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Difficultés du védique - Langues d'ici & d'ailleurs - Forum Babel
Difficultés du védique
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Outis
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Messageécrit le Thursday 21 Jun 18, 9:08 Répondre en citant ce message   

On appelle védique, l'état de la langue sanskrite qui nous est connu par les hymnes du Ṛg Veda dont les plus anciens datent approximativement du XVe siècle avant notre ère et un certain nombre d'autres textes un peu plus tardifs.

Considérés comme sacrés ces textes ont pendant des siècles été transmis par la seule oralité, l'exercice de les mémoriser (plus de 1000 hymnes totalisant plus de 10000 strophes !) s'effectuant de père en fils dans la caste des brahmanes. Cette transmission s'est faite de façon étonnament fidèle, d'autant plus que le védique n'était plus parlé et qu'on le comprenait de moins en moins. C'est en partie la comparaison avec d'autres langues eurindiennes qui, à l'époque moderne, nous garantit cette fidélité.

Mais, bien sûr, on ne comprend pas toujours tous les aspects de cette langue et la comparaison des traductions le montre à l'envi. J'ai choisi un hymne très court et tardif qui nous a été proposé récemment par Ion dans une traduction de Jean Varenne. Je commencerai par donner la V.O. :
Citation:
araṇyāny araṇyāny asau yā preva naśyasi
kathāgrāmaṃ na pṛchasi na tvā bhīriva vindatīm [1]
vṛṣāravāya vadate yad upāvati ciccikaḥ
āghāṭibhir iva dhāvayann araṇyānir mahīyate [2]
uta gāva ivādanty uta veśmeva dṛśyate
uto araṇyāniḥ sāyaṃ śakaṭīr iva sarjati [3]
gām añgaiṣa ā hvayati dārv añgaiṣo apāvadhīt
vasann araṇyānyāṃ sāyam akrukṣad iti manyate [4]
na vā araṇyānir hanty anyaś cen nābhigachati
svādoḥ phalasya jagdhvāya yathākāmaṃ ni padyate [5]
āñjanagandhiṃ surabhiṃ bahvannām akṛṣīvalām
prāham mṛgāṇāṃ mātaram araṇyānim aśaṃsiṣam [6]

Les mots sont séparés mais le sandhi non défait. Deux exemples :
• le cen de la ligne 5a est à comprendre ced, sa finale s'assimilant au n qui commence le mot suivant ;
gāva ivādanty uta de la ligne 3a est à comprendre gāvas iva adanti uta « les vaches ainsi paissent, et ».
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Outis
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Messageécrit le Thursday 21 Jun 18, 10:54 Répondre en citant ce message   

Ma première traduction sera la plus ancienne, due à Alexandre Langlois (1872) :
Citation:
1. O Aranyânî, habitante des forêts, pourquoi ne viens-tu pas dans le bourg ? Pourquoi as-tu l'air de craindre ?
2. Cependant le taureau revient, répondant par son mugissement à la voix qui l'appelle. Comme il paraît grand dans la forêt au milieu de ses (vaches) au col allongé !
3. Ainsi les vaches paissent l'herbe ; la maison brille à la vue, et Aranyânî doit atteler le soir ses chariots.
4. L'un appelle la vache ; l'autre fend le bois. Celui qui habite dans Aranyânî a fait le soir entendre sa voix. On sent sa présence.
5. Aranyânî est bonne, et personne ne veut la blesser. On connaît ses doux fruits, et l'on veut en goûter.
6. (Aranyânî) exhale le parfum de l'Andjana ; elle est riche en mets savoureux ; elle ne connaît point le soc du laboureur ; elle est la mère des animaux sauvages. J'ai chanté Aranyânî.

À peu près contemporaine est celle de Griffith (1896) :
Citation:
1. GODDESS of wild and forest who seemest to vanish from the sight.
How is it that thou seekest not the village? Art thou not afraid?
2. What time the grasshopper replies and swells the shrill cicala's voice,
Seeming to sound with tinkling bells, the Lady of the Wood exults.
3. And, yonder, cattle seem to graze, what seems a dwelling-place appears:
Or else at eve the Lady of the Forest seems to free the wains.
4. Here one is calling to his cow, another there hath felled a tree:
At eve the dweller in the wood fancies that somebody hath screamed.
5. The Goddess never slays, unless some murderous enemy approach.
Man eats of savoury fruit and then takes, even as he wills, his rest.
6. Now have I praised the Forest Queen, sweet-scented, redolent of balm,
The Mother of all sylvan things, who tills not but hath stores of food.

Plus tard (1925 ?) est celle de Karl Friedrich Geldner (rééditée en 2003, Harvard University Press) :
Citation:
1. Frau des Waldes, Frau des Waldes ! Heda, die du fast verschwunden bist ! Wie kommt es, daß du nicht nach dem Dorfe fragst ? Überfällt's dich nie wie Furcht ?
2. Wann die Zirpe die singende Grille begleitet, fühlt sich die Frau des Waldes geehrt wie einer der unter Zimbelklängen ausfährt.
3. Und es ist, als ob Kühe fressen, und man glaubt ein Haus zu sehen, und die Frau des Waldes knarrt abends wie ein Lastwagen.
4. Du ruft wahrhaftig einer seine Kuh, da hat wahrhaftig einer Holz gefällt. Wer des Abends im Walde weilt, meint, es habe einer (um Hilfe) geschrieen.
5. Die Frau des Waldes tötet ja nicht, wenn nicht ein anderer nahe kommt. Man ißt süße Frucht und legt sich nach Wunsch nieder.
6. Nach Salbe riechend, duftig, speisereich auch ohne Pflügen : diese Mutter des Wildes, die Frau des Waldes habe ich jetzt gepriesen.

Je redonne ici celle de Jean Varenne, poétique, parue en 1967 chez Denoël-Planète (Le Veda) :
Citation:
Fée des bois ! Fée des bois !
Est-ce toi qui t’en vas là-bas ?
Comment ne t’enquiers-tu point du village ?
La peur ne te saisit-elle donc point ?

Ah ! le grillon appelle
et la cigale l’accompagne ;
on dirait la suite d’un roi marchant au son des cymbales
et c’est la Fée des bois qu’ils magnifient !

Sont-ce là des vaches qui paissent ?
Est-ce bien une maison que l’on voit ?
Ou un char qui grince ?
C’est la Fée des bois dans le soir !

En voici un qui appelle sa vache !
Un autre qui coupe du bois !
Il pense entendre des cris celui qui le soir
demeure chez la Fée des bois.

La Fée des bois ne frappe pas
à moins qu’on ne l’attaque ;
chez elle, on goûte à des fruits délicieux,
on se couche comme on le veut.

Parée de senteurs et d’onguents,
sans labourer elle a sa nourriture.
Mère des animaux sauvages,
la Fée des bois, je la salue !
(une note du traducteur interprète : « le poète évoque les hallucinations d'un voyageur le soir, à l'orée d'un bois »)

Enfin, je n'oublierai pas que mon édition indienne du Ṛg Veda en 1978 contient une traduction en anglais:
Citation:
O queen of wild life, O Goddess Queen of forest, this wild forest seems to be deserted and looks as if, is no trace would be left hither onwards. How is it that you make no enquiry in the village ? Is there anything you are afraid of ?

When the grasshopper, the ciccika replies to the crying vrava (insects). Queen of forest seems to resonate as if with tinkling bells (or cymbals).

And yonder when cows are grazing, then it appears a dwelling place, or else at eve the Forest Goddess Queen seems to dismiss the waggons of dry wood.

Here is a man who calls his cow ; here is another one that cuts down the timber, and another one, tarrying in the forest, seems to have heard some one screaming.

But the Queen of wild life injure none unless some one assails the creatures ; men feeding upon the sweet fruit, are free to take with them the fruits, as much as they wish.

I praise the musk-scented, fragrant, fertile, uncultivated, the Queen of forest, the mother of wild animals, who toil not, but get stores of food.


Je commenterai plus tard …
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Ion
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Messageécrit le Friday 22 Jun 18, 22:09 Répondre en citant ce message   

Merci Outis pour cette documentation foisonnante !

En attendant, Voici encore deux versions du texte : l’une avec le saṁdhi externe, l’autre sans, ce qui permet de mieux distinguer les différents mots. Texte de Ṛg Veda 10 complet ici.


Citation:
10.146.01a araṇyāny araṇyāny asau yā preva naśyasi |
10.146.01c kathā grāmaṁ na pṛcchasi na tvā bhīr iva vindatī3m̐ ||

araṇyāni | araṇyānyi | asau | yā | pra-iva | naśyasi |
kathā | grāmam | na | pṛcchasi | na | tvā | bhīḥ-iva | vindatī3m̐ |
|10.146.01||

10.146.02a vṛṣāravāya vadate yad upāvati ciccikaḥ |
10.146.02c āghāṭibhir iva dhāvayann araṇyānir mahīyate ||

vṛṣā-ravāya | vadate | yat | upa-avati | ciccikaḥ |
āghāṭibhiḥ-iva | dhāvayan | araṇyāniḥ | mahīyate
||10.146.02||

10.146.03a uta gāva ivādanty uta veśmeva dṛśyate |
10.146.03c uto araṇyāniḥ sāyaṁ śakaṭīr iva sarjati ||

uta | gāvaḥ-iva | adanti | uta | veśma-iva | dṛśyate |
uto iti | araṇyāniḥ | sāyam | śakaṭīḥ-iva | sarjati
||10.146.03||

10.146.04a gām aṅgaiṣa ā hvayati dārv aṅgaiṣo apāvadhīt |
10.146.04c vasann araṇyānyāṁ sāyam akrukṣad iti manyate ||

gām | aṅga | eṣaḥ | ā | hvayati | dāru | aṅga | eṣaḥ | apa | avadhīt |
vasan | araṇyānyām | sāyam | akrukṣat | iti | manyate
||10.146.04||

10.146.05a na vā araṇyānir hanty anyaś cen nābhigacchati |
10.146.05c svādoḥ phalasya jagdhvāya yathākāmaṁ ni padyate ||

na | vai | araṇyāniḥ | hanti | anyaḥ | ca | it | na | abhi-gacchati |
svādoḥ | phalasya | jagdhvāya | yathā-kāmam | ni | padyate
||10.146.05||

10.146.06a āñjanagandhiṁ surabhim bahvannām akṛṣīvalām |
10.146.06c prāham mṛgāṇām mātaram araṇyānim aśaṁsiṣam ||

āñjana-gandhim | surabhim | bahu-annām | akṛṣi-valām |
pra | aham | mṛgāṇām | mātaram | araṇyānim | aśaṁsiṣam
||10.146.06||
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Outis
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Messageécrit le Sunday 24 Jun 18, 8:33 Répondre en citant ce message   

Je me limiterai ici à décortiquer un fragment :
na vā araṇyānir hanty anyaś cen nābhigachati
ou, en défaisant le sandhi :
na vā araṇyānis hanti anyas ced na abhi-gachati, soit :
na : négation de phrase
: conjonction « ou » marque une éventualité
araṇyānis : « Araṇyāni » au nominatif fém. sing., c'est le sujet du verbe suivant
hanti : 3e pers. sing. indic. présent actif de HAN- « frapper, tuer, férir », c'est le verbe
anyas : « autre » au nominatif masc. sing., c'est le sujet du second verbe
ced : marque en général une concession « si, bien que, à condition que, quand, lorsque » ; ici, avec le présent de l'indicatif, il s'agit plus d'une éventualité
na : négation de verbe
abhi-gachati : 3e pers. sing. indic. prés. actif de abhi-GAM- « venir près, s'approcher » (les sens « avoir des rapports (avec une femme) » ou « entreprendre » sont secondaires)

Donc, de façon la plus générale, « A. ne tue pas » à l'exception éventuelle de « un autre s'approche ». Rien d'autre.

Mais, là-dessus, les traducteurs brodent et racontent un peu leur propre histoire, ou celle qu'un brahmane leur a raconté. Seul Geldner a l'honnêteté de traduire simplement mot à mot et d'indiquer en note : « Ein anderer : Tiger, Räuber usw. (Sāy.) » faisant référence à Sāyana (c. 1315 - 1387), célèbre commentateur indien des Vedas. Je recommande, dès qu'on entend quelques mots d'allemand, d'utiliser les 400 pages de la traduction de Geldner.
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Outis
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Messageécrit le Sunday 24 Jun 18, 14:18 Répondre en citant ce message   

J'ai été voir le commentaire de Sāyana, il ne dit rien de plus que Geldner :

V anyaḥ vyāghracaurādiḥ, soit :
"anyas" vyāghra caura ādis
« "autre" tigre brigand etc. »
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José
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Messageécrit le Sunday 24 Jun 18, 15:19 Répondre en citant ce message   

Outis a écrit:
les hymnes du Ṛg Veda

- Comment se prononce ce ? Roulé ou pas ?

- Comment se prononce le mot Ṛg ? En s'étouffant ?! cool
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Outis
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Messageécrit le Sunday 24 Jun 18, 15:55 Répondre en citant ce message   

C'est un R voyelle, comme aujourd'hui dans le nom slovène de Trieste : Trst ou sur les maillots d'un certain nombre de footballeurs tchèques ou croates. Il est légèrement roulé (un battement). Si on n'y arrive pas (langue insuffisamment entraînée), on peut toujours ajouter un i : RigVeda …
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Ion
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Messageécrit le Sunday 24 Jun 18, 21:12 Répondre en citant ce message   

Permettez-moi une question d'ignorant.
Le dictionnaire de Burnouf en ligne donne
Citation:
araṇyānī f. Vd. divinité des bois. || Grande forêt.

Donc la voyelle finale est bien un i long. Alors, ma question d'ignorant : si le mot se décline comme devī, d'où vient la désinence -s qu'il faut supposer au nominatif singulier (> araṇyāniḥ, araṇyānir), en face du N. sg. devī ? Bien sûr, le dictionnaire donne des thèmes, mais pour gatis "la marche, le voyage", on trouve au dictionnaire la forme gati (avec i bref). Alors ? J'ai vu que certains thèmes en -i long passaient à l' -i bref mais on ne dirait pas qu'araṇyānī tombe dans cette catégorie.
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Outis
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Messageécrit le Monday 25 Jun 18, 8:40 Répondre en citant ce message   

À ignorant, ignorant et demi ! Je me suis posé la même question sans pouvoir y répondre. Les deux formes semblent bien cohabiter dans les dictionnaires :
Monier-Williams a écrit:
Araṇyāni, is, or araṇyānī, f. a wilderness, desert,
large forest; the goddess of the wilderness and desert,
and mother of wild animals.
et
Grassman Wörterbuch zum Rig Veda a écrit:
araṇyāní und araṇyānī́, f., Genie der Wildniss, nur in einem Liede, welches schon durch sein Versmass als sehr spät sich bekundet.
-i [V.] 972,1.
-ís 972,2. 3. 5.
-ím 972,6.
-yā́m 972,4.
Hélas, je ne comprends pas suffisamment le détail des mètres védiques (ici c'est l'anuṣṭubh, a kind of metre consisting of four Pādas or quarter-verses of eight syllables each) pour comprendre Grassman.
Enfin, finissons par le plus gros :
Böhtlingk and Roth Grosses Petersburger Wörterbuch a écrit:
araṇyāni und °nī (von araṇya) f.
1) Wildniss, Einöde, grosser Wald P. 4, 1, 49. Vop. 4, 26. Ak. 2, 4, 1, 1 (überall °nī). vasannaraṇyānyām Ṛv. 10, 146, 4. Av. 12, 2, 53. yathāraṇyānyāṁ mugdhāścarato 'śanāyā vā pipāsā vā pāpmāno rakṣāṁsi sacante Śat. Br. 12, 2, 3, 12. °nī Hit. 17, 14.
— 2) die Genie der Wildniss, ihrer Einsamkeit und Schrecken, Mutter des Wildes Ṛv. 10, 146 (das ganze Lied). nom. °niḥ, acc. °nim, voc. °ni; Nir. 9, 29. und Naigh. 5, 3 : °nī .

Il semblerait donc que la brève soit la forme la plus ancienne, due ou non à des raisons métriques (ou simplement dialectales ?) et qu'un rare allongement ultérieur, peut-être analogique d'Indrāṇī, ait pu être aussi utilisé …
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Ion
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Messageécrit le Monday 25 Jun 18, 10:26 Répondre en citant ce message   

Ah, merci ! Je n'ai pas consulté les bons dictionnaires. Eh bien voilà, on trouve les deux. Ce phénomène n'est pas rare.
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Ion
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Messageécrit le Sunday 01 Jul 18, 16:08 Répondre en citant ce message   

Une petite explication littérale pour le début (distiques 1 et 2).
Avertissement. En sanskrit, les mots s'adaptent les uns aux autres pour raisons d'euphonie, phénomène appelé sandhi (« jonction »). Mais ce que l'on adapte, ce sont les formes telles qu'on les trouve en « finale absolue » (par ex. en fin de phrase), où certains mots sont déjà altérés. Par exemple (vers 1b) le nominatif singulier bhīs « crainte » devient bhīḥ en finale absolue et ce bhīḥ lui-même devient bhīr devant un mot commençant par un i-.
Voici d'abord le texte du premier distique avec le sandhi, puis sans lui, ce qui rend les formes plus faciles à discerner.

Citation:
10.146.01a araṇyāny araṇyāny asau yā preva naśyasi |
10.146.01c kathā grāmaṁ na pṛcchasi na tvā bhīr iva vindatī3m̐ ||

araṇyāni | araṇyānyi | asau | yā | pra-iva | naśyasi |
kathā | grāmam | na | pṛcchasi | na | tvā | bhīḥ-iva | vindatī3m̐
||10.146.01||


Références : Grassmann = Wörterbuch zum Rig-Veda de H. Grassmann (1873 - téléchargeable) ; pour Monier-Williams, suivre le lien ici

araṇyāni « Forestière » ; vocatif singulier
(Je ne comprends pas la modification araṇyānyi : c’est encore le vocatif sg. mais peut-être accompagné d’autre chose qui disparaît avec le sandhi ?)
asau : ici = « celle-là, là-bas », pronom démonstratif N. fém. sg, mais qui détermine un verbe de la 2e p. sg.
yā : « qui » pron. rel. N. fém. sg
preva (pra-iva) : « comme en t’éloignant »
--iva : comme
--pra :
Monier-Williams a écrit:
1. prá, ind. before ; forward, in front, on, forth (mostly in connection with a verb, esp. with a verb of motion which is often to be supplied » ; […]  (« surtout en relation avec un verbe, spécialement un verbe de mouvement, qui est souvent sous-entendu »)
Le verbe le plus simple à sous-entendre ici est « aller », d’où un pra qui équivaut à « en t’en allant ».
naśyasi : « tu te perds, tu disparais »

Sens de 1a :
« Dame de la Forêt, Forestière, (qui es) celle-là qui, comme en t’éloignant, disparais (de ma vue) »
Rem. « Dame de la Forêt » : traduction retenue par L. Renou (la Poésie religieuse de l'Inde antique)

kathā « Comment ? Pourquoi ? »
grāmam « le village » Acc. sg.
na : « ne… pas »
--N.B. construction : je comprends kathā… na… na… « D’où vient que... ni (ceci) ni (cela) ? »
pṛcchasi « tu demandes »
--N.B. « tu ne demandes pas » peut équivaloir à « tu ne te soucies pas de » (selon Monier-Williams)
tvā « toi » (féminin Acc.)
bhīḥ-iva : bhīḥ < bhī-s « la crainte » N. sg. (selon Grassmann, mais je ne retrouve pas le paradigme dans la grammaire)  → bhīḥ-iva = « comme une crainte », « une espèce de crainte »
vindatīm= ? mais l’expression doit comprendre la forme vindati
vindati : « connaît, (d'où, ici) atteint » 

Sens de 1b
« Pourquoi ne te soucies-tu pas du village ?  (Comment) une espèce de crainte ne te touche-t-elle pas ?»


Distique 2
Citation:

10.146.02a vṛṣāravāya vadate yad upāvati ciccikaḥ |
10.146.02c āghāṭibhir iva dhāvayann araṇyānir mahīyate ||

vṛṣā-ravāya | vadate | yat | upa-avati | ciccikaḥ |
āghāṭibhiḥ-iva | dhāvayan | araṇyāniḥ | mahīyate
||10.146.02||

vṛṣā : « éléphant » dans le composé vṛṣā-ravāya  : « bruit d’éléphant » (nom d’un insecte) ; datif sg ; datif après upa-avati ci-dessous
vadate de vad « parler, répondre à » ; ptc. présent « répondant », datif sg. ; détermine le datif vṛṣā-ravāya
yat Acc. neutre du pron. rel. avec valeurs du quod latin (« en ce que, parce que ») mais aussi « quand »
upa-avati « cajole » (suivi du datif)
ciccikaḥ N. sg. (insecte – ou, selon Monier-Williams, « une espèce d’oiseau »)

Sens de 2a
« Quand le ciccikaḥ fait des grâces au « bruit d’éléphant » qui lui répond, »

āghāṭibhiḥ de āghāṭi « cymbale » ; instrumental pluriel « avec des cymbales »
iva : « comme », cf. 1a (se joint au premier mot de la comparaison)
dhāvayan de dhāv « marcher » ici thème dhāvaya « faire marcher » (causatif) ; participe présent, N. masc. sg. substantivé ? « le-faisant-marcher, celui qui fait marcher » (= « celui qui mène un groupe qui marche »), dans la comparaison introduite par iva « comme »
araṇyāniḥ N. sg. sujet de mahīyate
mahīyate de mahīy « se montrer grand, royal, puissant » ; « se faire remarquer, se croire grand » ; 3e p. sg. présent voix moyenne

Sens de 2b
« pareille à celui qui mène son groupe au son des cymbales, la Dame de la Forêt se gonfle d’orgueil. »


Dernière édition par Ion le Friday 06 Jul 18, 21:04; édité 1 fois
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Outis
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Messageécrit le Tuesday 03 Jul 18, 15:33 Répondre en citant ce message   

Quelques remarques (1)

• il n'y a pas de *araṇyānyi , il faut lire araṇyāny asau où le i désinentiel du second vocatif se consonantise (sic !) avant une voyelle.

• il n'y a pas de verbe à supposer après pra, ce verbe est simplement naśyasi. En védique la particule pra (comme toutes les autres) n'est pas encore spécialisée en préverbe ni préfixe et elle est donc séparable, un état eurindien qui subsiste encore partiellement en allemand.

• les monosyllabes en ī long (dhī, bhī, śrī, , tous fém. sauf le dernier) sont vus au § 100 de Arthur A. Macdonell, A Vedic grammar for students, voir en 1ère col. pp. 87 et 88. bhīs est bien un N.sg.

• la fin de 1b est étrange et m'échappe un peu. Dans mon édition en devanāgarī on lit sans ambiguïté vindatī suivi d'un caractère tortillé surmonté d'un candrabindu (signe de brève avec un point) qui, en principe, indique une nasalisation (anunāsika). Le caractère tortillé ressemble à un i isolé, un h ou un dd sans être vraiment aucun d'eux (mais l'impression n'est pas parfaite !).
Mon hypothèse est que ce signe serait une ligature d-h (je ne l'ai pas dans mon répertoire de ligatures) et qu'il faudrait lire la fin du vers :
vindati id hamvindati est bien la forme verbale vue par Ion (mais, attention, la racine VID- est très riche !) et
id une particule d'affirmation (particulièrement pour renforcer une antithèse, M-W)
ham une exclamation marquant la courtoisie ou le respect (M-W)

Sous toutes réserves …
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Ion
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Messageécrit le Tuesday 03 Jul 18, 17:33 Répondre en citant ce message   

Distique 3
Citation:
10.146.03a uta gāva ivādanty uta veśmeva dṛśyate |
10.146.03c uto araṇyāniḥ sāyaṁ śakaṭīr iva sarjati ||

uta | gāvaḥ-iva | adanti | uta | veśma-iva | dṛśyate |
uto iti | araṇyāniḥ | sāyam | śakaṭīḥ-iva | sarjati ||10.146.03||


3a
uta « et »
gāvaḥ de go, gaus « vache » ; N. pl. ; sujet de adanti
gāvaḥ-iva « comme des vaches, des images de vaches »
adanti de ad « manger, brouter, paître »
veśma de , veśman, neutre, « maison » ; N. sg. ; sujet de dṛśyate
dṛśyate de dṛś « voir » ; 3e p. sg. présent passif « est vu(e) »
veśma-iva cf. gāvaḥ-iva

Sens de 3a
« Et des semblants de vaches paissent, et l’on voit comme une image de maison, »

3b
uto de uta_u « et aussi, et d’autre part, tandis que »
iti « ainsi » (je ne comprends pas où ce mot est passé dans la version du texte où le sandhi est appliqué)
araṇyāniḥ Cf. 2b
sāyam « le soir, dans le soir » (adverbe)
śakaṭīḥ de śakaṭī « chariot » ; Accusatif pluriel ; peut-être COD d’un verbe sous-entendu signifiant « on entendrait » dans la comparaison introduite par iva qui peut valoir « comme si »
sarjati « grince » (sens retenu par la majorité des traducteurs et les dictionnaires, Grassmann et Monier-Williams); il existe aussi un thème sarj issu d’une racine sṛij « mettre en mouvement rapide, laisser partir, libérer », etc. : ce verbe a été retenu par la traduction anglaise de 1978 citée par Outis ci-dessus (to dismiss the waggons of dry wood. « rejeter les chariots de bois sec »).

Sens de 3b
« tandis que la Dame de la Forêt grince dans le soir comme (si on entendait) des chariots. »


Dernière édition par Ion le Friday 06 Jul 18, 21:05; édité 2 fois
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Outis
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Messageécrit le Tuesday 03 Jul 18, 17:40 Répondre en citant ce message   

Quelques remarques (2)

vṛṣā n'est pas usuellement l'éléphant mais le taureau, mâle éjaculateur par excellence. Comparer à varṣati « il pleut » et vṛṣan « générateur, mâle ». Et le verbe RU- rauti est « crier, mugir, rugir ». Le vṛṣārava « cri de taureau » est donc un animal particulièrement bruyant. Mais je n'ai vu nulle part qu'il s'agisse d'un insecte (pour Grassman comme Böthling-Roth, c'est un Tier) et je pencherais pour un équivalent indien du crapaud buffle ou de la grenouille taureau …

Je pense au célèbre hymne des grenouilles (VII.103) où, en 6a, commence la liste des espèces :
gomāyur eko ajamāyur ekaḥ
M-W : Go-māyu, us, us, u, making sounds like cattle; (us), m. a kind of frog; a jackal; N. of a jackal; N. of a Gandharva or celestial musician; the bile or bilious humor of a cow.
vache-mugissante l'une, chèvre-mugissante l'une,

Et le bruit de ces batraciens est vraiment fort puisque, dans la Batrachomyomachie homérique (Combat des rats et des grenouilles), il empêchait Athéna de dormir !

• le iti mystérieux n'appartient pas au texte ! il faut le traduire comme un (sic) qui signale une anomalie dans le sandhi. Normalement, on devrait avoir *uto 'raṇyāniḥ mais c'est une spécificité de la particule u qui est toujours inchangée. Macdonell (§24, p.25, et note 2) donne en exemple átho indrāya.

śakaṭīḥ n'est pas un Acc. pl. mais un simple Nom. sg. de thème en ī long. (une variante du plus usuel śakaṭa), il est simplement sujet de sarjati : comme un chariot grince.
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Messageécrit le Thursday 05 Jul 18, 9:06 Répondre en citant ce message   

Une version de l'hymne en devanāgarī grâce au wiki indien.

Le cercle en fin de 1b n'est là que pour supporter l'anunāsika que le logiciel ne permettait sans doute pas de placer sur la ligature précédente. Dans mon édition imprimée, ils sont bien l'un sur l'autre.
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