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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 19 Jul 17, 10:39 |
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Conformément à son étymologie, le mot épiclèse, en grec ancien ἐπίκλησις [epíklēsis], a le sens premier de « surnom », de ἐπί- [epi-] « sur » et de κλῆσις [klêsis] « appel », nom d'action en *-ti- formé sur le verbe καλέω [kaléō] < eurindien *k°l-eh₁- « appeler ».
Par exemple, l'emploi le plus ancien attesté est dans l'Iliade :
Homère, Il., 22.506 a écrit: | Ἀστυάναξ, ὃν Τρῶες ἐπίκλησιν καλέουσιν
Astyanax [= Prince de la citadelle] comme les Troyens l'appellent par surnom (son nom de naissance est Scamandrios) |
Ensuite, on trouve tous les emplois qui sont ceux actuels de nommer ou appeler : proclamer le résultat d'une élection, nommer à un office, etc. Dans la variante orthodoxe du christianisme, l'épiclèse, invocation au Saint-Esprit placée après l'institution de l'Eucharistie, rappelle que cette institution consiste à renommer le pain et le vin : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
Mais, de fait, l'usage le plus fréquent du mot, dans l'Antiquité comme dans les études mythographiques modernes, est de fournir des noms alternatifs aux divinités. C'est ainsi qu'Apollon sera appelé Loxias ou qu'Athéna sera appelé Pallas. Ces épiclèses peuvent s'employer seules ou accolées au nom le plus courant (Pallas Athéna), l'épiclèse devenant alors une épithète ou une apposition selon la façon de voir, diachronique ou synchronique. En effet, je suis persuadé que tous les théonymes (noms divins) sont d'anciennes épithètes qui sont devenues des épiclèses puis des noms. Tout le problème est de savoir si ces noms sont ou non encore motivés.
Les Anciens comprenaient bien que Loxias (Oblique) faisait référence à l'obscurité des oracles que le Dieu donnait à Delphes, mais ils s'interrogeaient sur le sens à donner à Pallas, ancienne compagne de jeux de la Déesse, morte accidentellement, ou géant vaincu par Elle dans la Gigantomachie.
Cette notion de perte progressive de la motivation est bien en évidence dans les dénominations cultuelles du personnage de Jésus : le Seigneur ou le Sauveur sont encore parfaitement compréhensibles mais le Christ et le Messie ne le sont plus qu'aux spécialistes des langues anciennes qui savent encore que le grec χριστός [christós] signifie « oint », tout comme l'hébreu מָשִׁיחַ [mashia'h].
Je crois qu'on peut aller encore plus loin et qu'il n'a jamais existé aucun vrai nom divin. Dans la magie primitive, connaître le vrai nom d'un être ou d'une chose donnait un pouvoir de domination (voir le cycle Terremer d'Ursula Le Guin, où le héros, apprenti sorcier, passe de longs jours à apprendre les noms). Avoir du pouvoir sur un dieu étant exclu, son nom devait être absolument ineffable, il devait être innomable, le judaïsme l'a explicitement énoncé : le tétragramme censé être le nom de Dieu, YHWH ou יהרה , est donné sans ses voyelles car il ne peut être prononcé.
Tenter de remonter vers le passé en supputant les épithètes qui furent à l'origine de théonymes aujourd'hui démotivés est une méthodologie qui peut être instructive en Histoire des religions. |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10941 Lieu: Lyon
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Wednesday 19 Jul 17, 12:00 |
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Dans la variante catholique du christianisme,
Citation: | L'épiclèse est une prière qui appelle l’intervention de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est invoqué par l’imposition des mains sur le candidat et l’eau du baptême, sur le front du confirmé, sur le pain et le vin de l’Eucharistie, sur le malade, sur le candidat aux ministères ordonnés, sur le pénitent… |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 20 Jul 17, 9:38 |
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Parmi les épiclèses qui restent motivées, les énumérations de l’hindouisme et de l'Islam sont un exemple spectaculaire avec, selon la tradition, les cent huit noms de Śiva ou les quatre-vingt-dix-neuf noms d'Allah. En fait, ce ne sont pas vraiment des noms mais des épithètes faisant allusion à des caractéristiques du dieu. Pour Śiva on trouve un mélange de qualités et de détails de l'apparence divine. Par exemple, pour les douze premiers :
śiva « en qui tout réside », maheśvara « grand seigneur », śaṃbhu « bienveillant »,
pinākin « porteur d'arc », śaśiśekhara « couronné de lune », vāmadeva « aimable dieu »,
virūpākṣa « aux yeux variés », kapardin « portant des tresses », nīllohita « changé en bleu »,
śaṃkara « bienfaiteur », śūlapāṇi « tenant l'épieu », khaṭvāṅgin « tenant le crâne », …
L'interdiction des images divines a limité les noms d'Allah à l'énumération de ses compétences et qualités ; pour les douze premières :
allah « dieu », ar-raḥmān « le tout-miséricordieux », ar-raḥīm « le très-miséricordieux »,
al-malik « le souverain », al-quddūs « le saint », as-salām « la paix »,
al-mu'min « la sauvegarde », al-mouhaimin « le préservateur », al-᾽aziz « le tout-puissant »,
al-jabbār « le contraignant », al-mutakabbir « l'inaccessible », al-khāliq « le créateur », … |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Saturday 29 Jul 17, 20:55 |
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Outis a écrit: | Astyanax [= Prince de la citadelle] |
Une toute petite rectification : τὸ ἄστυ désigne la partie de la ville où l'on habite. Il s'emploie par opposition à l'acropole ou par opposition à la campagne. Il peut aussi désigner Athènes par opposition au Pirée. Astyanax est donc plutôt "le Souverain de la ville". |
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Saturday 29 Jul 17, 22:35 |
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Outis a écrit: | Parmi les épiclèses qui restent motivées, les énumérations de l’hindouisme et de l'Islam sont un exemple spectaculaire avec, selon la tradition, les cent huit noms de Śiva ou les quatre-vingt-dix-neuf noms d'Allah. En fait, ce ne sont pas vraiment des noms mais des épithètes faisant allusion à des caractéristiques du dieu. Pour Śiva on trouve un mélange de qualités et de détails de l'apparence divine. Par exemple, pour les douze premiers |
En français, cela s'appelle litanies.
A titre d'exemple, le tout début des litanies de la vierge Marie :
Citation: | Sainte Marie, Priez pour nous
Sainte Mère de Dieu, Priez pour nous
Sainte Vierge des vierges, Priez pour nous
Mère de Jésus, Priez pour nous
Mère du Christ, Priez pour nous
Mère du Sauveur, Priez pour nous
Mère du Seigneur, Priez pour nous
Mère conçue sans le péché originel, Priez pour nous
Mère très pure, Priez pour nous
Mère très chaste, Priez pour nous
Mère sans tache, Priez pour nous
Mère toujours Vierge, Priez pour nous | etc. etc.
Ou encore, de Charles Baudelaire :
Citation: | Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Ô Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,
Guérisseur familier des angoisses humaines,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,
Enseignes par l’amour le goût du Paradis,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Ô toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l’Espérance, — une folle charmante !
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui sais en quels coins des terres envieuses
Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux
Où dort enseveli le peuple des métaux,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule errant au bord des édifices,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os
De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre,
Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,
Sur le front du Crésus impitoyable et vil,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l’amour des guenilles,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère
Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11202 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 08 Mar 18, 0:47 |
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épiclèse appartient à la grande famille CLAMEUR. Son parent le plus proche est église, du grec ἐκκλησία [ekklêsía], « assemblée des citoyens ; assemblée des fidèles (Nouveau Testament) » |
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