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ARABE - La feuille et la fleur - Cours & Documents - Forum Babel
ARABE - La feuille et la fleur

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Papou JC



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Messageécrit le Monday 08 Aug 16, 15:09 Répondre en citant ce message   

La feuille et la fleur, ou les étymologies problématiques de ورد ward et de ورق waraq

par Jean-Claude Rolland

Avertissement : cette étude a déjà fait l'objet d'une publication, avec mises en forme, notes de bas de page et bibliographie, dans Dix études de lexicologie arabe.


1. ورد ward “fleur (plus particulièrement celle de la rose rouge)”

ورد : لسان العرب
وَرْدُ كلّ شجرة: نَوْرُها، وقد غلبت على نوع الحَوْجَم. قال أَبو حنيفة: الوَرْدُ نَوْرُ كل شجرة وزَهْرُ كل نَبْتَة

Note : الحَوْجَم al-ḥawǧam “la rose rouge”

Nous disposons dans quatre langues de quatre mots qui désignent tous la fleur ou la rose ou les deux, et qu’on ne peut éviter de mettre en rapport du fait de leurs ressemblances formelles : le persan gol, le grec ῥόδον [rhódon], le latin rosa et l’arabe ورد ward. Pour élucider l’origine de ce dernier mot, qui est ici notre seul propos, il convient néanmoins de rappeler l’état de la recherche étymologique en ce qui concerne les trois autres.

1.1. Le persan gol

Pour Ali Nourai (p. 526), non seulement gol “fleur” mais aussi les formes vard “rose”, val, vel, vol “rose, fleur”, sont issues du pehlevi vardā, vard, vart, dont il ne donne pas le sens, et qui serait apparenté à l’avestique wrad, varedha “rose” et au sogdien wrd, id. Le grec ῥόδον [rhódon] “rose” et le latin rosa “id.” sont tous deux donnés comme étant de cette même origine. Nourai donne bien l’arabe جلاب ǧulāb “julep, eau de fleur d’oranger, sirop” comme issu du persan gul-āb, “eau de fleur”, mais il oublie de citer جلّ ǧull et passe totalement sous silence l’arabe ورد ward.
Mackenzie donne bien gul “fleur, rose” comme étymon du persan gol mais ne fait aucun rapprochement. Quant aux formes – dites “pehlevi” – vardā, vard, vart de Nourai, elles n’apparaissent nulle part.
Pour Johnson, qui prévient dans sa préface qu’il a inclus dans son dictionnaire non seulement les mots arabes réellement utilisés par les auteurs écrivant en persan mais aussi un certain nombre d’autres qui seraient seulement susceptibles de l’être,
– gol : Johnson l’écrit gul et donne comme sens “rose ; fleur”. Mot persan.
– val, vel, vol : Johnson l’écrit wal et donne comme sens “fleur”. Mot persan.
– vard : Johnson l’écrit ward et donne comme sens “rose ; fleur”. Mot arabe.
En résumé, les mots persans gol (ou gul) et val sont clairement issus du pehlevi gul. Ces derniers ont, semble-t-il, et bien que Mackenzie n’en dise rien, suivi une évolution phonétique normale qui permet de les considérer comme apparentés à l’avestique wrad, varedha, au sogdien wrd, à l’arménien vard, tous issus d’une racine iranienne *wrd-. (Cf. Ernout-Meillet, article rosa). Quant à la forme vard que Nourai est le seul de nos trois auteurs à considérer comme également issue de cette source, nous penchons pour y voir plutôt une prononciation persane de l’arabe ورد ward, ce qui est explicitement l’avis de Johnson et implicitement celui de Mackenzie.

1.2. Le grec ῥόδον [rhódon]

Au terme d’une très minutieuse recherche, Michel Masson (Le nom de la rose : problème d’étymologie grecque, Kentron, 1986, p. 61 à 71 ) met à mal l’hypothèse de Schulze – reprise depuis par tout le monde, dont Ali Nourai – selon laquelle le grec ῥόδον [rhódon], qui désigne la “rose”, serait de cette même origine iranienne que nous venons de voir. Pour Masson cependant, le grec « est plus probablement un emprunt à une langue sémitique », la même langue d’où serait également issu l’arabe ورد ward. Nous y reviendrons.

1.3. Le latin rosa

Pour Ernout et Meillet, article rosa, « il y a manifestement un rapport avec le grec ῥόδον [rhódon] [...] et le mot iranien *wrd- représenté par le persan gul et par l’emprunt arménien vard qui désignent la même fleur. Une origine indo-européenne est exclue ; rien n’indique un emprunt du latin au grec. Emprunt à une civilisation méditerranéenne où la plante aura été cultivée [...] ; peut-être sémitique. »
Autrement dit, quelle que soit l’origine de ῥόδον [rhódon], celle de rosa est différente. Et si rosa est d’origine sémitique, ce qui est bien possible, c’est par un autre cheminement que le grec.

1.4. L’arabe ورد ward

a. L’hypothèse de l’emprunt : elle a été signalée par Lane : « Said to be an arabicised word ». Et retenue par Rajki qui voit dans ورد ward un emprunt à l’arménien vard, mot dont on sait par Meillet, grand spécialiste de la linguistique arménienne, qu’il est d’origine iranienne (voir ci-dessus).
Auquel cas l’arabe aurait emprunté les deux formes d’un même mot à l’iranien *wrd- : la forme ورد ward par l’intermédiaire de l’arménien – si l’on en croit Rajki –, et la forme جلّ ǧull par l’intermédiaire du pehlevi. C’est alors tout à fait fortuitement que la première forme empruntée se trouverait placé par les lexicographes arabes et orientalistes aux côtés du verbe ورد warada et de ses dérivés.
b. L’hypothèse sémitique : s’il est vrai que le grec ῥόδον [rhódon] et le latin rosa sont d’origine sémitique, il serait bien étonnant que l’arabe ورد ward ne le soit pas aussi. Dans cette hypothèse, un premier cas de figure possible est que ce mot soit tout simplement un dérivé de la racine ورد √wrd ; c’est l’hypothèse de Michel Masson, sur laquelle nous allons maintenant revenir.

1.5. L’arabe ورد ward comme dérivé de la racine ورد √wrd

Pour Michel Masson, l’arabe ورد ward “serait à rattacher à l’ensemble de la racine √wrd qui, étant bien attestée dans des langues comme l’hébreu biblique et l’accadien, ne peut être considérée comme un emprunt.” (p. 68).
À partir de données relevées dans diverses langues sémitiques, Masson croit pouvoir affirmer que la racine √w/yrd a le sens général de “aller jusqu’au bout, s’engager à fond”, et deux sens spécifiques 1. “aller jusqu’au bout d’une étape” et 2. “arriver au bout d’un processus naturel”. D’où le glissement sémantique qui irait de ورد warada descendre la pente pour aller à l’eau, à l’abreuvoir ; arriver dans un lieu à ورد warada fleurir (en parlant d’un arbre).
Corrigeons tout de suite une petite erreur : ce n’est pas la forme I mais la forme II ورّد warrada qui a le sens de fleurir, et c’est évidemment le verbe qui dérive du nom. Idem pour le couple synonyme نور nawr / نوّر nawwara.
À l’appui de sa démonstration, Masson donne quatre exemples dans lesquels, pour une même racine, le verbe a – comme ورد warada – le sens de “parvenir, arriver, descendre, croître” et un dérivé, celui de “mûrir, récolte, fruit”. On dira que ورد ward n’est pas vraiment un fruit. Masson a prévu la critique :
Certes, dans les quatre exemples que nous venons de citer, ce qui “arrive au bout d’un processus naturel”, ce sont des fruits et non des fleurs. Mais si, au nom de ce distinguo, on refusait notre démonstration, il faudrait en tirer la conséquence et affirmer gravement que, par exemple, en gheze, fere “fruit” n’a rien de commun avec fere “fleur” ou qu’un autre mot gheze signifiant “fleur”, abba, serait distinct de l’araméen ibba “fruit”...
Notre auteur aurait pu ajouter un cinquième exemple, et non des moindres, celui du verbe نوّر nawwara lui-même qui a non seulement le sens de fleurir mais également ceux de avoir déjà le noyau formé (se dit des dattes) et avoir déjà l’épi rempli de grain (se dit des céréales qui mûrissent).

Nous n’avons pas d’argument à opposer à cette hypothèse. On peut tout au plus constater que le couple ورد ward / ورّد warrada est très isolé au sein de la racine ورد √wrd, ce qui est un peu moins le cas du couple synonyme نور nawr / نوّر nawwara au sein de la racine نور √nwr où, avec le même sémantisme, on trouve en outre :

أنار ’anāra fleurir, être en fleur (se dit d'une plante)
نوّارة nuwwāra n. d'unité de نوّار nuwwār une fleur
منوّر munawwar camomille en fleur

Ce n’est pas non plus une très longue liste mais c’est une assez bonne garantie que نور nawr n’est probablement pas un emprunt.

Isolé au sein de la racine ورد √wrd, le nom ورد ward l’est également du point de vue sémantique au sein des autres langues sémitiques. Tout ce que nous avons trouvé d’approchant, c’est l’akkadien wardatu “fille, jeune femme, jeune fille, vierge” et sa forme masculine wardu “esclave”. Ce mot ne semblant pas avoir de rapport avec le verbe warādu “descendre”, serait-il simplement une variante de ولد walad ou bien une anticipation de la vision proustienne des “jeunes filles en fleur” ? Nous laissons la question en suspens jusqu’à plus ample informé.

1.6. L’arabe ورد ward comme terme de botanique

Si ورد ward n’est pas un dérivé de la racine ورد √wrd, il pourrait bien, effectivement, être un nom-base appartenant à une série de termes de botanique avec lesquels il partagerait quelque caractéristique formelle . Si tel était le cas, on devrait pouvoir trouver en arabe un certain nombre d’autres noms-bases ou racines ayant à voir avec la botanique et dotés d’une forme proche de celle de ورد ward. Nous avons commencé par le bilitère WR- et nous avons trouvé ceci :

ورّ warr produits, récolte de l'année (en céréales ou en fourrage)
ورس wars wars, plante tinctoriale
ورّض warraḍa parcourir un pays pour choisir des pâturages pour ses troupeaux
ورف warafa être d'une belle et brillante verdure (se dit d'une plante) – رفة rifa plante d'une belle verdure – رفة rufa figue
ورق waraq feuilles, feuillage (d'arbre) – رقة riqa première pousse des plantes

Pour le même bilitère, osons la position finale -WR :

شورى šawrā espèce de plante marine.
غار ġār feuilles de la vigne ; espèce d'arbre qui produit une résine
نور nawr (Voir plus haut)

Allons plus loin, osons la réversibilité avec RW- et -RW :

روبة rawba, rūba bon terrain couvert de plantes et d'arbres
رات rāt, روّات ruwwāt paille
راح rāḥ plateau, terrain plat et élevé, couvert d'une riche végétation
راح rāḥa être en feuilles (se dit d'un arbre)
روضة rawḍa jardin couvert d'une riche végétation, de fleurs, de légumes
عروة ‛urwa arbres dont le feuillage ne tombe pas l'hiver. De là arbres couverts de feuilles parmi lesquels les chameaux passent l'hiver, et dont ils mangent l'écorce
عروان ‛urwān plantes qui conservent leur feuillage pendant l'hiver

Ajoutons, pour faire bonne mesure, les formes akkadiennes ayyaru, iyaru, yaʾru, yaʾuru “fleur ; rosette”.

Certes, nous n’épuisons pas ainsi le vocabulaire arabe de la botanique mais cette petite récolte ne nous semble pas pour autant insignifiante. Le domaine des noms-bases restant largement à explorer, nous avons souhaité y faire à nos risques et périls cette aventureuse et timide incursion. C’est une piste qui s’ajoute à celle proposée par Michel Masson, elle n’a pas la prétention d’être plus sûre et encore moins de la remplacer.

2. ورق waraq “feuilles, feuillage (d'arbre)”

L’origine sémitique de la racine ورق √wrq est indubitable : chaque langue fournit à l’arabe un cognat : l’akkadien araqu, warqu, warāqu, marqītu l’hébreu yārōq יָרוֹק , le syriaque yūrāq et yarqa, l’amharique waraqat et warq, l’ougaritique yrq, etc. Le sens de tous ces mots oscille entre la désignation des feuilles, de l’herbe ou des légumes et celle d’une couleur vert-jaune qui est la couleur par essence de ces objets naturels. Selon toute probabilité, comme dans d’autres cas bien connus, le sens “vert, jaune” est second et issu du sens “feuille, herbe”.
On comprend alors pourquoi l’avestique varaka, varekahe, le pehlevi warg, walg et le persan barg, qui tous désignent la feuille, ne sont probablement pas d’origine indo-européenne mais sémitique, ou plus probablement encore qu’ils se joignent à la famille sémitique vue plus haut pour remonter tous ensemble à une très ancienne origine commune... laquelle est peut-être – simple hypothèse – la même que celle des mots latins vereo “verdir” et virgo “vierge”, encore sans étymologie. L’arabe ayant beaucoup emprunté au pehlevi, on pourrait penser que ورق waraq est issu du pehlevi warg mais le parallélisme forme / sens que l’on constate ici entre ces deux mots ne fait que conforter l’hypothèse d’un probable ancêtre commun.
On ne court pas grand risque à rapprocher ورق waraq d’autres mots construits sur la séquence RQ et qui, dans la plupart des langues sémitiques, désignent la minceur ou la finesse, cette autre caractéristique de la feuille. Comme pour cette couleur vert-jaune, il y a fort à parier que l’idée de minceur est née elle aussi de l’aspect de la feuille.
Il y a plus : comme nous l’avons vu plus haut à propos du nom arabe de la rose, il n’est pas impossible qu’à partir de ce mot ورق waraq la langue ait également développé une série de termes de botanique en WR.
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