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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 09 May 18, 11:26 |
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Le verbe vouloir fait partie des quelques verbes susceptibles de servir d'auxiliaires (au sens le plus général) pour infléchir par des procédés syntaxiques le sémantisme d'autres verbes :
• être : passif
• être, avoir : temps du passé
• aller, venir : futur et passé proches
• vouloir, pouvoir, savoir, devoir : volonté, puissance, connaissance, obligation
• faire, se faire : factitif actif et passif
Aujourd'hui, c'est vouloir. Mais son emploi auxiliaire s'appuie sur un sens précis et plein ; quelques définitions rapides :
• Furetière (XVIIe) : Avoir la volonté, & la résolution de faire quelque chose ; désirer, souhaiter, demander.
• TLFi (XXIe) : Avoir la ferme intention, le souhait, le désir de.
Deux citations (empruntées au Littré) pour préciser le sens :
• J'ai toujours la puissance de vouloir, non la force d'exécuter (Rousseau, Émile)
• Dès lors elle [l'âme] ne se borne plus à désirer ; elle veut ; car on entend par volonté, un désir absolu, et tel, que nous pensons qu'une chose désirée est en notre pouvoir (Condillac, Traité des sensations)
Étymologie
En français, vouloir dépend du latin uolō.
L'infinitif ancien uelle n'a pas survécu dans les langues romanes qui se sont formées sur un *uolēre, d'où :
fr. vouloir, occ. voler, liég. voleûr, it. volere, cors. vulè, sicil. vuliri.
Le latin uolō dépend de la racine eurindienne *uel-, bien attestée dans de nombreuses langues :
• en grec ancien, la racine est connue avec divers élargissements :
*ul-eh₁-, λῆμα [lẽma] (< *wlē-mn) « volonté, résolution, courage » et, par contraction, λῶ [lô] « vouloir »
*uel-d-, ἐλδομαι [éldomai] « désirer, aspirer à »
*uel-p-, ἐλπομαι [élpomai] « attendre, espérer », d'où ἐλπίς [elpís] « espoir »
• en sanskrit, la situation est troublée par le fait que la racine verbale VṚ- peut provenir aussi bien de *uel- que de *uer- « couvrir, envelopper, cacher » et que le lexique mélange un peu les deux sémantisme par le fait que le désir peut conduire à s'approprier, à accaparer. On peut cependant distinguer en gros entre deux présents à infixe nasal :
vṛnoti < *ur-n-eu- « couvrir, entourer, obstruer », le dernier sens étant très présent dans le nom de Vṛtra, le démon de la sécheresse qui tenait enfermées les vaches et les eaux et qui fut tué par Indra, dieu de l'Orage.
vṛnāti < *ul-n-eh₂- « choisir, préférer », le thème étant clair dans le nom vara « prétendant » (gr. μνηστήρ, ang. suitor) qui désignait les hommes en compétition pour la même femme (Hélène ou Pénélope en Grèce), d'où le nom svayaṃvara qui désigne en Inde le rituel où c'est la femme qui choisit.
• en germanique, got. wiljan « vouloir », waljan « choisir », vieil-ang. wyllan, ang. will, all. wollen.
• en celtique, bret. gwell, gwellañ « préférentiel, meilleur ». |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 10 May 18, 8:54 |
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Les langues ibériques (espagnol, portugais, galicien, etc.) utilisent pour vouloir le verbe querer qui continue le latin quaerere « chercher, demander », verbe à l'origine également du français quérir dont le sens c'est spécialisé/affaibli en « aller chercher ».
querer a pris le sens secondaire « aimer, désirer » comme dans la formule te quiero « je t'aime » qui résonne avec l'italien ti voglio bene de même sens. On notera que, même s'il peuvent être employés, les français je te veux ou je te désire seraient considérés comme des invites sexuelles directes ! …
Étymologie eurindienne
Pour quaerere, Ernout et Meillet (DELL) se contentent d'un sec : pas d'étymologie connue comme pour la plupart des mots à diphtongue. Pokorny est également silencieux mais, en revanche, le récent ONLINE ETYMOLOGICAL DICTIONARY of SPANISH (accès via Lexilogos) est beaucoup plus disert :
Ils partent d'un proto-italique *kwai-s-e/o- attesté par l'osque κϝαιστορ [kwaistor] « questeur » et le marse questur « id. » (s'ils ne sont pas des emprunts au latin ? …) et remontent à un eurindien *kweh₂-i- dont ils proposent des cognats :
• balte : vx-prussien quāits « désirer » et lituanien kviẽsti « inviter »
• grec : πέπᾱμαι [pépamai] « posséder, acquérir », πᾶμα [pâma] « propriété »
Le balte échappe à ma compétence mais, pour le grec, une graphie béotienne avec redoublement du p, τὰ ππάματα « les propriétés », laisse effectivement supposer un thème *kweh₂- (voir le MDJ hippos pour *kw > pp). |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 10 May 18, 9:09 |
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Outis a écrit: | Les langues ibériques (espagnol, portugais, galicien, etc.) utilisent pour vouloir le verbe querer qui continue le latin quaerere « chercher, demander », verbe à l'origine également du français quérir dont le sens c'est spécialisé/affaibli en « aller chercher ». |
Quérir (son ancien infinitif querre a disparu) a lui-même peu de restes en français en dehors de l'infinitif. Mais les composés de la famille sont au contraire toujours en pleine forme : acquérir, conquérir, requérir, enquérir et tous les noms comme quête, exquis, etc.
Cf. le DHLF
https://books.google.fr/books?id=Pi8wQTpjJ34C&pg=PT16837#v=onepage&q&f=false
et les Grandes Familles de mots, de notre absent Papou
https://books.google.fr/books?id=n0k2DQAAQBAJ&pg=PA85#v=onepage&q&f=false
qui se réjouira de pouvoir mettre à jour son "est d'origine inconnue". |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 11 May 18, 10:16 |
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Le grec ancien ne manquait pas de verbes pour exprimer la volonté, l'espoir et le désir. On a vu plus haut ceux qui dépendent de la racine *uel- (λῶ, ἐλδομαι, ἐλπομαι) mais les deux les plus usuels et qui perdurent jusqu'au grec moderne sont formés sur les racines *gʷel- et *gʷʰel- :
• βούλομαι [boúlomai] « vouloir, désirer, préférer » avec de nombreuses variantes dialectales :
homérique βόλομαι, lesb. βόλλομαι, crét. βώλομαι, thes. βέλλομαι, béot. βήλομαι, dor. δήλομαι, delph. δείλομαι, etc.
qui témoignent d'une initiale labio-vélaire, d'une alternance radicale e/o et de la chute d'une consonne avec duplication ou allongement compensatoire (voir Lejeune, Phonétique … pour le détail des phénomènes).
On reconstitue donc en général une forme *gʷol-s-o- où le suffixe sigmatique est mal expliqué (aoriste ? désidératif ?).
À ce thème appartient le nom βουλή [boulē] « volonté, décision, conseil » qui, majusculé, désignait l'assemblée des chefs grecs dans l'Iliade, puis le Sénat dans l'Athènes de Périclès et toujours l'Assemblée Nationale dans la Grèce d'aujourd'hui (et se prononce alors [Voulí]).
• ἐθέλω / θέλω [etʰélō / tʰélō] « vouloir, être disposé à, accepter ». Une labio-vélaire initiale est supposée par le rapprochement avec les vx-slaves želéjo, želěti « désirer » et on pose donc *[e]gʷʰel-. Les deux formes, avec et sans l'e initial, coexistent plus ou moins avec une tendance à préférer la forme courte au cours de l'histoire ; absente chez Homère, elle s'impose en grec moderne (prononcée [þélo]) mais on a toujours un θα ήθελα [þa íþela] « je voudrais » qui témoigne d'une survivance cachée. Cet e s'explique mal, sauf à considérer comme Grammont (Traité de phonétique, p. 360) qu'il s'agit d'une formation purement phonétique avant une consonne initiale articulée fortement. Il évoque, entre autres, le gascon arrey « roi » ou l'arménien erek « soir » (cp. sk. rájaḥ « obscurité »).
On pourra se reporter à Chantraine (DELG, s.u. βούλομαι) pour la concurrence sémantique entre βούλομαι et ἐθέλω mais j'ajouterai que le second est un verbe actif, exprimant donc l'action dans sa simple pureté alors que le premier, médio-passif, met l'accent sur l'implication plus forte du sujet dans cette action (on veut pour soi). |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10945 Lieu: Lyon
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batisse
Inscrit le: 10 May 2018 Messages: 71 Lieu: Lorraine (France)
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écrit le Saturday 12 May 18, 13:24 |
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Outis a écrit: | Les langues ibériques (espagnol, portugais, galicien, etc.) utilisent pour vouloir le verbe querer qui continue le latin quaerere « chercher, demander », verbe à l'origine également du français quérir dont le sens c'est spécialisé/affaibli en « aller chercher ».
querer a pris le sens secondaire « aimer, désirer » comme dans la formule te quiero « je t'aime » qui résonne avec l'italien ti voglio bene de même sens. On notera que, même s'il peuvent être employés, les français je te veux ou je te désire seraient considérés comme des invites sexuelles directes ! … |
Te quiero a eu des évolutions amusantes... en Picardie, zone longtemps occupée par les espagnols. Au point qu'il est passé dans le patois local, le picard, Pour dire je t'aime ils disent je t'ai querre. Le processus est simple à imaginer: un "occupant" déclarait "te quiero" à une autochtone, qui ne connaissant pas l'expression mais comprenant l'allusion répondait "je t'ai quierro aussi" ou "mi je t'ai querro nin" (moi je ne t'aime pas) et c'était parti pour associer ces nouveaux sons à un mot connu!
D'ailleurs l'expression s'est étendue à d'autres sens du verbe aimer. J'ai querre le pichon (j'aime le poisson), j'ai mi querre dinser (je n'aime pas danser), j'ai miux querre nin vir cha (je préfère ne pas voir cela) etc.
En français moderne le verbe vouloir a également pris des chemins étonnants: tu sais chanter? Je veux que je sais! (alors que selon la grammaire officielle on devrait dire je veux que je sache, ce qui ne voudrait plus rien dire....) |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Saturday 12 May 18, 14:35 |
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Bonjour Batisse,
Il semble qu'il y ait une confusion entre "querre" et "quer". D'après le Dictionnaire du patois de la Flandre française ou wallonne de Louis Vermesse
Citation: | QUER, (Avoir) loc.—Se dit pour aimer, chérir.
« Un amant dit à sa maitresse ou une mère à son enfant qu'elle embrasse, je t'ai ker, je t'ai cher. C'est une tournure qui n'est pas dénuée de grâce et d'originalité ; elle appartient exclusivement à nos contrées. En français, on dirait tu m'es cher; il y a la différence de l'actif au passif, différence, ce me semble, qui est à l'avantage de notre expression patoise. Il y a plus de tendresse et d'effusion dans je t'ai ker, surtout quand on l'assaisonne du petit adverbe fin, et qu'on dit je t'ai fin ker. »
(E.-A. Escallier. Remarques sur le patois, p. 35.) Nous trouvons cette expression dans les œuvres choisies de Brule-maison. Il s'agit d'une demande en mariage.
— L'amoureux.
Awi, j' l'aime et j' l'ai quer,
Ch'est double amour.
Et je n' sais qu'à temps qu'ell' sot m' femme. |
Voir aussi l'ouvrage d'Escallier cité plus haut.
La question avait d'ailleurs déjà été évoquée ici :
Le picard selon Libé |
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batisse
Inscrit le: 10 May 2018 Messages: 71 Lieu: Lorraine (France)
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écrit le Saturday 12 May 18, 15:33 |
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D'accord pour le quer. C'est vous qui avez raison.
L'orthographe du patois picard, qui est surtout oral, est un vaste sujet... Dans les écrits actuels relatifs au picard, la profusion de k m'a toujours épaté/choqué. Personnellement j'ai été bercé au patois de Tourcoing, qui est très riche en oeuvres écrites de Jules Watteuw. Dans ces écrits d'époque fin 19ème début 20ème il n'y a pratiquement pas de k.
Sans vouloir polémiquer, dans la phrase citée (Et je ne s'sais qu'à temps qu'ell sot m'femme) il y a plusieurs points discutables: dans le nord de la France on entend infiniment plus parler de timps (prononcé comme thym) que de temps.
De plus, lorsqu'un subjonctif est utilisé, il l'est "à la picarde": 'qu'elle soche m'femme.
Enfin bon, on s'écarte du sujet. Je vais aller voir le lien gentiment suggéré.
Dernière édition par batisse le Monday 14 May 18, 16:15; édité 1 fois |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 14 May 18, 14:41 |
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Les amateurs de mystère (ovnis, grands anciens, île de Pâques, etc.) auront sûrement remarqué que trois des racines qui expriment un vouloir eurindien, *uel-, *gʷel- et *gʷʰel- ont toutes un trait labial suivi de la liquide l.
Il n'y a pas d'explication ! On ne nous dit pas tout … |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Monday 14 May 18, 15:40 |
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Moi, je remarque que les trois racines se terminent par "el", l'article arabe, et que c'est sûrement une influence sémitique.
OK |
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