1.3/ Les tribus germaniques

                    1.3.1/     Les trois grandes familles germaniques

Les Germains dont le nom vient de l'appellation romaine "Germani" ne se sont, semble-t-il, jamais désignés par ce terme générique étranger, mais plutôt par des dérivés du mot racine "thiot" signifiant le peuple, sous-entendu "le peuple parlant une langue plus ou moins commune". L'adjectif formé" sur "thiot" a donné "thiodisk", puis "diutisk" pour donner les formes plus récentes de "diutisch" et "deutsch". On le retrouve sous la forme latine "theodiscus" ou française médiévale "tudesque", ou encore en italien moderne "tedesco" pour désigner les Allemands. Cette vaste définition du groupe "deutsch" a pour conséquence immédiate le regroupement de peuples germaniques que nous n'associons pas spontanément aux Allemands de l'époque contemporaine. C'est pourquoi, dire en allemand "Fränkisch ist ein deutscher Dialekt" paraît presque plus "naturel" que de dire que le francique est un dialecte allemand, vu la vision très réductrice que les Français ont du concept "allemand".

Après les deux mutations consonantiques des langues germaniques, il ne fait aucun doute que les tribus germaniques, à une époque où toute prononciation d'un quelconque mot trahissait l'origine d'un locuteur, savaient grossièrement reconnaître la langue et la culture souches des gens qu'elles rencontraient. L'accentuation typique de la première syllabe par les Germains, de même que l'accent tonique et l'attaque des voyelles initiales, ne laissent planer aucun doute. Cela ne signifie pas que les tribus se comprenaient spontanément ! Les historiens et les linguistes ont dégagé trois grandes familles entre lesquelles on peut imaginer une intercompréhension qu'impossible.

Les Germains de l'Est - Ostgermanen - sont localisés sur l'actuelle Pologne. Ce sont les tribus au-delà de l'Oder. On peut remarquer que parmi eux il y a les Burgondes qui joueront un rôle important pour l'histoire de la Lorraine et de l'actuelle Bourgogne. Les Goths et les Vandales, bien qu'ils fussent passés en Lorraine dans leur migration, ont pour leur part contribué à la formation de nouveaux royaumes en Espagne, en Italie et en Afrique du Nord. Toutes ces ethnies resteront tout de même presque neuf siècles en Europe orientale, notamment les Burgondes et les Vandales, avant d'entamer leurs migrations vers l'ouest à partir de 400 ap. J.C..

Les Germains nordiques - Nordgermanen - ne concernent pas l'histoire de la Moselle à cette époque. Ils sont les héritiers les plus "naturels" de la culture germanique originelle en ce sens qu'ils sont restés dans l'aire de l'information de la culture protogermanique ; leur extension vers le nord de la Scandinavie les a coupés des grandes migrations et des influences méridionales. Leur langue n'a pas subi la deuxième nutation consonantique, le norrois ancien permet donc un rapprochement plus facile avec le protogermanique que les branches allemandes du Sud. Ils réapparaîtront dans l'histoire de la Moselle pendant les incursions de Vikings au 9ème siècle, date à laquelle les différentes tendances scandinaves ont eu le temps de se former.

Les Germains de l'Ouest - Westgermanen - sont les tribus établies sur :

 

Les rives du Rhin, de l'Elbe, de la Weser et de leurs affluents.

Les côtes de la Mer du Nord.

 

1.3.2/ Les Germains de l'Ouest de la rive gauche du Rhin et sur la Moselle

Trois grandes familles se partagent le territoire germanique occidental sans que pourtant on puisse parler d'unité ethnique. Les historiens allemands parlent de communautés cultuelles (Kultverbände), de parentèles aux intérêts communs.

Les "Ingaevones" (Ingwäonen) évoqués par Pline l'Ancien : côtes de la Mer du Nord

Les "Istaevones" (Istwäonen) évoqués par Tacite dans Germania : vallée du Rhin.

Les "Hermiones" (Herminonen) évoqués Pline et Tacite : à l'intérieur des terres.

La carte nous montre que la présence de Germains dans la vallée de la Moselle et environs immédiats remonte déjà à plus de 250 av. J.C. comparés aux Némètes et Triboques de l'Alsace voisine. Certaines sources citent les Trévires qui descendirent la vallée mosellane au-delà de Mets parmi les peuples germaniques. D'autres les désignent comme simplement "peuple de Belgique", d'autres ouvrages spécialisés les comptent indubitablement par les Celtes. Il vit au contact des peuplades celtiques comme les Médiomatriques et les Rèmes ; au moment de l'invasion romaine, ils sont déjà probablement bien intégrés et influencés par les échanges entre Celtes et Germains. Dans "La guerre des Gaules", César dit bien que les Belges lui semblent ni Germains, ni Gaulois. Ce n'est probablement pas le seul peuple hybride de cette époque, mais ce qui paraît sûr tout de même, c'est qu'il a été intégré à la vie gallo-romaine et qu'il a contribué au maintien de la culture latine dans la vallée mosellane bien plus longtemps que dans d'autres régions germaniques.

La carte fait apparaître dans les peuplades istévones celles qui ont participé à la formation de la tribu franque :

Les Usipètes

Les Tenctères

Les Sugambres

Les Brictères

Leur territoire ne se situe pas à l'intérieur de l'empire romain dans sa plus grande extension. Ils sont des voisins avec lesquels le pouvoir romain entretient des échanges, ne serait-ce que sur le plan militaire pour assurer ses frontières par peuples amis interposés. Cela signifie que contrairement aux tribus plus éloignées, les Francs connaissent et se laissent influencer par la culture latine. Il en va de même pour les peuples belges ou germaniques sur la rive gauche du Rhin, intégrés dans la province de Belgique comme l'actuelle Moselle.

La formation d'un territoire de transition entre la Gaule purement gallo-romaine et la Germania ne sera pas sans conséquence sur les événements ultérieurs. Car, la progression de cette nouvelle communauté franque à l'intérieur de l'empire romain décadent au 5ème siècle ap. J.C. suit étrangement les territoires où ont vécu des peuplades intégrées de souche germanique, prémisses des deux grandes familles franques : la Salienne à l'Ouest et la Ripuaire ou rhénane à l'Est.

Finalement, on peut dire que la Moselle n'est pas encore concernée par la formation des Francs au Nord-Ouest, mais que de -500 à l'occupation de César, elle a été progressivement entourée, peut-être déjà infiltrée, par les peuples germaniques ou germano-celtiques.

Néanmoins, la vallée de la Moselle de Metz à Trêves semble être demeurée un centre de la gallicité ou de la latinité jusqu'à l'occupation franque.