Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
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écrit le Wednesday 07 Jan 15, 16:43 |
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Tous ceux qui ont fait un peu de latin connaissent cette phrase de Suétone (Vie de Titus, 7) qui forme à elle seule l'argument de la tragédie de Racine :
Citation: | Berenicen ab urbe dimisit, invitus invitam. | Il renvoya Bérénice de Rome, malgré lui, malgré elle.
Ce invitus (litt. "ne le voulant pas") est ancien et fréquent. Meyer-Lübke en rapprochent quelques formes en langues romanes : un invio en ancien gênois, un amidos en ancien espagnol, un evi en wallon.
Précédé du préfixe privatif in-, il est formé à partir de la même racine que vis, deuxième personne du singulier de volo, vouloir, au présent de l'indicatif.
C'est en fait cette forme verbale qui m'a intéressé.
Cette deuxième personne vis (tu veux) n'est pas formée sur la même racine que les autres personnes du présent (volo, vult, volumus, vultis, volunt).
volo, vult... sont formés sur la racine *wel, qui sert à exprimer l'idée de volonté dans les langues indo-européennes allant du slave à l'italique. On trouve aussi cette racine en grec mais pour exprimer l'espoir, l'attente, avec ἐλπίς (avec un ancien digamma).
volo est un de ces rares verbes latins ayant au présent de l'indicatif des formes athématiques (sans voyelle entre radical et désinence) : vul-t, vul-tis mais vol-u-mus.
Or à la deuxième personne, une telle forme, à partir de cette racine, n'était pas possible : *vel-si aurait abouti naturellement soit à *velle (d'où homonymie avec l'infinitif) soit à une forme *vel.
D'ailleurs la coordination vel (ou bien, si tu veux), qui vient de cette racine *wel, est peut-être précisément l'évolution naturelle de cette deuxième personne (c'est ce que pense Leumann).
Le latin a donc recouru à une autre racine pour former cette deuxième personne du singulier. C'est là un cas de supplétion exceptionnel en latin entre personnes.
vis, tu veux, est formé sur la racine *wei, celle du grec ἵεμαι (avec un ancien digamma), "aspirer à", du lituanien vejù, chasser. Pokorny retrouve cette racine dans l'homonyme latin vis (la force).
Le latin tardif a tendu à régulariser la conjugaison du verbe, et vis a été remplacé par voles, attesté dans les Gloses de Reichenau (de même que l'infinitif velle a été remplacé par *volere, non attesté mais que l'on retrouve tel quel en italien). |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 21 Jan 17, 17:12 |
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Horatius a écrit: | vis, tu veux, est formé sur la racine *wei, celle du grec ἵεμαι (avec un ancien digamma), "aspirer à", du lituanien vejù, chasser. Pokorny retrouve cette racine dans l'homonyme latin vis (la force). |
Chez Calvert Watkins on trouvera cette racine écrite *weiə-, et on y lira que le français gagner en est également issu, via le germanique *waithanjan "chasser, piller".
Voir le mot du jour regain.
La question se pose des rapports entre invitus et le verbe invito, -are "inviter". Watkins place résolument ce verbe sous la racine *weiə-. Ernout et Meillet en disent ceci : Étymologie inconnue. ... Il doit y avoir un préverbe in- et un fréquentatif ou un dénominatif de l'adjectif *vitu-s ; cf. invitus ? Le sens ancien serait "bien traiter, bien accueillir" ; le sens de "inviter" serait secondaire.
On notera donc que le in- de invitus est un préfixe privatif alors que celui de invitare est plus probablement un préverbe de sens local (dans). |
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