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La frontière oc-oïl entre Limousin et Berry par la toponymie - Forum langue d'oc - Forum Babel
La frontière oc-oïl entre Limousin et Berry par la toponymie

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Invidia



Inscrit le: 24 Jul 2008
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Messageécrit le Saturday 02 Jan 10, 22:45 Répondre en citant ce message   


La frontière administrative entre Creuse et Indre reprend la division antique entre les diocèses de Limoges et de Bourges, eux-mêmes les héritiers des cités celtes des Lemovices et des Bituriges.

Prenons deux localités-test : Genouillac dans la Marche limousine, Crevant dans le Berry méridional. Analysons les toponymes des deux entités.

- Genouillac :

Les thèses celtiques reviennent en force. Après avoir voulu voir pathologiquement des noms de propriétaires terriens dans tous les radicaux, on en revient aux thèses descriptives. Si en effet, tardivement, le suffixe -acu a pu jusqu'au Haut-Moyen-Age être associé à un nom de personne, le vieux stock est
essentiellement descriptif.

Ainsi, Genouillac, plutôt qu'un homme gallo-roman Gennulius reconstitué, doit tirer son origine directement du *gen celtique qui a donné genista en latin : genêt. Le montage n'est pas tout à fait explicable mais "genêtière" est tout de même un sens plus acceptable que de voir des possessions gallo-romaines partout.

Le fait que l'on retrouve un Genouillac en Charente limousine n'est pas anecdotique quant au passé commun celto-latin. Il y a également Genolhac dans les Cévennes. Et une quantité importante de Genouilly d'oïl.

Notez que ce suffixe -acum, orthographié -ac, est localement prononcé -a. On trouve également parfois -at qui a été l'étape précédant la disparition totale de la consonne finale, ainsi qu'en atteste la prononciation en gascon du Libournais : Fronsac est prononcé Frounçat, et le dérivé est Fronsadais et non Fronsaguais. Phénomène assez classique en oc de confusion des finales c/t. L'amuïssement total annonce clairement la solution oïlique en -ay d'avant fermeture en -ey/y.

Je n'ai jamais trouvé d'explication satisfaisante sur le sort de -acum en oïl. La toponymie de l'Indre laisse entrevoir une confusion avec
les suffixes romans -ay/-et (tiré de -etum en latin). Lurais est anciennement Ludriacus, Luzeret est Luzerech, Champillet est Campiliaco, Maillet est Mailliaco, Urciers (!) est Utriaco. On peut imaginer que l'oïl a confondu à une époque c et t finaux et que dès lors, le suffixe -acu a subi les mutations de -etum.

Etudions en détail les lieux-dits, issus évidemment de la langue locale "marchoise" : il n'en reste pas moins intéressants sur ceux qu'ils disent quant à la répartition de telles formes ailleurs.

- Le Pâtural : 4 attestations en France, une à Vocance en Ardèche arpitane, deux autres dans le département de la Loire, une dernière dans le Puy-de-Dôme entre Ambert et Saint-Etienne. Je trouve ridicule de restaurer une forme "lo pastural". L'IGN est une base de données sérieuse qui relève les lieux-dits selon deux traditions : via les données des autochtones et via les anciennes cartes. Ainsi en Béarn, de nombreux lieux-dits sont écrits selon les
règles béarnaises par respect de la tradition écrite. Idem dans les pays limousophones notamment pour ce qui concerne le x. Bref, l'attestation sur les cartes d'Etat-Major de l'usage de l'accent circonflexe est la preuve que cette graphie est socialisée in situ.

- Le Bréjaud : tous les dérivés sur cette base sont en "Pictavie" : La Bréjaudais en Loire-Atlantique, La Bréjaudière en Vendée, Les Bréjauds à Availles-
Limouzine dans le Poitou (marchois). On peut penser à une métathèse sur berge (qui a fourni de nombreux patronymes : Brégeat, ...) avec suffixe diminutif
généralisé graphiquement en -aud ou suffixe qualitatif -alem.

- Les Chiers : toponyme alverno-limousin concentré en Creuse et dans le Velay.

- Chanteranne : toponyme limousin, équivalent de Canteranne en vraie Occitanie (chante-grenouille). La palatisation, c'est déjà le domaine d'oïl. Ce phénomène est loin d'être anodin, il détermine véritablement un gallo-roman médian. On ne palatise plus en gallo-roman septentrional, c'est vrai,
mais il y a des centaines de kilomètres qui séparent la Normandie de Bergerac (là où cesse la palatisation), et on sait que le substrat normando-picard est particulier.

- Rebouyer : toponyme limousin

- Marcibeau : attestation unique à Genouillac, une famille noble du coin s'appelle Biarnois de Marcibaud.

- Montchauvon : attestation à Echimiré en Anjou. Façon, ça signifie juste "petit mont chauve". Quelque chose qu'en vrai oc, on dit Moncaubet/Moncalbet. Probablement prononcé localement [monchauvon], même s'il est possible que dans un état antérieur de la langue, la solution limousine [mounchauvou] ait été choisie. Montchauvet n'est attesté nulle part en Limousin, par contre, c'est une commune du Calvados et une autre des Yvelines. Au fond, on en revient toujours à la même problématique : on fait en même temps la preuve de la grande unité des langues romanes pour décrire l'univers des hommes (Montecalvo, ...) et la grande disparité entre les langues romanes du Massif Central et les langues méridionales de Gaule dans la déformation des étymons latins.

- La Chaussetière : avec ce suffixe, c'est en effet la seule attestation. Par contre, "La Chaussetrie" dans l'Indre, "La Chaussetterie" près d'Issoudun, idem dans le Maine-et-Loire près de Chalonnes.

- Prébourgnon (écrit comme ça sur la carte IGN) : c'est bien le pré d'un dénommé Bourgnon, pré est une forme oïlique, Bourgnon un patronyme creusois de distribution oïlique en toponymie également.

- Beaufond : oui sauf qu'écrit "Beau Fond", seulement des attestations en Arpitanie.

- Les Charderies : une attestation en pays gallo, deux en Bourgogne.

- Les Mousseaux : super-oïlique

- Les Fromenteaux : limousino-poitevin

- Verrines : oïlique et limousin


Dernière édition par Invidia le Saturday 02 Jan 10, 22:53; édité 1 fois
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Invidia



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Messageécrit le Saturday 02 Jan 10, 22:48 Répondre en citant ce message   

Aigurande, du celtique icoranda, marque la frontière entre les peuples des Lemovices et les Bituriges. La persistance via la différenciation oc-oïl de cette frontière ethnique est loin d'être anodine. Crevant est l'une des premières communes berrichonnes en venant du Limousin sur la route Guéret-Le Châtre.

Analysons la toponymie de Crevant :

- Les Ybaudons : seule attestation en France, probablement diminutif sur le prénom germanique Ibald (qui a été porté en de nombreux endroits d'Occident, par exemple en pays Nissart sachant que la grande majorité des patronymes provençaux est formée sur des prénoms médiévaux germaniques).

- Les Brandes : difficile à dire s'il s'agit d'un dérivé du prénom germanique Brand ou bien du terme latin d'origine celte branda=clairière de bruyères. Plutôt méridional mais présent partout.

- Les Pressanges : difficile d'interprétation, "les prés ??". Plutôt un domaine latin sur Priscius et le suffixe -anica.

- Les Saulzais : lieu planté de saules, c'est une forme oïlique que l'on retrouve en Bourbonnais et dans tout l'Ouest de la France.

- Villegondoux : exploitation agricole (bas-latin villa) des Gondoux (prénom germanique Gondou) que l'on retrouve en Bourbonnais.

- Boucazeaux : altération de Bougazeau selon Stéphane Gendron, "Bois de Gazeau"

http://www.onomastique.asso.fr/spip.php?article116

- Chaumont : "Mont Chauve"

- Le Bardet : endroit boueux, terrain argileux

- Valignon : double suffixation diminutive sur val ou dérivé de Valère ?

- La Croux : forme plutôt d'oc de "La Croix"

- Les Audonnières : habité par les "Audon" (nom de personne germanique Aldo)

- Lacaud : toponyme très fréquent dans l'Indre, à mettre en rapport avec les Lacaud du Périgord, probable désignation d'un ravin

- Danjon : variante locale de donjeon

- La Tessonnière : "tanière du blaireau"

- Les Grévinières : probablement un lieu caillouteux (cf français grève)

- Moizeau : petit "Moïse" ?

- Le Plaix : désigne une "haie"

- Peuparon : probablement l'héritier du latin podium et NP Paron

- Les Braudières : chez la famille "Béraud"

- Montservet : mont + NP Servet

- Le Couzat : "houx"

- Mourières : endroit où abondent les mûres

- Les Ajasses : forme limousino-oïlique pour agasse=pie ?


La toponymie d'un tel village fait la preuve de deux choses :

- La France est une galaxie d'entités ethno-culturelles toutes différenciées. Ainsi, si cette région relève du domaine oïlique, la plupart des "répondants" toponymiques se trouvent en Bourbonnais, ailleurs en Berry et plus largement dans un ensemble centre-ouest assez cohérent.

- Derrière l'apparente fracture oïl/oc, il y a avant tout une grande unité pour les traits généraux : comme partout en Romanie, on trouve des monte(m)/podiu(m) + NP, le suffixe -ier/-ièra < -arium/-ariam pour désigner des "habitations", des villae, des lieux marécageux, des gouffres, des bois, des plantations.

Prise comme ça, le "parfum" toponymique de ce village du Berry méridional ne se distingue pas du voisin méridional. Seule la connaissance pointue des "dialectes" gallo-romans permet une autre vision.
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