embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Saturday 26 Apr 14, 11:27 |
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Esquisse et sketch sont des doublets, tous deux issus de l’italien schizzo, ébauche de dessin ou de peinture, par des voies différentes. Nous avons directement emprunté le mot à l’italien, tandis que les Anglais ont fait venir leur mot sketch du néerlandais schets ou de l’allemand skizze, venus aussi de l’italien.
L’anglais sketch, qui avait pris dès la fin du XVIIIe le sens de scène dialoguée généralement rapide et comique, a été importé en français vers la fin du siècle suivant.
À lire le TLFi, le mot esquisse n’a pas une étymologie passionnante :
Citation: | Étymol. et Hist. 1642 esquisse (Oudin), Empr. à l'ital. schizzo « ébauche (d'un dessin, etc.) », attesté dep. début xvies. (Berni ds Tomm.-Bell.), d'abord « tache que fait un liquide qui gicle » (dep. xives., Boccace, ibid.), déverbal de schizzare « jaillir, gicler », d'orig. onomatopéique (FEW t. 12, pp. 6-7); le got. *slîtjan « fendre, faire éclater » (cf. éclisser) proposé comme étymon de schizzare (Barb. Misc. 10, no5; EWFS2) ne convient pas du point de vue phonétique. |
Circulez, il n’y a rien à voir.
Treccani mentionne aussi cette origine onomatopéïque de l’italien schizzare, gicler, d’où le schizzo, la giclure, le premier jet.
Il est étonnant que le TLF ne mentionne pas, ne serait-ce que d’un point de vue historique, une étymologie qui a longtemps eu les faveurs des dictionnaires et n’est pas abandonnée par tous, celle qui dérive l’italien schizzo du latin schedium, poème improvisé, impromptu, substantif neutre tiré de l’adjectif schedius ou schedios, fait à la hâte, lui-même du grec σχέδιος (skhédios), à la hâte, soudainement.
C’est par exemple l’étymologie mentionnée par Scheler :
mais également plus tard par Clédat, Bloch & Wartburg, Walter, Picoche et encore récemment dans le DHLF, quelquefois en concurrence avec d’autres hypothèses.
Cette étymologie est encore citée dans Etymonline à sketch :
Citation: | "rough drawing intended to serve as the basis for a finished picture," 1660s, from Dutch schets or Low German skizze, both apparently 17c. artists' borrowings from Italian schizzo "sketch, drawing," which is commonly said to be from Latin *schedius (OED compares schedia "raft," schedium "an extemporaneous poem"), from or related to Greek skhedios "temporary, extemporaneous, done or made off-hand," related to skhema "form, shape, appearance" (see scheme (n.)). But according to Barnhart Italian schizzo is a special use of schizzo "a splash, squirt," from schizzare "to splash or squirt," of uncertain origin. |
Le dictionnaire étymologique anglais d’Oxford donne la même origine.
Pour l’italien, c’était aussi le cas dans ce vieux dictionnaire étymologique :
Pour l’allemand, Pfeifer, à skizze, raconte sensiblement la même histoire, en disant finalement que les deux origines, onomatopéïque et latine, ont pu se superposer.
L’origine latine était déjà l’hypothèse de Diez :
On est surpris du silence du TLFi sur cette hypothèse largement répandue, qu'il aurait dû mentionner plutôt que celle, isolée, d'un rattachement à la famille d'éclisse.
Et ce grec σχέδιος (skhédios), à quelle famille le rattacher ? Nous voilà perplexes : Picoche nous renvoie à ekhein, à consulter sous "époque". Etymonline nous renvoie à scheme. Dieu merci, c’est la même famille, rattachée à un radical *segʰ- , saisir, tenir, dont nous avons déjà parlé dans le MDJ Eunuque et qui nous a valu :
- par le grec : époque, étique, hectique, cachexie, entéléchie, ischémie et schéma.
- par le germanique : le premier élément, signifiant victoire, des prénoms Siegfried, Sigmund et Sigismund (cf. allemand der Sieg)
Un élargissement en « l » du radical a donné le grec skholê, arrêt, loisir, étude, école, et donc nous a valu nos école, scolaire, scholastique.
Mais sans aller si loin dans la famille, le grec σχέδιος (skhédios) est à rattacher plus directement à σχεδόν, skhedόn, près, proche (sens local et temporel), à peu près ; son sens s’est développé à partir de "qui se trouve près, prochain, immédiat, rapide, courant, ordinaire, improvisé". Comme l’écrit Chantraine : « Les mots du grec tardif signifiant « improvisation, esquisse, projet » (cf. σχεδόν) ont fourni au latin schedium, d’où scheda « page ». […] Au sens de page, le mot a subi l’influence de σχίζω , mais il n’y a pas lieu de poser à l’origine un grec * σχίδη.» Nous voilà renvoyés dans le fil MDJ Cédule/Schedule et à cette influence de la racine σχίζω, skhízō qui a également été invoquée parfois pour l’étymologie de l’italien schizzo.
En matière d’étymologie, les fausses pistes sont nombreuses et l’on est rarement sûr de quoi que ce soit. La vérité d’un jour devient erreur le lendemain, et vice-versa.
Parmi les étymologies qui eurent cours et sont aujourd’hui abandonnées, il y a celle qui rattache l’italien schizzo au grec σκιάζω, skiázō couvrir d’ombre, de la famille de σκιά, skiá, ombre. (cf. le MDJ oura (grec)). Le verbe grec pouvait s’employer en peinture pour signifier "ombrer". Il n’y a qu’un pas vers "esquisser", au point qu’on le dit en latin adumbrare, qu’on retrouve dans l’anglais to adumbrate. Le rapprochement était donc tentant et on ne s'étonnera pas de le trouver chez Ménage. Le français adombrer et adombrement est utilisé dans des contextes plus ésotériques.
Une dernière observation sur le genre de notre mot du jour, esquisse. Venant de l'italien schizzo, on pourrait s'attendre à ce qu'il ait été masculin. C'est bien le cas. Richelet le fait masculin dans son dictionnaire, bien qu'un contemporain observât que Richelet le faisait féminin dans sa propre conversation.
Mais l'influence de la terminaison féminine a été trop forte, et le mot est uniquement féminin pour l'Académie.
On trouve aussi dans les textes anciens "esquiche, esquicher",
(Le Premier tome de l'Architecture de Philibert de L'Orme, 1567)
qu'il faut bien se garder de confondre avec l'autre esquicher du vieux français, écraser, aussi sous la forme escachier, en français moderne écacher et conservé en provençal. Esquiche a repris du service en français technique pour désigner une « injection forcée de liquide sous pression dans un forage ». C'est un joli mot pour traduire l'anglais squeeze, mais cela apporte encore un peu plus de confusion dans l'étymologie car le mot n'a rien à voir avec les précédents. |
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