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Polarité et vérité - Langues d'ici & d'ailleurs - Forum Babel
Polarité et vérité

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Alceste



Inscrit le: 27 May 2006
Messages: 196

Messageécrit le Saturday 15 Jul 06, 12:19 Répondre en citant ce message   

Je réfléchis en ce moment aux relations qu’entretiennent les concepts de polarité et de vérité dans notre représentation mentale du monde, et par voie de conséquence dans la langue.

Partons des postulats suivants :

- Nous appelons proposition élémentaire une relation ordonnée p = (x R y). Ceci signifie que les concepts x et y sont envisagés comme associés par une relation R.

Exemple : Arnaud aime Béa

Notons que x et y n’ont a priori pas le même rôle dans cette proposition, même s’il existe des cas particuliers de relations réflexives, comme l’égalité.

- Nous appelons valeur de vérité une information binaire associée à une proposition élémentaire et qui indique (en gros) si la proposition doit être considérée comme vraie ou fausse dans l’univers considéré.

Ex : il est faux qu’Arnaud aime Béa.
p’ = FAUX (x R y)

- Nous appelons polarité une information binaire associée, soit à une proposition élémentaire, soit à l’un quelconque de ses éléments, qui indique (en gros) si la proposition ou l’élément considéré est présenté de manière positive (affirmative) ou négative.

Ex :
NON-Arnaud aime Béa = quelqu’un aime Béa, mais ce n’est pas Arnaud
Arnaud NON-aime Béa = il y a une relation d’Arnaud vers Béa, mais pas d’amour
Arnaud aime NON-Béa = Arnaud aime quelqu’un, mais pas Béa.
NON (Arnaud aime Béa) = la proposition entière est niée.

Quelques remarques :

1/ Vérité et polarité ne sont pas équivalents, il s’agit bien de 2 concepts distincts.

2/ Dans les langues naturelles, les assertions exprimées supposent habituellement (implicitement) que le locuteur les présente à la fois positivement et comme vraies. Si ce n’est pas le cas, il doit marquer, soit la négation, soit la fausseté, soit les deux.

Pourtant, on peut tout à fait imaginer une proposition débarrassée de toute notion de polarité et de vérité : on met alors simplement des concepts en relation, en tant qu’hypothèse à considérer par exemple. C’est l’habitude de la langue qui nous masque ce fait.

3/ Il est difficile de distinguer la différence de sens entre FAUX (x R y) et NON (x R y). En principe, la notion de vérité indique la convergence ou non entre l’assertion et le monde (réel ou imaginaire) considéré, alors que la polarité ne dit pas si p est vrai ou faux, elle n’est qu’une manière de présenter les choses. On pourra donc poser par exemple : FAUX (NON (x R y)), mais pas NON (FAUX (x R y)), parce que ceci serait plus simplement équivalent à VRAI (x R y) (la négation de FAUX étant VRAI)
On peut supposer que NON (x R y) signifie qu’un ou plusieurs des éléments (x, R, y) est nié, sans qu’il soit précisé le(s)quel(s).

4/ On ne peut pas apparemment associer la notion de vérité à un élement de p, on doit l’associer à la proposition entière ; alors qu’on peut le faire pour la polarité. La notion de vérité permet d’effectuer des inférences (des déductions) : si VRAI (a égale b) et VRAI (égale est une relation réflexive), alors VRAI (b égale a).

5/ La polarité a un rapport apparemment avec le concept de complémentaire (théorie des ensembles) : NON-x R y = quelque chose qui n’est pas x est associé à y par R (mais pas : toute chose qui n’est pas x, il faudrait pour cela introduire des quantificateurs [ ? ou « syncatégorématiques »]), comme : tout, au moins un, chaque, aucun…)

6/ Si la vérité est binaire (VRAI # FAUX), elle est par contre implicitement ou explicitement dépendante :
- de l’autorité qui l’énonce (moi, untel, la doxa, la loi…)
- du référent spatio-temporel et socio-culturel (« vérité en-deça des Pyrénées, erreur au-delà » ; "la somme des angles d’un triangle fait 180°" : oui, en géométrie euclidienne, pas dans l’espace…)
Autrement dit, quelque chose est vrai ou faux SELON QUELQU’UN et DANS UN CONTEXTE RESTRICTIF DONNE, il n’y a pas de vérité absolue.

7/ De plus, la vérité peut être nuancée :
- par l’expression de la certitude graduée (je suis certain, j’affirme / je crois / je formule l’hypothèse)
- par l’expression de la généralité (les oiseaux sont capables de voler, du moins en général, dans la majorité des cas)
- peut-être par d’autres notions encore ?

8/ D’une façon générale, on remarque que les valeurs VRAI et POSITIF sont plus significatives (apportent plus d’information) que leurs opposés FAUX et NEGATIF. Dire que le drapeau français contient du bleu apporte plus d’information que de dire qu’il ne contient pas de vert.

9/ D’une façon générale, tout concept acceptant des valeurs binaires (comme la vérité ou la polarité) doit aussi accepter des valeurs spéciales, qui ne sont « ni oui ni non », telles que :
- non précisé (mais pouvant éventuellement être déterminé)
- déclaré inconnu
- indécidable (prouvé comme tel)
- volontairement non révélé (mais connu du locuteur))
- non pertinent, absurde, comme dans : « Le roi de France actuel est chauve »)…

10/ Il y a pas mal de confusion dans les langues naturelles, qui font que la polarité et la vérité sont souvent confondues (on utilise quasi-indifféremment NON et FAUX par exemple).

J’en suis là de mes réflexions. Qu’en pensez-vous ?
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Alceste



Inscrit le: 27 May 2006
Messages: 196

Messageécrit le Saturday 15 Jul 06, 17:59 Répondre en citant ce message   

Hum, j'avais oublié un aspect important, c'est la possibilité de nier, non pas seulement l'ensemble de la proposition p ou un de ses éléments x, R ou y, mais aussi un sème composant l'un de ces éléments . En effet, x, R et y peuvent bien entendu déjà être (et sont en général) des agrégats de sèmes se présentant sous la forme d'un terme unique.

Ainsi, dans ces exemples que j'emprunte au "Dictionnaire encyclopédique de pragmatique" (Moeschler et Reboul, Seuil, 1994 - que je conseille vigoureusement):

"Le directeur ne m'a pas demandé de sortir, il m'a foutu à la porte, la négation porte en fait sur le registre du terme utilisé (or le registre fait partie intégrante de la définition d'un terme) et/ou sur la manière (violence, grossièreté) d'effectuer l'action.

Dans: "nous n'aimons pas le café, nous adorons le café" (je cite de tête, je ne retrouve plus la page), la négation porte sur l'intensité associée à la relation "aimer" dans la proposition.

Plus vicieux, dans: "Je ne suis pas son fils, il est mon père" (et à supposer qu'il n'y ait pas de notion de père biologique # pour l'état-civil en ligne de compte), la négation porte sur la perspective de la proposition, par l'utilisation de la relation inverse.

C'est très empoisonnant si on veut essayer de formaliser tout ça. En effet, s'il est facile de faire référence à l'un des 3 éléments de base d'une proposition quelconque (par exemple en les appelant p.x, p.R, p.y), il est beaucoup plus délicat de faire référence à un sème quelconque noyé dans l'agrégat définitionnel représenté par un terme du lexique. :fou:

Toutefois, je me demande s'il ne s'agirait pas d'un faux problème, dans la mesure où, dans ces 3 exemples, on a été obligé pour se faire comprendre de rajouter la formulation jugée plus adéquate à la suite de la proposition niée Question
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Alceste



Inscrit le: 27 May 2006
Messages: 196

Messageécrit le Monday 17 Jul 06, 9:09 Répondre en citant ce message   

(Je continue mon monologue, car il y a tout de même quelques pélerins qui jettent un coup d'oeil à mes élucubrations, et aussi parce que ça m'oblige à réfléchir, malgré la chaleur Clin d'œil )

En me relisant donc, je vois que je suis moi-même tombé dans le piège: j'ai utilisé le mot nier, alors que je pensais plutôt (confusément) à "présenter à la forme négative". J'ai donc moi-même confondu polarité et vérité. embarrassé

La première chose à faire serait donc de distinguer 2 termes distincts:
- nier = affirmer qu'une proposition p est fausse (notion de vérité)
- négatiser = présenter une proposition, ou un terme d'une proposition, sous une forme négative (notion de polarité).

Dans les exemples que j'ai cités, comme: nous n'aimons pas le café, nous adorons le café, il ne s'agit pas de négatisation, il s'agit de nier la pertinence de la première formulation pour la remplacer par une autre jugée plus adéquate. Un programme qui analyserait la composition sémantique de chacune de ces deux propositions devrait être en mesure de détecter la différence, à savoir: l'intensité associée à la relation "aimer".

S'agit-il d'ailleurs réllement de nier ? Ne serait-ce pas plus simplement une précision que l'on apporte à la 1ère formulation:
- aimer (ici:) "éprouver une attirance pour", mais sans préciser l'intensité de la relation
- adorer: la même chose, mais en ajoutant un sème d'intensité.

Nous n'avons donc rien nié du tout, nous avons seulement précisé. Nous pourrions réécrire cette phrase sous la forme: "Nous aimons le café, et même nous adorons le café", et dans ce cas, plus trace de négation, ni sous forme de valeur de vérité, ni de polarité.

Pourquoi donc, dans l'exemple originel, a-t-on utilisé une forme négative ? En fait, il s'agit simplement d'un effet de style, destiné à surprendre, à attirer l'attention de l'auditeur ou du lecteur. Qu'est-ce que le style ? C'est en gros un écart intentionnel par rapport à la norme, donc jusqu'à un certain point un abus de langage (restant dans des limites raisonnables). Et c'est en effet un abus de langage de commencer par dire "nous n'aimons pas le café" (ce que l'auditeur/lecteur comprend d'abord dans son acception habituelle) avant de préciser "nous adorons le café" (ce qui provoque une surprise, voire un petit sourire, de la part du destinataire, pour montrer qu'il a saisi l'astuce). C'est pourquoi si nous avions présenté les deux propositions dans l'ordre inverse, "nous adorons le café, nous ne l'aimons pas", l'effet serait tombé à plat.

Que serait la négatisation dans ce cas ? Ce serait par exemple de dire, selon le cas : "nous n'éprouvons pas de déplaisir à boire du café", ou "nous n'éprouvons de de dégoût envers le café", ou "l'attirance que nous éprouvons pour le café n'est pas modérée". Dans les langues naturelles, ces formulations seraient normalement comprises comme des litotes, du genre "Va, je ne te hais point", mais d'un point de vue purement logique, "l'attirance que nous éprouvons pour le café n'est pas modérée" pourrait aussi s'interpréter comme: elle est donc, soit forte, soit faible ou nulle, c'est-à-dire le complémentaire de "modéré" (ici, la pragmatique entre donc en jeu pour rectifier automatiquement, en effectuant une sélection au sein du complémentaire).

Le problème de l'interprétation par un programme de la formulation "nous n'aimons pas le café, nous l'adorons" ne peut donc pas s'appuyer uniquement sur la logique habituelle, sinon le programme détecterait simplement une contradiction, un non-sens. Il devrait pouvoir supposer qu'il y a une intention derrière cette formulation (en l'occurence, un effet de style destiné à attirer l'attention). C'est donc sensiblement le même problème que pour l'ironie, qui consiste à faire semblant d'affirmer quelque chose en sous-entendant le contraire (et qui échappe fréquemment aux personnes qui ont tendance à tout prendre au pied de la lettre, ou qui n'ont pas le sens de l'humour : ce n'est donc pas seulement un problème d'intelligence artificielle, mais aussi naturelle).
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