embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3864 Lieu: Paris
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écrit le Monday 09 Mar 20, 16:17 |
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Le mot se trouve dans beaucoup de dictionnaires français, mais il n’est pas ressenti généralement comme français ; il a un lourd parfum hispanique. On sent Carmen et Don José. Je note qu’il est absent de Littré et même de mon édition du Petit Robert. Il est dans le Grand Robert, toutefois.
Pour l’Académie :
Citation: | XIXe siècle. Mot espagnol. Poignard à lame longue, effilée et légèrement recourbée, utilisé en Espagne, au Portugal et en Amérique latine. Des navajas. |
https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/navaja
et pour le TLFi :
Citation: | Long couteau à lame effilée et légèrement courbe, parfois repliable, en usage en Espagne, au Portugal et dans les pays d'Amérique latine. Une immense navaja de Valence, une de ces navajas allongées en poisson, dont la lame se fixe en tournant un cercle de cuivre, et porte sur son acier autant de stries rouges que le brave dont elle est l'arme a commis de meurtres (Gautier,Fracasse, 1863, p.71).Le chef de la tribu (...), la tête couverte d'un chapeau à larges bords, tout pareil à ces porteurs de tromblons et de navajas que nous montrent les vieilles gravures (T'Serstevens,Itinér. esp., 1933, p.61). |
https://www.cnrtl.fr/definition/navaja
Pour l’un et l’autre, le nom est donné comme féminin mais je me serais bien vu l’utiliser au masculin, comme poignard ou couteau (même si dague ou lame sont féminins !). Je ne suis visiblement pas le seul :
- Il doit d’abord être bon cavalier et excellent tireur, mais avant tout savoir bien manier le navaja et le peñal*** à la défense et à l'attaque.
Le Globe (critique d’Esquisses d’Espagne, par V.-A Huber, 1828) 1829
https://books.google.fr/books?id=RfXTWE6Zlv8C&pg=PA768#v=onepage&q&f=false
-Il tira de sa poche un navaja qui avait au moins un pied et demi de long
Alliance littéraire, 1839
https://books.google.fr/books?id=13tfAAAAcAAJ&pg=PA194#v=onepage&q&f=false
-Le navaja est l'arme favorite des Espagnols, surtout des gens du peuple ; ils la manient avec une dextérité incroyable et se font un bouclier de leur cape roulée autour de leur bras gauche.
Gautier, Tra los Montes, 1843
https://books.google.fr/books?id=XEk6AAAAcAAJ&pg=PA8#v=onepage&q&f=false
un couteau de boucher dont, effilée à la manière d'un navaja, la lame a dardé un éclair.
Mohammed Dib, Comme un bruit d’abeille
https://books.google.fr/books?id=AYdtCQAAQBAJ&pg=PT82#v=onepage&q&f=false
Certaines pages encyclopédiques de la Toile, sûrement rédigées par plusieurs collaborateurs, hésitent constamment entre « le navaja » et « la navaja ».
Quant à la prononciation, je note que si la plupart des dictionnaires admettent la prononciation à l’espagnole de la jota, certains notent une prononciation avec un j français, que je ne crois pas avoir jamais entendue. Mais ce n’est pas non plus un de ces mots qu’on entend tous les jours en principe.
Concernant l’étymologie, le TLFi note :
Citation: | Étymol. et Hist. 1843 (Th. Gautier, Voyage en Espagne, p.140 ds Rob.). Mot esp. de même sens (1remoitié du xiiies. ds Cor.-Pasc.), issu avec altération anc. du o de la syllabe initiale en a (ibid. t.4, p.218b), du lat. novacula «rasoir, couteau» (d'où novacle «rasoir» en a. fr.: 1remoitié du xiies., Psautier Oxford, 51, 2 ds T.-L. et l'empr. novacule «id.»: 1314, Henri de Mondeville, Chirurgie, 1439 ds T.-L.), dér. de novare, v. innover. |
Pour la date d’introduction du mot dans les ouvrages français, le TLFi se contente de l’attestation de Gautier de 1843 relayée par Robert, mais on a vu plus haut qu’il en est d’antérieures. Cela dit, s’agissant d’un mot étranger (et qui l’est toujours resté un peu), il est parfois difficile de dire si le mot est vraiment cité comme un mot qui pourrait faire partie de notre vocabulaire, ou comme une réalité exotique.
J’aime assez l'humour de la citation suivante de Custine :
Citation: | Le couteau de poche espagnol, la navaja, est une arme terrible ; ployé, il ressemble à un poisson d'un pied de long ; ouvert c'est pis qu'un sabre. Les gens du pays frappent aux entrailles, et d'un seul coup de navaja ils ouvrent le ventre de leur ennemi. On a beau dire, mais cette manière de se venger n'est nullement passée de mode ; hier un douanier a été éventré de la sorte à l'entrée de Séville, par un paysan dont il avait saisi les denrées. On a pris l'assassin. Prendre un assassin, c'est une innovation, une mode étrangère qui aura de la peine à s'introduire ici, car l'opinion protège le malfaiteur. |
Custine, l’Espagne sous Ferdinand VII, 1838
https://books.google.fr/books?id=ewBJJ6PjuV4C&pg=RA1-PA185#v=onepage&q&f=false
Le dictionnaire d’ancien français de Godefroy a, comme suggéré par le TLF, deux entrées novacle et novacule :
http://micmap.org/dicfro/search/dictionnaire-godefroy/novacle
Le mot n’a pas fait souche en français, mais, semble-t-il, exclusivement dans la péninsule ibérique.
Asturien : navaya
Catalan : navalla
Galicien : navalla
Portugais : navalha
Espagnol : navaja
L’étymologie qui rattache le nom latin à novare serait une étymologie populaire. Cf.
http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?p=238862#238862
D’après le Dictionnaire étymologique de la langue latine d’Ernout & Meillet, les faits sont nettement plus compliqués :
Le mot serait donc rattaché à une assez vaste famille indo-européenne évoquée ici :
https://archive.org/stream/indogermanisches02pokouoft/indogermanisches02pokouoft#page/585/mode/1up
https://en.wiktionary.org/wiki/novacula
https://fr.wiktionary.org/wiki/novacula
Seraient apparentés des mots comme
-le grec ξυρόν, rasoir, qui fournit une racine savante pour pas mal de mots de la botanique, tel le Xyris
https://books.google.fr/books?id=zIOvJSJs-IkC&pg=PA2858#v=onepage&q&f=false
ou de la zoologie, tel le Xyrichtys novacula ou rason, poisson-rasoir,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Xyrichtys_novacula
Ajoutons la xyrophobie, la peur du rasoir !
https://wordinfo.info/unit/2338
-le grec ξυστός, xystós (« gratté, poli [en parlant du sol du gymnase] »), qui nous donne un petit bataillon de mots utiles pour le scrabble comme le xyste et le xystarque
https://www.cnrtl.fr/definition/xyste
https://wordinfo.info/unit/3836?letter=X&spage=1
*** Ce peñal est une coquille pour puñal, poignard, qui se trouve correctement écrit dans l'édition de 1830 du livre de Huber. La même édition écrit de plus "la" navaja ! |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 10 Mar 20, 5:47 |
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L'évolution de la racine *kes- proposée par le DELL est assez spectaculaire : les deux consonnes radicales finissent par disparaître et ne subsistent que les incréments ! Je ne suis pas en mesure de la remettre en doute mais je me demande si l'on a d'autres exemples en indo-européen d'une telle évolution. En sémitique, ce serait tout simplement impensable. Surtout je crois que personne ne serait assez fou pour la proposer. En tout cas, pour savoir remonter ainsi si savamment de navaja à *kes-, je dis "Chapeau !"
un couteau de boucher dont, effilée à la manière d'un navaja, la lame a dardé un éclair.
Mohammed Dib, Comme un bruit d’abeille
Je reviens sur cet exemple. Je sais bien que Dib ne parle que de la lame, mais les deux couteaux sont différents : la navaja, c'est uniquement le type laguiole ou opinel, dont la lame rentre dans le manche, comme les bons vieux rasoirs de nos grands-pères.
En espagnol, pour les autres types de couteaux, y compris les couteaux de boucher, on emploie cuchillo, issu, comme couteau du latin cultellus "petit couteau".
À mon humble avis, il était assez maladroit de rapprocher ainsi dans une même phrase - par ailleurs syntaxiquement douteuse - deux objets aussi nettement différents. |
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