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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 2:47 |
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Si le gallo s'nâ ne peut pas venir de cēna, ce n'a pas seulement pour une question de sens, mais surtout pour une question de phonétique historique qui tient principalement à l'accentuation. Le nom latin du souper est accentué sur la première syllabe : cèna. La voyelle -a de la première déclinaison est inaccentuée et donne un -a toujours inaccentué en espagnol (la cena) et dans d'autre langue romane, et un e muet en français. Il est en est de même en gallo, le -a atone final de la première déclinaison latine donne un e muet. Le ē accentué donne -ei- en gallo (lat. mē, tē > gallo mei, tei). Donc, en partant de cēna et en lui appliquant toutes les règles qui régissent l'évolution phonétique du latin au gallo, on devrait obtenir un mot identique à l'ancien français ceine "souper". On voit qu'on assez loin de notre s'nâ.
La latin cēnācŭlum est lui un proparoxyton : cenàculum. En bas-latin, le -m de l'accusatif a disparu de bonne heure, le prototype est donc *cenàculu. En gallo-roman, toutes les voyelles finales tombent sauf le -a, d'où *cenàcul. Le ŭ inaccentué entre deux consonnes est élidé, ce qui donne *cenàc'l puis le groupe de consonnes c'l créé par cette élision passe à -il. Le ē inaccentué aboutit à un [ə] qui deviendra plus tard notre e muet et on obtient finalement l'ancien français cenail. En gallo, le e muet est élidé, le -ail passe à -â et on retrouve s'nâ. On a l'évolution suivante :
cēnācŭlum > *cenàculu > *cenàcul > *cenàc'l > cenail > s'nâ
Le gallo s'nâ est l'héritier du latin cēnācŭlum car si on applique à cēnācŭlum l'évolution phonétique normale du latin jusqu'au gallo, on obtient bien s'nâ. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 8:53 |
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Un grand merci pour cette très claire explication. Je crois qu'elle était nécessaire. Je ne pense pas être le seul Babélien à en bénéficier !
@ Dawance : Quid du wallon cina ? Où tombe l'accent ? |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 14:05 |
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Citation: | @ Dawance : Quid du wallon cina ? Où tombe l'accent ? |
Je ne sais si ça répond à ta question mais je sais qu'on prononce cina avec un i presqu'élidé.
Quant à Jean Haust (Dictionnaire liégeois, 1933, s.vº), il renvoie bien à cenaculum, anc. fr. cenail.
Dernière édition par AdM le Thursday 02 Feb 17, 15:00; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 14:58 |
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Merci ! L'affaire est donc entendue. |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 15:13 |
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Le FEW le relevait d'ailleurs déjà très clairement… |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 02 Feb 17, 15:27 |
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Re-merci ! La descendance dialectale de cēnācŭlum est spectaculaire ! Les régionalismes sont vraiment une mine d'or.
Voir aussi chez Pégorier les toponymes Cenas, Cinet, Sina, Sinas, Sinat, Sino dont les sens divers sont "grange, grenier, fenil, plancher d'une grange".
En ancien français, Godefroy donne le masculin cenail ou ceignail "souper ; office, garde-manger" et le féminin cenaille, chenaille, cheneile, ceneille "salle à manger". Les deux sont évidemment dérivés de cēnācŭlum qui a donc bien dû avoir aussi en latin le sens de "petit repas", même si nous n'avons pas d'attestation.
Pour la forme en san- donnée plus haut par Jeannotin, sanailh, je ne me précipiterais pas pour la rattacher à cēnācŭlum. On trouve en effet chez Pégorier un toponyme Sanail "fenil" lié à un monosyllabique san "foin", diminutif sanic "menu foin". À moins que ce san ne soit un dérivé régressif de sanic... Ni l'un ni l'autre ne sont chez Godefroy. Et il n'y a aucun dérivé en san- dans le FEW. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Friday 03 Feb 17, 21:13 |
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Wartburg est un rucher fantastique, le résultat d'un gigantesque butinage parmi toutes les fleurs des dialectes d'oil.
Je reviens un instant sur l'évolution phonétique :
Citation: | cēnācŭlum > *cenàculu > *cenàcul > *cenàc'l > cenail > s'nâ |
J'envisage les évolutions semblables:
spiraculum spira soupirail
gubernaculum viernå gouvernail
cramaculum crama crémaillère
Pour le français :
Je pense que la diphtongue française provient d'une coalescence après l'amuïssement du c. On aurait plutôt :
-acu- > ayu >ay et donc cenà(c)ul > *cenàyu > cenaï , tout comme ma(c)ula a donné may(u) puis fr. maille.
Pour le wallon :
Il ne me paraît pas que le wallon postérieure à cette diphtongaison et qu'on a plutôt :
*cenàc'l (hautement instable en wallon) > cina, après amuïssement du groupe consonantique kl, inaccepté en wallon (en position faible).
Je tiens à préciser que mes connaissances en évolution phonétique ne résultent pas d'un apprentissage scolaire.
Le forum corrigera éventuellement.
On voudra bien noter les emprunts tardifs tabernak, tabernacle et covièke, couvercle, où seule une consonne a été amuïe. Cette dernière "loi" est conservée dans le parler du français par des Wallons liégeois.
PS: tout le monde aura constaté que la conservation du foin ne se fait plus de nos jours dans un fenil, cette remise située au premier, voire au 2e étage. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 04 Feb 17, 15:11 |
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Citation: | tout le monde aura constaté que la conservation du foin ne se fait plus de nos jours dans un fenil, cette remise située au premier, voire au 2e étage. |
"Constaté", je ne sais pas comment, mais surtout "tout le monde" comprendra aisément qu'un fenil est logiquement situé juste au-dessus de l'étable ou de l'écurie de façon à ce que le foin descende sans effort par une trappe vers les mangeoires des animaux. Et comme les étables et écuries sont forcément situées au ras du sol, les fenils sont nécessairement situés au premier étage.
Les travaux de la ferme sont pénibles mais les paysans ont appris à économiser leurs forces.
La grange est un lieu de stockage du foin. Il y séjourne et sèche avant d'être distribué peu à peu dans les fenils de l'étable et de l'écurie.
Les fonctions du fenil et de la grange sont différentes et complémentaires. Les termes grange et fenil ne sont donc pas synonymes.
Lequel de nous deux, Dawance, n'a jamais vu un fenil (une fenière, dans le Forez) ? |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1887 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 04 Feb 17, 23:01 |
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Je vois que tu t'es informé.
La grange est HS évidemment. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 04 Feb 17, 23:04 |
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J'étais informé, depuis longtemps, avant de savoir lire, je n'ai donc pas eu besoin de m'informer.
Selon ta propre expression, tu me lis en diagonale... |
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