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Divinités anciennes de la Grèce et de l'Inde, leurs noms - Cours & Documents - Forum Babel
Divinités anciennes de la Grèce et de l'Inde, leurs noms

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Outis
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Messageécrit le Monday 03 Oct 11, 9:32 Répondre en citant ce message   


E. Dionysos


Ce dieu qui a longtemps été considéré comme un dieu récent (il prend tardivement la place de Hestia dans la liste canonique des Douze Dieux) et importé de Thrace, a retrouvé avec la découverte d'un génitif di-wo-nu-so-jo dans des tablettes mycéniennes de Pylos (PY Xa 102, Xb 1419) une ancienneté plus compatible avec sa théologie puisqu'il entrait depuis longtemps dans des relations binaires fortes avec d'autres divinités du Panthéon grec.

D'abord, son alternance avec Apollon dans la possession du sanctuaire de Delphes où le péan apollinien de l'été cède chaque automne la place au dithyrambe dionysiaque de l'hiver. Une dualité tôt repérée et qui servira d'articulation et de premier chapitre à la Naissance de la tragédie (Die Geburt der Tragödie aus dem Geiste der Musik, 1872) de Friedrich Nietzsche.

Le secret gardé par les initiés nous empêche d'en connaître le détail précis, mais sa présence est bien attestée auprès des Deux Déesses dans les célébrations des Mystères d'Éleusis et Pindare va jusqu'à le nommer « parèdre de Déméter » (πάρεδρον Δαμάτερος, Isthmique VII, v. 3). Et, même si une théologie de la mort et de la renaissance y jouait probablement le rôle principal, on n'a pas manqué d'y voir une association du blé et de la vigne, le pain et le vin comme les deux nourritures sacrées de l'homme.

Moins analysée a été l'étrange dualité entre Dionysos et Héraklès, les deux dieux à carrière humaine, tous deux nés dans cette Thèbes qui est la ville des grands mythes, tous deux nés et morts sous le signe du triple, tous deux, comme Aristophane le montre clairement dans Les Grenouilles, ayant pouvoir sur les Enfers.

Les formes du nom

En dépit de quelques difficultés mineures d'ouverture du o, les variantes du nom (mycénien, ionien-attique Διόνῡσος, homérique Διώνῠσος, éolien Διόννυσος) permettent de poser une forme primitive *Diwosnusos (ū ou ŭ) où l'on reconnaît un composé dont le premier terme est le nom de Zeus sans qu'on puisse préciser s'il s'agit du génitif diwos- (comme dans Διόσκουροι « Dioscures ») ou du thème non fléchi diwo- (comme dans Διομήδης « Diomède »).

Le second terme est plus obscur. Les Anciens y ont vu le nom d'une ville mythique, Nysa, où le dieu serait né, les hellénistes du XIXe siècle y ont vu un supposé thraco-phrygien *nysos « jeune homme », mais sans qu'aucun argument définitif ne vienne étayer l'une ou l'autre hypothèse.

Comme souvent, ce ne sera que par une analyse sémantique préalable, c'est-à-dire une étude de la nature et de la fonction du dieu, qu'on pourra éclairer son nom si, comme il est raisonnable de le penser, celui-ci est la trace d'une ancienne épiclèse. C'est donc le moment d'aborder la protohistoire de Dionysos.

Un dieu hivernal, un dieu du lierre

Non seulement Dionysos était à Delphes le dieu présent en hiver, mais c'est en cette même saison que se déroulait le cycle de ses grandes fêtes, Dionysies aux Champs (Décembre-Janvier), Lénéennes (Janvier-Février) et Anthestéries (Février-Mars) pour les plus anciennes.

Or, si cette saison n'a guère de rapports avec la vigne, elle en a de forts avec le lierre puisque c'est alors, au contraire des autres plantes, qu'il fleurit et fructifie. Ce n'est donc pas un hasard si le dieu est parfois appelé Κισσοφόρος « Porteur de lierre », voire Κίσσος « Lierre » et si cette plante est tant présente dans la symbolique de Dionysos : couronnes, décoration du thyrse, motifs de vases :



Représentations où l'on remarquera la quasi impossibilité de distinguer entre vigne et lierre quand ils ne sont pas figurés ensemble. En particulier, la dernière image serait immanquablement interprétée comme un motif de vigne et de grappes si l'on n'y reconnaissait pas un thème dont témoigne la littérature et où le dieu se manifeste à bord d'un navire pirate, suscitant un immense lierre qui se déploie dans la mâture, portant fleurs et fruits :
[quote:9b6bdeb56c="Homère (Hymne à Dionysos, 40-41)"]ἀμφ᾽ ἱστὸν δὲ μέλας εἱλίσσετο κισσὸς
ἄνθεσι τηλεθάων, χαρίεις δ᾽ έπὶ καρπὸς ὀρώρει·

autour du mât, sombre s'enroula le lierre,
de fleurs couvert en abondance, et sur lui le fruit gracieux se forma.[/quote:9b6bdeb56c]
On s'étonnera à juste titre devant l'accent mis sur cette fructification et l'adjectif χαρίεις (< *kʰari-went-) « riche en joie, plaisir, grâce » qui lui est attribué, alors que nombre de personnes n'ont même jamais prêté attention à ces petites grappes que le mûrissement hivernal conduit du vert au violet sombre :



Les parallèles indiens

J'ai présenté dans le sujet « identification linguistique de la plante soma » un certain nombre d'arguments tendant à montrer que le lierre, Hedera helix, est probablement la plante qui se cache en Inde sous le nom de soma ou, tout du moins, qui s'y cachait à une époque proto-historique. Cette identification est un des éléments qui me conduisent à penser qu'il existe une correspondance de structure entre le couple de dieux indiens Agni/Soma et le couple grec Héraklès/Dionysos comme représentant la dualité complémentaire du feu et de l'eau dans le cycle du sacrifice, celui-ci étant vu comme un échange se déroulant entre ciel et terre sur le chemin de l'axis mundi.

En Grèce, où le feu s'est déplacé sur les figures de Prométhée et d'Héphaïstos, ce schéma a presque entièrement disparu et le rapport d'Héraklès avec le feu ne survit que dans de rares traces, dont la plus visible est sa triple mort divinisante par les trois formes du feu qui sont celles d'Agni en Inde :
- le soleil qui active le poison brûlant de la tunique ;
- le feu du sacrifice qui est le bûcher de l'Œta où monte le héros ;
- la foudre de Zeus qui achève son apothéose.

La survivance chez Dionysos des traits de Soma est beaucoup plus présente dans l'usage de l'orgie et de l'ivresse obtenue par la consommation de boissons excitantes. Si on se souvient alors que le soma indien est principalement bu par les dieux guerriers auxquels il donne la force et l'énergie de vaincre les démons, il est possible de considérer que, la baie gonflée (d'abord du lierre, puis de la vigne) devant être pressée pour exprimer son suc, la fonction de ces dieux est bien de nourrir, d'allaiter le dieu guerrier du ciel.

Il faut noter aussi que le pressurage de la baie de lierre éclaire trivialement ce qui restait un mystère, le nom de la fête des Lénéennes (Λήναια). En dépit du rapport clair de ce nom avec ληνός « pressoir », sa date en plein hiver posait un gros problème, ce qui avait même conduit Chantraine à rejeter comme « étymologie populaire » le rapport entre les deux mots.

Si, en Inde védique, le dieu guerrier du ciel reste essentiellement Indra, en Grèce, l'accession de Zeus à la souveraineté a reporté ses exploits de nettoyeur du monde sur son dernier et meilleur fils, celui qu'il a conçu dans une nuit durant trois nuits : Héraklès. De même qu'Indra est sans cesse glorifié dans les hymnes pour avoir libéré « les Eaux et les Vaches » des démons qui les retenaient, celles-ci sont au centre de nombreux Labeurs du héros (Hydre de Lerne, Oiseaux du Stymphale, Bœufs de Géryon, etc.). S'étonnera-t-on alors de l'affinité d'Héraklès avec la fureur et avec la vigne ? Même dans une œuvre comme l'Alceste d'Euripide où les mystères de la mort sont évoqués avec douleur, il reste avant tout le plus grand des ivrognes !

Ce rôle proto-historique de Dionysos, fournir l'ivresse divine, justifie, je crois, d'interpréter son nom au moyen de la racine *(s)neh₂-u- « dégoutter, allaiter, nourrir ».

La racine *(s)neh₂-u-

grec
νάω (< *νάϝ-yω ou *νάϝ-ω) « couler », se dit le plus souvent d'une source :

δήομεν ἀγλαὸν ἄλσος Ἀθήνης ἄγχι κελεύθου
αἰγείρων· ἐν δὲ κρήνη νάει· ἀμφὶ δὲ λειμών.

Nous trouverons au bord du chemin le beau bois d'Athéna,
de peupliers noirs ; dedans coule une source, et autour une prairie humide. (Odyssée, 6, 291-292)


Mais on trouve aussi des usages qui n'évoquent qu'un faible débit :

ναῖον δ᾽ ὀρῷ ἄγγεα πάντα
et toutes les faisselles dégouttaient de petit-lait (Odyssée, 9, 222)
[note : le grec ἄγγος est susceptible de désigner toute sorte de récipients, ici le contexte (l'antre du Cyclope) impose les paniers à trous où s'égoutte le fromage]


On dispose aussi de deux gloses qui attestent des degré o et zéro de la racine :
νόα· πηγή. Λάκωνες « nóa : source. Laconien » (*now-)
ἔννυθεν· ἐκέχυντο « énnuthen : « ils coulèrent » (*en-nu-)

sanskrit
snauti (< *snāu-ti, adj. verb. snu-ta-) « dégoutter, sourdre, couler, ruisseler, suinter, perler » (« drip, distil, trickle, emit fluid, yield milk », « trieft, tröpfelt, entläßt Flüssigkeit »)
On notera aussi le composé védique ghṛta-snu- « ruisselant de beurre fondu » appliqué souvent à Agni en raison des offrandes de beurre faites dans le feu.

latin
nūtriō « nourrir de son lait > nourrir »
La forme nūtricō est attestée plus anciennement et, malgré les doutes de Ernout et Meillet, pourrait être une formation populaire sur nūtrīx « nourrice » (noutrix sur une inscription, nŭtrīx supposé par les formes romanes) formé directement sur la racine avec un suffixe classique de noms d'agents féminins (fr. -trice).
Un *nuō « j'allaite » n'aurait pas survécu dans la concurrence avec nuō « je fais un signe de tête » (> nūmen « puissance divine »).

On n'attachera pas trop d'importance à la nature du fluide, lait ou eau, que la racine verbale fait sourdre, un mot comme le neutre sanskrit payas « lait, eau, pluie, sperme » est aussi utilisé pour désigner le lait issu du broyage de plantes dont surgira la liqueur d'immortalité (amṛta- « ambroisie ») dans le mythe du Barattement de la Mer de Lait (Viṣṇupurāṇa, 9, 100) : il y a une permutabilité sémantique banale entre tous les liquides porteurs de force vitale.

Je poserai donc une formation de nom d'agent en *-t- des composés selon un modèle courant :
skr. pṛthivī-kṣi-t- « roi (= le gouverneur de la terre) »,
lat. sacerdōs (< *sacer-dʰō-t-) « prêtre (= l'établisseur du sacré) »,
grec ὠμοβρώς, -ῶτος (ōmo-brō-t-) « le mangeur de chair crue » :
Et donc ici, *diwo-snu-t- « l'allaiteur de Zeus », où le s initial de la racine se maintient après voyelle,
et un adjectif secondaire donnant une ancienne épithète : *diwo-snu-t-io- > diōnuso-, devenue le nom usuel du dieu.

Χαῖρε, τέκος Σεμέλης εὐώπιδος· οὐδέ πῃ ἔστι
σεῖό γε ληθόμενον γλυκερὴν κοσμῆσαι ἀοιδήν.
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