le Code Officiel Géographique






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D : La genèse du code officiel géographique



5 : La genèse du COG, du NIR, du RNIPP et de la CNIL



L'exposé de Michel Lévy "Le numéro INSEE : de la mobilisation clandestine (1940) au projet Safari (1974)" [88], complété par celui de Robert Carmille "Les services statistiques français pendant l'occupation" [87] et par celui de Xavier Jacquey "De la statistique au camouflage – Une administration résistante" [89], constitue la source de loin la mieux documentée sur ce sujet.






5.1. : La genèse du code officiel géographique (COG)



L'idée de coder tous les lieux du globe à partir d'un code à 5 chiffres séparant d'une part la métropole, pour laquelle chaque département est identifié par son code à deux chiffres de 01 à 90, puis la commune est précisée par 3 chiffres, d'autre part les autres parties du territoire français identifiées par des codes à deux chiffres de 91 à 98, précisés chacun par un code à trois chiffres, et enfin l'étranger identifié par un préfixe 99, précisé par un code pays à 3 chiffres, est déjà en soi très brillante.







5.2. : La genèse du numéro national d'identification (NNI)



L'idée d'intégrer ce code, comme composante d'un numéro d'identification numérique des personnes physiques largement significatif, donc appropriable, est encore une autre idée brillante. L'identifiant numérique ainsi construit comprend 13 chiffres répartis en cinq composantes :



(i) 1ère composante : 1 chiffre - Le sexe : 1 - homme

2 - femme



(ii) 2e composante : 2 chiffres - Les deux derniers chiffres du millésime de l'année de naissance ;



(iii) 3e composante : 2 chiffres - Le mois de naissance, codé de 01 (janvier) à 12 (décembre) ;



(iv) 4e composante : 5 chiffres - Le lieu de naissance selon le COG ;



(v) 5e composante : 3 chiffres - C'est la partie non significative, indicateur du rang de naissance de l'individu, dans le lieu, l'année et le mois (éventuellement le sexe) qui lui correspondent.



En substance, ces idées sont déjà présentes dans un rapport officiel de la Troisième République daté du 5 février 1935 et signé par René Carmille, futur directeur du Service de la Démographie, puis du Service National des Statistiques (SNS) ([68.2] et [72.2]).



Elles sont aussi très bien exposées dans les pages 122 à 124 de l'ouvrage de René Carmille "La mécanographie dans les administrations", 2" édition en 1942 [69], où l'avenir de la mécanographie (c'est-à-dire plus tard de l'informatique) dans le traitement des fichiers est magistralement prophetisé.






5.3. : Sur l'identifiant



(i) On a ainsi construit une bijection très performante entre d'une part l'identifiant et d'autre part l'état civil de l'individu concerné (nom, prénoms, date et lieu de naissance). On a donc créé un répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP), qui n'est pas un fichier de population car l'adresse de l'individu n'y figure pas.



(ii) Il n'y a de problème que si au même lieu et dans le même mois de la même année (éventuellement pour le même sexe) naissent plus de 999 individus, ce qui est rare[voir toutefois au (iii) ci-dessous].



L'économie faite sur l'année (2 chiffres seulement) n'est pas très pratique lorsque les centenaires se font nombreux ; elle peut s'équilibrer avec le gâchis de n'utiliser que 12 possibilités sur 100 pour la 3e composante (voir le 5.8 (iv)).





(iii) L'intervention du sexe (dont la détermination à l'époque de la création ne pose pas question et qui est bien utile pour un fichier de mobilisation) est redondante avec la 5e composante dans le cas (très général) où l'indicateur du rang de naissance de l'individu prend en compte tous les individus indépendamment du sexe (mais dans les communes où il y a beaucoup de naisssances, la prise en compte séparément du rang des naissances masculines et du rang des naissances féminines permet de ne pas dépasser 999 !). Le choix du codage est sujet à récrimination car le 1 [masculin] précède le 2 [féminin] (mais on peut poser 0 pour les femmes si l'on veut, et l'ordre est renversé !). Plus dangereuse est la possibilité ouverte des autres chiffres libres sur la 1ère composante.








5.4. : Le numéro de Sécurité sociale



Cette très puissante construction sera d'ailleurs utilisée, dès sa création, en 1946, par la Sécurité sociale. Et sera vite connue sous le nom de numéro de sécurité sociale (en fait celui-ci rajoute aux 13 chiffres de l'identifiant construit par l'INSEE une clé formée de 2 chiffres [qui est le complément à 97 du reste de la division par 97 du nombre formé par les 13 chiffres de l'identifiant] et comprend donc 15 chiffres).








5.5. : La construction initiale du répertoire



(i) Deux vices perturbent la mise en oeuvre du concept. L'un tient à l'époque (1941), et à la situation historique particulière du moment ; l'autre tient à la redoutable possibilité de modification de la première composante du numéro d'identification.



(ii) En effet c'est durant l'année 1941 (instructions du 18 mars et du 11 avril 1941) que le Service de la Démographie, en se servant des documents d'état civil relatifs aux personnes physiques nées en France depuis 1881 et disponibles dans les greffes des tribunaux de première instance, constitua initialement le répertoire d'identification des personnes nées en France. Ce répertoire fut ensuite complété en ce qui concerne les personnes nées dans les colonies ou à l'étranger [87,88].



(iii) a) En outre une instruction du 30 mai 1941 a modifié comme suit la première composante de l'identifiant :



- 1 ou 2 pour les citoyens français ;

- 3 ou 4 pour les indigènes des colonies, à l'exception des juifs ;

- 5 ou 6 pour les juifs indigènes ;

- 7 ou 8 pour les étrangers ;

- 9 ou 0 statut mal défini.



b) A la suite de la loi du 11 février 1941, qui fusionne la Statistique Générale de la France et le Service de la Démographie dans le Service National des Statistiques (SNS), une instruction du 21 mai 1942 de la 2e direction du SNS sur le Numéro d'Identification et le Répertoire d'Identification abrogea toutes les instructions antérieures et confirma le codage de la première composante décrit en a).





(iv) a) Une note du 15 septembre 1944 du SNS prévoit :



"En application de la loi abrogeant les lois raciales en France, la rubrique "Race" est annulée sur tous les documents détenus par le SNS. La première composante 5 ou 6 du numéro d'identification sera progressivement remplacée par une composante 1 et 2 ou 3 et 4 suivant les déclarations des intéressés. Cette mesure ne devra pas faire l'objet pour le moment d'une recherche systématique du fichier ou du répertoire".



b) C'est seulement le 28 mai 1945 qu'est envoyée une note de la 2e direction de la direction générale du SNS, ministère de l'Economie nationale, titrée "Instruction relative à l'identification".



Cette note indique : "Le SNS procède depuis plus de 4 ans à l'identification des documents qu'il exploite. L'expérience acquise progressivement a permis de mettre au point la doctrine d'emploi de ce procédé.



Le moment semble venu de l'exposer en détail et de rassembler en une seule instruction :



- les règles de constitution et d'emploi du Répertoire ;

- les procédés d'identification des documents.



Les modifications apportées par la nouvelle instruction aux prescriptions anciennes portent sur les points suivants :



1°) La première composante du numéro d'identification n'est plus significative de la nationalité des individus ; de ce fait les numéros sont immuables.



....(suivent 5 autres modifications) ...."



A la partie II de la note d'envoi sont abrogés les documents antérieurs.



c) La note du 28 mai 1945 contient une instruction datée du 18 mai 1945 qui concerne l'établissement du répertoire et rappelle (pages 4 et 5) qu'il a été initialement constitué par le relevé systématique sur les registres des greffes pratiqué en 1941 pour les personnes nées de 1881 à 1940 inclus en France et en Algérie, ainsi que par le relevé occasionnel sur documents pour les personnes nées avant 1881 et pour les personnes nées aux Colonies ou à l'étranger. S'y ajoute le relevé systématique pratiqué depuis 1941 sur les bulletins de naissance ou de transcription.



Par la même instruction, la première composante est limitée au sexe : 1. masculin, 2. féminin (page 2). Les chiffres 3 à 9 et 0, utilisés de 1941 à 1945 seront progressivement remplacés à l'occasion de l'identification de tout nouveau document par les chiffres 1 ou 2 (page 10).



(v) Il est difficile, tout en considérant la facette glorieuse et indiscutable que constitue son éventuelle utilisation en tant que fichier de mobilisation et en admettant que des instructions orales aient contredit les instructions écrites (elles-mêmes volontairement contradictoires ou inapplicables) de présenter comme sans danger, vu les conditions de l'époque, la construction d'un tel instrument.



Sur ces points, outre les sources [87], [88] et [89] déjà signalées, on se reportera au rapport [70] sur le "fichier juif" remis par la commission présidée par R. Remond (pages 65 à 70, 75 à 80, 84 à 86, 140 à 145 et 151 à 153), même si plusieurs auteurs (l'historienne spécialiste des Archives Sonia Combe et le sénateur Caillavet, membre de la CNIL, notamment) ne l'ont pas jugé totalement convaincant [67], ainsi qu'au rapport de la mission d'analyse historique sur le système statistique français de 1940 à 1945 [72.1], à la réponse du fils de René Carmille, Robert Carmille [72.2], et aussi à la synthèse présentée par ce dernier [72.3].








5.6. : Le numéro d'identification du répertoire des établissements



Le code officiel géographique servira aussi de composante dans le numéro d'identification au répertoire des établissements crée par le décret n° 48-1129 du 15 juillet 1948 portant création d'une commission nationale d'identification des entreprises industrielles, artisanales et commerciales, qui est l'ancêtre de SIRENE (l'informatique et la liaison entre les divers établissements d'une même entreprise en moins) [60].










5.7. : La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL)



Le conflit entre l'utilisation massive du RNIPP et l'atteinte virtuelle aux libertés publiques pouvant en résulter éclatera à nouveau avec l'informatisation du Répertoire et le projet "SAFARI [Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire d'Identification]", consistant à ériger l'identifiant en numéro unique d'identification des personnes physiques dans les fichiers les concernant détenus par l'administration (à l'image de l'identifiant de SIRENE pour les entreprises) [79].



Les réactions suscitées par ce projet (le fantasme "orwellien" du big brother, dirons les uns) conduiront tout droit à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés. Et l'autorité administrative indépendante créée par cette loi, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), s'emploiera fort logiquement à réglementer strictement et restrictivement tant l'emploi de l'identifiant que l'accès au répertoire.



Cette position constante de la CNIL apparaît dans nombre de ses rapports annuels [65]. Elle est particulièrement clairement explicitée dans son 7e rapport (1986), pages 61 à 66 [65.7].



A ce sujet, on pourra aussi se reporter à l'avis donné par G. Braibant dans son rapport au Premier ministre [71, page 99], ainsi qu'au rapport Azema-Lévy - Bruhl-Touchelay [72].









5.8. : Le Numéro d'Inscription au Répertoire (NIR)



(i) En 1982 le décret n° 82-103 du 22 janvier 1982 "régularisera" l'existence du RNIPP, et rebaptisera le NNI (qui sentait trop le soufre du projet SAFARI) en un plus neutre "numéro d'inscription au répertoire (NIR)" (voir sur ce point le 2e rapport annuel de la CNIL (1982), pages 25 à 27 et 223 à 225 [65.2], ainsi que [81.1] et [81.2]). Un arrêté du 7 mai 1993 portera ensuite modification du traitement automatisé de gestion du RNIPP.



(ii) Cependant, par sa délibération n° 83-58 du 29 novembre 1983 portant recommandation concernant la consultation du RNIPP et l'utilisation du NIR, la CNIL marque ensuite sa réticence à envisager l'extension de l'utilisation du NIR au-delà du secteur de la sécurité sociale et [81.3].



(iii) Le décret n° 98-92 du 18 février 1998 a, pour la première fois depuis 16 ans, modifié le décret n° 82-103 en introduisant dans son article 5 des délais pour la transmission à l'INSEE des informations d'état civil (voir [82.1] et [82.2]).



(iv) La CNIL a ensuite donné son accord à la réimmatriculation (volontaire) des rapatriés d'Algérie (voir [83.1] et [83.2]), c'est-à-dire au fait que les personnes nées en Algérie avant la date de l'indépendance (soit avant le 3 juillet 1962) auront, en ce qui concerne la partie du NIR relative au lieu de naissance, le code en vigueur à la date de leur naissance (voir 6.2.3., 7.2.2., 9.3.1. et 9.7.2. (ii)) :

- automatiquement, pour les personnes inscrites au RNIPP après le 1er janvier 2000;

- sur leur demande, pour les personnes inscrites au RNIPP avant le 31 décembre 1999.

En effet, le fichier relatif aux personnes nées en Algérie avant l'indépendance a été détruit, et de ce fait les personnes rentrées en France ont été identifiées lors de leur retour avec un code du lieu de naissance correspondant à la situation d'après l'indépendance (code de l'Algérie : 99352, voir 9.7.2. (ii)).



(v) En outre l'INSEE a déposé à la CNIL en 1991 une demande de conseil sur la question de la prise en compte de l'année de naissance par le NIR. En effet, si le fichier papier du répertoire des personnes a été systématiquement constitué (voir 5.5. (ii)) à partir de l'état civil des personnes nées depuis 1881 (et complété en tant que de besoins pour les personnes nées avant 1881), la saisie informatique destinée à constituer le RNIPP n'a concerné que les personnes nées depuis 1891 (donc âgée de 85 ans au plus à la date de la saisie). A partir de 1991, un risque de réattribution de numéros d'identification déjà affectés apparaissait. Il convenait donc de modifier les règles de constitution du NIR, alors en vigueur. L'INSEE a donc proposé donc à la CNIL :

- soit de modifier la 1ère composante du NIR, en codant 3 (pour les hommes) et 4 (pour les femmes) le sexe pour les personnes nées à partir de 1991 ;

- soit de modifier la 3e composante du NIR, en codant le mois de naissance par les chiffres 71 à 82 (au lieu de 01 à 12) pour les personnes nées à partir de 1991.

La délibération n° 91-021 de la CNIL du 19 mars 1991 [81.4] repousse explicitement la modification de la première composante en considérant que "la réintroduction des valeurs 3 et 4 qui a une connotation fortement symbolique dans l'inconscient collectif n'est pas souhaitable" et se prononce en faveur de la modification de la 3e composante du NIR.

En fait, la sécurité sociale s'étant déclarée hostile à la solution retenue par la CNIL, la solution finalement choisie consiste à jouer sur les 3 derniers chiffres de la 4e composante (code de la commune au sein du département, ou du pays), ainsi que sur la 5e composante, non significative, du NIR (par la création de codes "extension" portant sur la commune ou le pays de naissance, lorsque celui qui figure au COG est saturé).



(vi) Après son approbation par la section des finances du Conseil d'Etat, le 17 janvier 2006, le décret n° 2006-278 du 8 mars 2006 a étendu l'inscription au RNIPP à l'ensemble des personnes physiques nées sur le territoire de la République française.








5.9. : L'utilisation du NIR





Jusqu'à la fin de l'année 1998, la CNIL a strictement cantonné l'accès au RNIPP, et l'usage du NIR, principalement à la sphère du code de la Sécurité sociale, avec une extension à la sphère du code du Travail, tout en admettant quelques autres utilisations spécifiques localisées [84]. Toutefois, à la suite de la transposition en droit français de la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données [78] par la loi n° 2004-801 du 2 août 2004, qui a modifié la loi initiale n° 78-17 du 6 janvier 1978, de fortes pressions s'exercent en faveur :



- de l'utilisation du NIR à des fins fiscales ;

- de l'utilisation d'identifiants liés au NIR ou dérivés du NIR, voir du NIR lui-même, dans les systèmes d'informations relatifs à la santé des personnes.



L'article 107 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998) a d'ailleurs d'autorisé l'utilisation du NIR à des fins fiscales [85], cependant que trois délibérations de la CNIL (voir [86.1], [86.2] et [86.3], ainsi que [77] et [65.19]) ont strictement encadré les actes réglementaires (voir [86.4], [86.5], [86.6] et [86.7]) pris pour l'application de cette autorisation.
















le code officiel géographique : sommaire

dossier réalisé par Gérard Lang