Coutume de la croix sur le pain

[Jacques]

Dans ma famille, à table, certains anciens (ils auraient 90 ans maintenant) faisaient le signe de la croix sur le pain, en grattant sa surface rapidement et légèrement de deux traits avec la pointe du couteau, avant d’entamer un pain.

Ceux qui le faisaient n'étaient pourtant pas des gens excessifs dans les rites religieux.

Est-ce une coutume propre à certaines régions (Vallée de la Loire ? Auvergne ?). Avez-vous vu cette pratique ?

[Mancino]

En tout cas, ça ne se fait ni à Paris, ni en Franche-Comté.

[Emandir]

En es-tu si sûr : je suis né en Franche-Comté, et je me souviens d'y avoir vu des gens le faire...

[lilou]

Ma grand-mère maternelle faisait ça (elle serait centenaire si elle vivait encore) Elle vivait à Floreffe, province de Namur.

[Leo]

J'ai vu ce geste en Lorraine, et pas fait par des vieux. Il y a aussi la coutume contradictoire de ne pas couper le pain au couteau, car "on ne coupe pas le corps du Christ".

[Morand]

En Alsace, cela se pratique encore, moi même je le fait encore (j'ai 34 ans), pendant les repas de famille... c'est une bénédiction du pain...

Pour le pain, en fait on le coupe, mais on ne doit pas planter de couteau dans le pain, mais bel et bien trancher...

[Le garde-mots]

De même, dans la tradition, on ne doit pas poser le pain à l'envers sur la table ...

[Mancino]

[Rémi]

J'ajouterais tout de même qu'il s'agit d'un acte purement catholique. J'ai pourtant également entendu, dans le milieu protestant francais, qu'on ne coupe pas le pain, on le rompt. (du verbe "rompre").

[Nenouchka]

[Maisse Arsouye]

A mon avis, ça se pratiquait un peu partout en France et e Wallonie, et probablement dans d'autres régions encore. La tradition s'est perdue à certains endroits et a susbsisté dans d'autres.

[Leo]

Blague :

Chez le fromager
- Et avec ceci ?
- Et vous me mettrez aussi un peu de rompi.
- Un peu de quoi?
- Ben oui, vous savez, comme Jésus; il prit le vin, le pain, et le rompi."

[Outis]

La croix sur le pain, avec la pointe du couteau, se faisait dans ma famille (Périgord/Paris) de même qu'on ne le posait pas à l'envers. Deux choses :

La pointe du couteau semble en contradiction avec le principe « pas de couteau sur le corps du Christ » qui interdit cet instrument pour manger du poisson. En fait, c'est l'usage qui a vraisemblablement primé : baguettes, ficelles et bâtards, les seuls pains levés qu'on puisse rompre aisément, sont des pains récents ; du temps des miches, c'était bien le couteau du maître de maison qui y taillait la tranche de chacun.
D'ailleurs, ma mère, qui rompait la baguette (Freud, au secours !), y traçait la croix d'un doigt rapide …

Ce rite de la croix sur le pain est loin d'être régional car il se fait aussi en Grèce. Comme je vois les choses, il me semble avoir une double origine.

La première est le très ancien respect du pain qui fut longtemps notre aliment de base durant les dix derniers millénaires (estimation grossière, je sais). Pour les Grecs il était le don de Déméter et « mangeurs de pain » était en littérature (Homère, etc.) une définition des hommes d'aujourd'hui par opposition aux « mangeurs de glands » qu'étaient les hommes primitifs, ceux qui, avant la culture apportée par les dieux, ignoraient aussi l'olivier (Athéna) et la vigne (Dionysos).
Faire une marque sur le pain avant de le trancher est donc probablement un signe de respect. Pour la même raison, jeter du pain était un crime.

La deuxième, qui explique la forme en croix du signe, me semble être la marque du christianisme en liaison avec le rituel de la Dernière Cène. Mais plus exorcisme que respect. Le pain était païen (à un e près, il l'est encore), venu de sous la terre, de là où sont les morts (Perséphone, la fille de Déméter, est reine en Hadès). Il est très probable que tous les rituels du pain, tous ces verbes lourds de sens qui le faisaient, labourer, ensemencer, faucher, battre, moudre, pétrir, cuire, ont gardé très longtemps des symbolismes pré-chrétiens.
En traçant une croix sur le pain, le Christ se l'appropriait. Comme on gravait une croix sur les menhirs.

[Chusé Antón]

Chez moi, le Haut Aragon, dans mon enfance on faisait toujours le signe de la croix quand on commençait un nouveau pain et on ne le posait jamais, jamais, á l´envers. Aujourd´hui je conserve la dernière coutume, peut être par superstition; la premiére, avec les baguettes, ça...
Jeter le pain était aussi un grand crime, oui, Outis.

[AdM]

À Liège et en Hesbaye, ce geste se faisait en tout cas dans les familles populaires : c'était plus vu comme une superstition que comme un geste religieux – et à ce titre, combattu dans les « bonnes familles ».
Je pense que je le fais toujours, machinalement, mais je n'en sais rien ; je ne me pose pas la question…


Dictons liégeois :
- On n'kitape måy li pan dè Bon Diu ! « On ne déjette pas [jamais] le pain du Bon Dieu ! »
- (Déjeter est un mot régional qui a un sens plus fort que jeter, qui peut n'être qu'un geste, sans intention. Dans mon oreille, je le rapproche de jeter aux déchets.)