition par Outis le Sunday 14 Jul 19, 21:30; édité 1 fois |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 19:13 |
|
|
Mille excuses, c'est le mot arabe et lui seul qui désigne l'estragon.
Voici la notice étymologique du TLF pour estragon :
Empr., par l'intermédiaire du lat. médiév. tarcon, altarcon (fin du xiies., Gérard de Crémone ds Roll. Flore t. 7, p. 71), lat. bot. tarchon (1538, trad. lat. de Siméon Seth De Cibariis ds NED s.v. tarragon), gr. médiév. τ α ρ χ ο ́ ν (xies., Siméon Seth ds Roll., loc. cit.), à l'ar. tarh̬ūn (fin du ixes., Razi; début du xies., Avicenne ds Devic) et celui-ci prob. au gr. class. δ ρ α κ ο ́ ν τ ι ο ν « serpentaire ». Le es- initial s'explique mal.
Et voici celle du DRAE pour estragón :
Del fr. estragon, este del ár. ṭarẖūn, este del siriaco ṭarkon o ṭarẖon, y este del gr. δράκων drákōn 'dragón'.
Le provençal a les variantes tragoun et estragoun qui doivent correspondre aux deux variantes du lat. médiév. tarcon, altarcon. Je ne pense pas qu'il faille chercher plus loin l'explication du es- initial en français. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 21:21 |
|
|
Dracon (Δράκων) est un législateur athénien de la fin du VIIe siècle qui rédigea les premières lois écrites de la Cité. Elles étaient particulièrement sévères (tout vol y était puni de mort) ce qui a conduit à la formation de l'adjectif draconien. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Sunday 14 Jul 19, 22:46 |
|
|
Je me demande si les sens que dragon a eus d'"étendard" puis de "soldat de cavalerie" (d'où les tristement célèbres dragonnades) relèvent bien de la même origine. J'ai du mal à voir le lien sémantique et ne serais pas surpris de l'existence d'un homonyme, voire de deux. |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 6:19 |
|
|
N'abusons pas des homonymes. Une hypothèse vraisemblable est que certains régiments ont pu être désignés par leurs enseignes, héritières des signa romaines des manipules.
Dernière édition par Outis le Monday 15 Jul 19, 8:04; édité 1 fois |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 6:42 |
|
|
Oui, à la rigueur, mais le passage de dragon à enseigne ? Un dragon dessiné sur l'enseigne ? Un dragon totem du régiment ? |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 8:25 |
|
|
Ce n'est jamais que l'hypothèse du TLFi :
Empr. au lat.draco, onis class. « animal fabuleux; constellation », chrét. « diable, démon »; b. lat. « enseigne de cohorte ».
Et elle me paraît de fort bon aloi.
J'ai vu sur la toile des enseignes de cohorte avec des taureaux ou des écrevisses. Le goût des animaux totémiques est répandu dans le monde entier, jusque chez les scouts. Dans le Mahābhārata pratiquement tous les étendards de guerriers portent des animaux, singes, crocodiles, etc. Pourquoi un régiment de cavalerie n'aurait-il pas choisi un animal fabuleux réputé pour sa puissance ? |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 8:49 |
|
|
Oui, nous sommes bien d'accord, mais c'est plus clair en le disant. Ou au moins en le supposant. Il doit bien y avoir quelque part dans un musée militaire une enseigne d'un régiment de dragons nous permettant de le vérifier. |
|
|
|
|
Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 10:37 |
|
|
Superbe ! Merci Jeannotin ! |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 15 Jul 19, 15:49 |
|
|
Pour en revenir aux dragons légendaires, j'ai cherché du côté de l'Inde et j'ai fait un peu chou blanc, ne rencontrant que quatre mots susceptible de rendre « dragon » en sanskrit.
• bien sûr, nāga « serpent », qu'il s'agisse de serpents ordinaires (et, en Inde, les cobras n'y sont pas les pires) ou des êtres mythiques, les Nāgas, combattus par nombre de héros et, surtout, par leur ennemi mortel, l'aigle Garuḍa, monture du dieu Viṣṇu.
• pannaga « qui va sur le sol » désigne un serpent ou un Nāga.
• vyāla « méchant, cruel, féroce », terme générique désignant n'importe quelle bête dangereuse, tigre, léopard, éléphant ou serpent.
• sapakṣo nāga « serpent ailé » manifestement fabriqué pour parler de dragons étrangers … |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 17 Jul 19, 8:43 |
|
|
J'ai cité plus haut l'opinion selon laquelle le lien entre le nom δράκων et le verbe δέρκομαι « regarder, observer » était la réputation de fascination que le regard du serpent exercerait sur ses proies.
Une hypothèse concurrente (plus crédible ?) est que, dans la tradition occidentale — et surtout grecque, le dragon est un gardien. Il veille sur une chose précieuse :
• une source à Thèbes où Cadmos vient chercher l'eau rituelle d'un sacrifice ;
• les pommes d'or du jardin des Hespérides ;
• et, bien sûr, la Toison d'or convoitée par Jason et les Argonautes :
Apollonios, Argonautiques, 404-407 a écrit: | ἄλσος τε σκιόειν Ἄρεος, τόθι κῶας ἐπ᾽ ἄκρης
πεπτάμενον φηγοῖο δράκων, τέρας αἰνὸν ἰδέσθαι,
ἀμφὶς ὀπιπεύει δεδοκημένος: οὐδέ οἱ ἦμαρ,
οὐ κνέφας ἥδυμος ὕπνος ἀναιδέα δάμναται ὄσσε. |
F. Vian, trad. a écrit: | le sombre bois sacré d'Arès : c'est là que la toison, sur la cime
d'un chêne étalée, est gardée par un dragon, monstre terrible à voir,
qui fait le guet autour d'elle avec attention ; ni jour
ni nuit, le doux sommeil ne dompte ses yeux insolents. |
|
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11172 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Wednesday 17 Jul 19, 9:44 |
|
|
Une relation similaire entre ὄφις [ópʰis] « serpent » et ὀφθαλμός [ophthalmós] « œil » est-elle envisageable ? |
|
|
|
|
|