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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 21 Sep 17, 8:46 |
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σωφροσύνη (épique et poétique σαοφροσύνη [saofrosúne]), fém. « bonne santé mentale, prudence, discrétion, modération, selfcontrol, tempérance ».
Le sens grec est si imprécis que les vocabulaires philosophiques français, anglais et allemand l'ont importé tel quel sous la forme sophrosyne, mot qui est absent de la plupart des dictionnaires, à l'exception du Littré pour qui Sophrosyne est une petite planète téléscopique (i.e. invible à l'œil nu).
Dans la pratique courante, il est simple de traduire σωφροσύνη par « sagesse », au sens où on dit à un enfant d'être sage.
Étymologie
• σῶς[sos] < *σάϝος [sáwos] « sain et sauf, en bonne santé ». On trouve ce composant dans :
— Socrate (Σωκράτης [sokrátes]) où le composant -crate indique la force, le pouvoir (κράτος [krátos])
— σωτήρ [soter] « sauveur », comme Ptolémée Ier Sôter (305-283), fondateur de la dynastie égyptienne des Lagides
— σωτηρία [sotería] « salut », d'où la sotériologie, doctrine du salut, variable selon les courants du christianisme
• φρήν [frên] est au sens premier un organe mal déterminé de la cage thoracique (diaphragme, cœur, péricarde, poumons ?) supposé être le siège des passions ou de la pensée en général. Il y a une grande étendue de sens dans cette famille de mots, où l'on va d'un φρόνις [frónis] « sagesse » à un φρενοκομεῖο (grec moderne) [frenokomío] « asile d'aliénés » (cf. français « frénésie »)
• σώ-φρων [sófron] « sain d'esprit ou de cœur » d'où la sophrologie, une discipline psychosomatique d'inspiration orientale.
— σωφρονίζω [sofronízo] « rendre sage », d'où « châtier », les sophronistes étaient à Athènes dix magistrats chargés de veiller à la pureté des mœurs
— σωφρονιστῆρες [sofronistêres] « dents de sagesse », un peu plus pour la douleur que pour l'arrivée tardive …
Enfin, avec le suffixe -σύνη qui forme des noms de qualités, innées ou acquises, et qui correspond au sanskrit -tvana (P. Chantraine, La Formation des noms en grec ancien, ch. XVI, p. 210), on a formé σωφροσύνη et je terminerai par un passage d'Homère qui nous donne un bon échantillon de mots de cette famille :
μαῖα φίλη, μάργην σε θεοὶ θέσαν, οἵ τε δύνανται ἄφρονα ποιῆσαι καὶ ἐπίφρονά περ μάλ᾽ ἐόντα, καί τε χαλιφρονέοντα σαοφροσύνης ἐπέβησαν: οἵ σέ περ ἔβλαψαν:
Ma petite mère, les Dieux t'ont rendue folle furieuse. Ils peuvent faire d'un être, pourtant plein de sens, un insensé ; et celui dont le sens se relâche, ils lui font perdre (coquille pour « prendre », voir Ion ci-dessous) le chemin du bon sens.
Ce sont eux qui t'ont troublée.
(Pénélope, incrédule, à la nourrice qui lui annonce le retour d'Ulysse et le massacre des prétendants, Odyssée, XXIII, 11-14, trad. Bardollet)
ἄφρονα accusatif de ἄφρων « qui a perdu la raison, furieux, insensé »
ἐπίφρονά acc. de ἐπίφρων « prudent, sage »
χαλιφρονέοντα acc. du participe présent de χαλιφρονέω « être irréfléchi, léger d'esprit »
Dernière édition par Outis le Friday 22 Sep 17, 9:30; édité 1 fois |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3861 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 21 Sep 17, 15:40 |
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Outis a écrit: | la forme sophrosyne, mot qui est absent de la plupart des dictionnaires, à l'exception du Littré pour qui Sophrosyne est une petite planète téléscopique (i.e. invible à l'œil nu). |
On peut se demander si Littré, qui recense en principe les noms communs, fait bien d'y inclure le nom de la 134e planète Sophrosyne qui me paraît plus être un nom propre, tout comme Euphrosyne qu'il cite également, et qui est la 31e planète.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_plan%C3%A8tes_mineures_(1-1000)
Euphrosyne a eu plus de succès comme prénom que Sophrosyne. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Thursday 21 Sep 17, 19:35 |
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Pour une discussion sur le concept de σωφροσύνη, « équilibre moral », voir le Charmide, dialogue de Platon, qui ne débouche cependant sur aucune définition précise.
Un détail :
Citation: | "et celui dont le sens se relâche, ils lui font perdre le chemin du bon sens." |
La traduction est incorrecte, mais il s'agit sans doute d'une simpe coquille : M. Bardollet avait sans doute écrit à l'origine "ils lui font prendre le chemin du bon sens", et la corruption est intervenue lors du processus d'édition.
En effet, ici, Pénélope rappelle sentencieusement que les hommes sont les jouets des dieux dans les deux sens : les dieux peuvent déséquilibrer un esprit sensé aussi bien que le contraire : καί τε χαλιφρονέοντα σαοφροσύνης ἐπέβησαν signifie « et (ces mêmes dieux) peuvent rééquilibrer un homme à l’esprit relâché ». Pour Pénélope, la pauvre nourrice n’a donc pas eu de chance.
χαλιφρονέοντα khalifronéonta est le COD de ἐπέβησαν epébēsan
ἐπέβησαν epébēsan est une forme de ἐπιβαίνω epibaínō transitif (Bailly s.v., II, 2, qui cite notre passage) « faire monter (quelqu’un, Acc.) sur (quelque chose, Gén.), faire accéder à » ; même chose dans LSJ.
Cf. Iliade, Θ-8, 285
Τεῦκρε φίλη κεφαλή, Τελαμώνιε κοίρανε λαῶν
βάλλ᾽ οὕτως, αἴ κέν τι φόως Δαναοῖσι γένηαι
πατρί τε σῷ Τελαμῶνι, ὅ σ᾽ ἔτρεφε τυτθὸν ἐόντα,
καί σε νόθον περ ἐόντα κομίσσατο ᾧ ἐνὶ οἴκῳ·
285 τὸν καὶ τηλόθ᾽ ἐόντα ἐϋκλείης ἐπίβησον.
Tòn kaì tēlóth’ eónta eükleíēs epíbēson.
« Teucer, tête chérie, fils de Télamon, chef de troupes, frappe ainsi; voyons si tu seras une lumière pour les Danaens, et pour ton père Télamon, qui t'a nourri enfant, et, tout bâtard que tu étais, a pris soin de toi dans sa maison.
Quoiqu'il soit loin d'ici, élève-le à la gloire. »
ἐπίβησον epíbēson de ἐπιβαίνω epibaínō, ici « fais accéder à », 2e p. sg. impér. ao. I actif
Dernière édition par Ion le Friday 22 Sep 17, 10:58; édité 1 fois |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 22 Sep 17, 9:24 |
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Tout à fait juste, « perdre » a été pris à la place de « prendre », coquille métathétique dans mon édition (Bouquins). J'aurais dû ne pas recopier bêtement … |
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