Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
jacklouis
Inscrit le: 26 Dec 2006 Messages: 259 Lieu: Québec (canada)
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 0:21 |
|
|
Erre, erre d'aller, faire de l'erre, courir grand erre, continuer sur son erre ...
On serait bien tenté d'écrire "air" à la place.
Ce serait une erreur. Ce vieux mot des marins et des chasseurs de France demeure encore dans certaines de nos expressions, et plus encore dans le parler des anciens Canadiens Français. J'en reparlerai à la fin de cette recherche.
Ce nom (n. f). est différent de notre verbe plus connu "errer", alors que l'on pourrait les croire des parents proches.
Erre est issu du latin "iter, itineris", chemin, voie, route, et par métonymie, voyage, allure, marche... Penser à "itinérant".
Dans la 1ère moitié du XII e.s., on l'écrivait "eire, oirre". Ce n'est pas, nous l'avons noté déjà, un déverbal de "errer", divaguer, qui est venu de "errare"
Il se rattache cependant, comme ce dernier, à une racine indo-européenne "ei, i", signifiant "aller".
Il eut d'abord le sens latin de chemin, voie, traces (en vénerie).
Il fut employé au tout début dans le sens de "allure, train...", sens aujourd'hui désuès, si ce n'est dans ces expressions qui nous intéressent, de même que dans celles-ci : "aller grand erre" (grant oirre), pour aller grand train, à toute allure. On disait aussi "aller belle erre". Aujourd'hui, on dit "bon train".
"Erres", au pluriel était alors, en ces époques seigneuriales de chasse à courre, un terme de vénerie pour désigner les traces d'un gibier. Si elles étaient fraîches, on parlait de "hautes erres", si au contraire elles étaient plus ou moins effacées, on disait : "erres rompues".
C'est au XVII.e. seulement, au moment où les premiers colons s'embarquaient pour la Nouvelle France, que ce terme fut utilisé par les marins, au sens de "vitesse acquise" ( mais pas forcément la plus grande), vitesse acquise au moment où l'on amenait les voiles, laissant le bâtiment continuer sa course, sans aide. On disait alors que le bateau "prenait de l'erre", "courait sur son erre", sur sa vitesse acquise.
Ces expressions sont aujourd'hui désuètes.
Celle-ci "erre d'aller " existe encore au Québéc. On dit même que c'est un "québécisme".
Pas étonnant que cette expression soit encore restée vivante en ces régions ; Nous venons de signaler que c'est à cette époque de leur venue en terre de colonisation que ce terme était apparue dans la marine. Comme de nombreux autres termes de marine, nous la trouvons donc encore, surtout dans les Province Maritimes, là où les premiers colons s'arrêtèrent. Je vais en noter plusieurs, trouvées dans le Dictionnaire des Canadianismes de Larousse.
Citation: | Erre.
1. Élan, poussée. "Donner de l'erre, ou des erres" à un enfant sur une balançoire.
2. "Faire de l'erre", se déplacer, s'en aller. À un importun, on dira : "fais de l'erre". C'est là qu'on serait tenté d'écrire "fais de l'air" :wink:
3. "N'avoir plus que le tic tac et l'erre d'aller", être très fatigué, rendu au "boutte". (Le tic tac, ce sont les battements du coeur, vous l'aurez compris)
4. La "roue d'erre" était ce volant , sur les anciennes machines, servant à ralentir leur allure... Donc, encore une allusion à ces bâtiments voiliers mettant en panne, pour continuer sur leur erre.,. |
|
|
|
|
|
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2526 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 9:26 |
|
|
Je connaissait le mot au sens naval (mouvement d'inertie d'un navire), mais pas les autres ni son origine. |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 10:33 |
|
|
Le verbe "errer" au sens d'aller à l'aventure n'existerait plus en français ?
Ce verbe ne vient pas de 'errare', mais bien d'"iterare". |
|
|
|
|
giòrss
Inscrit le: 02 Aug 2007 Messages: 2778 Lieu: Barge - Piemont
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 10:56 |
|
|
En italien se dit: "errare senza meta alcuna"..."errare in un bosco"...il cavaliere errante"
Mais pour nous est plus difficile faire des confusions avec "errare" dans le sens de commettre un erreur, par-ce-que nous preferons dire "sbagliare". |
|
|
|
|
dubsar
Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 12:41 |
|
|
A mon avis le mot ne vient pas d'iterare (=répéter) mais d'itinerare (=faire chemin, iter, itineris) |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 13:07 |
|
|
Ma question était de savoir si l'on empolyait "errer" au sens d'aller à l'aventure.
Moi, je l'emploie en tout cas. De toute façon, le latin "errare" ne veut pas dire que "se tromper", mais aussi "voyager" :
"Errabant acti fatis" — dit-on des Troyens dans l'Énéide.
Dernière édition par Piroska le Sunday 10 Feb 08, 9:35; édité 1 fois |
|
|
|
|
giòrss
Inscrit le: 02 Aug 2007 Messages: 2778 Lieu: Barge - Piemont
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 13:53 |
|
|
http://www.etimo.it/?term=errare&find=Cerca
J'ai vu que "erre", dans le même sens du français, existe à l'identique en italien, par-ce-que, d'une personne qu'a bu beaucoup, on dit: "a perdu l'erre" (ha perso l'erre)
Dernière édition par giòrss le Saturday 09 Feb 08, 19:44; édité 1 fois |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Saturday 09 Feb 08, 14:11 |
|
|
Essere ubriaco C'est vraiment très intéressant. |
|
|
|
|
jacklouis
Inscrit le: 26 Dec 2006 Messages: 259 Lieu: Québec (canada)
|
écrit le Sunday 10 Feb 08, 6:21 |
|
|
Il ne semblerait pas y avoir de verbe correspondant à cet "erre", qui nous préoccupe.
Or ce verbe, aujourd'hui obsolète, a cependant existé.
En 1155, Wase le signale en ajoutant qu'il se serait formé sur le bas latin "iterare", se mettre en route, marcher, aller : "Il m'estuet errer et chevalcier...Cour. Louis). - Dict. de l'ancien français larousse).
Un autre verbe "errer", que nous connaissions bien, vient, lui, de errare, se tromper, s'égarer. Sa racine nous a donné également erreur. erroné. erronément (XV é.és.) disparu.
Merci à Giorss pour ces précisons apportées. |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Sunday 10 Feb 08, 9:33 |
|
|
Mais oui, en ancien français, c'est très fréquent, et à moi cela me manquerait en français moderne : je l'emploie, et je ne crois pas être la seule.
On dit bien : "errer par monts et par vaux", non ? |
|
|
|
|
jacklouis
Inscrit le: 26 Dec 2006 Messages: 259 Lieu: Québec (canada)
|
écrit le Sunday 10 Feb 08, 18:20 |
|
|
Oui, vous avez parfaitement raison Piroska, et votre citation tombe à point pour montrer que nous avons bien en réalité deux verbes d'origine différente, mais que nous pensons être les mêmes, tant ce mot "erre" a été oublié.
Donc ce "errer", dans le contexte où il apparait dans votre citation, nous prouve bien qu'il existe un second verbe, venant de itinerare ,voyager, vagabonder, courir de çi de là, par monts et par vaux.
"itinerare" pourrait-il avoir été formé de "iter" et de "errare", se tromper de chemin, d'où "errer" ?
Merci de me l'avoir fait découvrir.
Dernière édition par jacklouis le Thursday 14 Feb 08, 23:31; édité 1 fois |
|
|
|
|
giòrss
Inscrit le: 02 Aug 2007 Messages: 2778 Lieu: Barge - Piemont
|
écrit le Monday 11 Feb 08, 11:46 |
|
|
"Errer" dans le sens de faire un erreur n'est pas vagabonder dans le monde de l'erreur? Dans les tenebres?
Et puis, attention...comme avait juxtement dit Piroska "errare" dans le sens de vagabonder,existait dejà en latin.
L'origine etymologique n'est pas en relation avec "itinerare", mais avec une racine IE que signifique "obscur".
D'autre part, "errare" en italien peut être substitué par "andare alla cieca" (aller à l'aveugle...sans savoir où on va).
Alors, il n'y a pas deux origine differentes par "errare"=faire des erreurs et "errare"=vagabonder. |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Monday 11 Feb 08, 13:10 |
|
|
C'est très intéressant et vous avez peut-être raison, Giórss.
En tout cas, ce que vous dites est logique et poétique à la fois. En ce qui me concerne, c'est tout-à-fait à mon goût, mais tout cela me rend perplexe (je ne suis pas sûre qu'il faille éliminer "iter" et j'attendrais quand même — pour être sûre — l'avis d'un indoeuropéaniste ou plutôt d'un eurindianiste…
Dernière édition par Piroska le Monday 11 Feb 08, 13:13; édité 1 fois |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Monday 11 Feb 08, 13:13 |
|
|
Je laisse à giòrss son point de vue sur l'unicité ou non de l'errare italien et à jacklouis le sien sur le caractère obsolète du français erre (le mot est relativement banal dès qu'on parle de manœuvres portuaires ou de la difficulté de freinage des pétroliers géants), il a bien existé deux thèmes « erre- » en français et d'origine différente, même si, probablement dès le latin, l'un a légèrement contaminé le sens de l'autre …
• errō, errāre au sens propre « errer, aller à l'aventure », utilisé par Cicéron pour rendre par errantēs le grec plánētes (planètes = errantes), et, au sens moral, « s'écarter de la vérité, se tromper ». Le verbe a subsisté dans toute la romanité, sauf en roumain, et généralement avec les deux sens (fr. errer, errance), même si le sens moral l'emporte dans certains dérivés, comme en français : erreur, erroné, aberrant.
Le verbe est une formation en ā sur un thème *ers- que l'on retrouve exactement dans le causatif gotique airzjan « écarter du droit chemin, égarer ».
• iter, itineris (< *itinis) (n.) est en latin un vieux nom du chemin, formé sur la racine *h₁ei- « aller » au degré zéro et le suffixe alternant *-ter-/-ten- bien attesté en hittite et indo-iranien (Benveniste, Origines …, p. 103). Le mot a des correspondants dans le hittite itar « route » et le tokharien A ytār « chemin ».
On trouve classiquement ce mot dans les expresions du type iter īre, facere, habēre « aller, faire, suivre son chemin ». Dans la basse latinité des dérivés ont été créés, les uns sur les cas obliques, itineror « voyager » (= grec hodoiporéō), itinerārium « itinéraire », un autre sur le nominatif-accusatif, iterāre « faire son chemin ».
C'est ce dernier verbe qui a donné en ancien français les formes successives edrer, esrer, errer d'un verbe qui ne subsiste plus en français moderne que dans le participe « errant » d'emploi figé dans deux expressions :
- « chevalier errant » désignant un chevalier sans terre et voyageant d'aventure en aventure afin de redresser des torts, essentiellement un personnage de roman ;
- « le Juif errant », nom donné au personnage Ahasverus de la mythologie chrétienne.
Enfin, sur ce verbe a.f. errer, a été formé le déverbal féminin erre « allure, trajectoire, élan », avec un emploi au pluriel, erres, pour les traces laissées par un gibier.
Il n'y a dans erre, itinéraire ou a.f. errant aucune notion d'erreur. |
|
|
|
|
Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
|
écrit le Monday 11 Feb 08, 13:19 |
|
|
Merci, Outis, je suis enfin soulagée. Il y avait des ténèbres dans ma tête…
C'est clair maintenant. Je me doutais d'une contamination, mais je n'ai pas le temps de réfléchir maintenant…
Et puis une petite remarque : le mythe du Juif errant est une invention de l'Occident médiéval : il n'existe pas dans l'orthodoxie chrétienne. |
|
|
|
|
|