Par Eric NOWAK
«Poitevin-saintongeais» étant pris ici sans référence à une quelconque tentative de normalisation orthographique ou linguistique, ne doit pas être assimilé avec la «graphie normalisée du poitevin-saintongeais» mais compris dans son sens premier d'«ensemble linguistique réunissant le poitevin et le saintongeais».
DU "VENTRE ROUGE" AU "SUBIET DES CHERENTES ET DAU POUETOU" :
En 1899 naît à Bordeaux en Gironde un journal d’expression saintongeaise « Le ventre Rouge ».
En 1901 naît à Matha en Charente-Maritime un autre célèbre journal d’expression saintongeaise « Le Subiet, Jhornau des bons bitons, Émolé châ dimanche, En biâ parlanjhe de la Saintonjhe, de l’Angoumois et de l’Aunî ».
En 1903, les deux fusionnent sous le titre de « Le Subiet et le “Ventre Rouge” réunis » associant ainsi auteurs de Charente, Charente-Maritime et Gironde saintongeaise.
Dès 1908, le titre devient « Le Subiet des Chérentes et dau Pouétou » affichant dans son titre l’ouverture aux auteurs poitevins de la Vienne, des Deux-Sèvres, et de la Vendée.
Mais cette présence poitevine est une réalité depuis le début. En effet dès 1902 on peut dans Le Subiet, lire l’appel (signé : « La Rédaction ») à "une réunion de poètes et chansonniers charentais et poitevins, où seront jetées les bases d’une société de Subiards et Pibolous, ayant pour but de donner des réunions artistiques et littéraires dans les principaux centres de nos provinces."
En 1965, à la reprise du journal Le Subiet par la SEFCO, les orientations linguistiques précédentes du titre sont maintenues, puisqu’on y retrouve aussi bien des auteurs saintongeais (de nord Gironde, Charente-Maritime, Charente), que poitevins (du nord des Charentes, de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Vendée), auxquels s’adjoignent des auteurs du Pays de Retz (sud Loire Atlantique de langue poitevine).
AUTRES EXEMPLES DE CETTE SYNERGIE :
En 1893, Barthélemy Gautier (de Pons dans le sud de la Charente-Maritime), célèbre pour ses dessins humoristiques légendés en saintongeais , illustre la première partie des Fables en patois poitevin du célèbre auteur Mellois (Deux-Sèvres) Édouard Lacuve.
Au début du XXème siècle, dans la presse locale Civraisienne (sud Vienne), en lieux et place des textes en poitevin du Civraisien habituels, se trouvent régulièrement publiées les poésies en saintongeais de Jean Esmein (natif de Touvérac en sud Charente, bien loin de la Vienne).
PREFIGURATIONS :
En 1834 est fondée la Société des Antiquaires de l’Ouest « pour la recherche, l’étude, la conservation et la description des antiquités et des documents historiques dans les pays compris entre la Loire et la Dordogne », et dont l’action perdure encore de nos jours, soit plus de 170 ans après sa création !
En 1896 se tient à Niort, le congrès de la Société d’Ethnographie nationale et d’Art populaire, qui déboucha sur la publication d’un ouvrage intitulé « La tradition en Poitou et Charentes », concernant là encore les cinq départements d’entre Loire et Gironde.
En 1926 se tient à Poitiers un congrès des Sociétés Savantes de Paris et des départements, qui déboucha sur la publication d’un ouvrage intitulé « Le centre-ouest de la France, encyclopédie régionale illustrée », concernant les cinq départements précédemment cités.
MOUVEMENTS ASSOCIATIFS "REGIONALISTES" CONTEMPORAINS :
1962 : création en Charente-Maritime de la SEFCO (Société d’Etudes Folkloriques du Centre-Ouest puis Société d’Ethnographie et de Folklore du Centre-Ouest)publiant une revue ethnographique "Aguiaine" consacrée aux départements de Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente, Charente-Maritime, couplée avec un supplément intitulé "Le Subiet" consacré à la publication de textes en poitevin-saintongeais.
1968 : création en Poitou de l’UPCP (Union Poitou-Charentes-Vendée pour la Culture Populaire)devenue par la suite UPCP-Métive. UPCP-Métive étant une fédération d’associations d’éducation populaire agissant dans le domaine de la culture régionale – langue, musique, savoir-faire… (regroupant une quarantaine d’associations sises en Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente-Maritime) ; gérant La MCP (Maison des Cultures Populaires) à Parthenay (scène nationale) ; et fondatrice en 1992 d’une maison d’éditions (Geste Éditions) qui a déjà publié plus de six cent titres pour la plupart concernant le Poitou-Charentes-Vendée.
Même si leur lien avec la linguistique ou l’ethnographie régionale n’est pas constant ni central, on remarquera le grand nombre de celles qui prirent comme secteur géographique de référence cet entre Loire et Gironde poitevin et saintongeais :
PREFIGURATIONS :
- les éphémères « Revue organique des départements de l’Ouest » lancée en 1845, « Revue de l’Aunis, de la Saintonge et du Poitou » (1867), « Bibliophile de l’Ouest de la France » (1867), « Courrier littéraire de l’Ouest » (1880), et « Revue poitevine et saintongeaise » (1884 et qui dura une dizaine d’années),
- la revue « Pays d’Ouest » (1911 à 1954), puis les « Cahiers de l’Ouest » (1956 à 1960).
TENTATIVES PLUS RECENTES :
Au milieu des années 1980, la revue « La Boulite poitevine-saintongeaise », puis, dans les années 1990, la revue « Rimajhes », se consacrent toutes les deux au Poitou-Charentes-Vendée, avec une place omniprésente de la langue régionale.
REVUES CONTEMPORAINES :
Commençons par les « Bulletins » et « Mémoires » de la Société des Antiquaires de l’Ouest précédemment évoquée (et concernants comme on l'a déjà vu plus haut "les pays compris entre la Loire et la Dordogne"), dans lesquels on trouvera, entre autres, la publication en 1867 du « Glossaire du patois poitevin » de Charles-Claude Lalanne, et celles en 1843 des « Coutumes de Charroux » et en 1875 du « Terrier du grand fief d’Aunis », deux textes importants pour l’étude de notre langue régionale au XIIIème siècle. Une publication qui commence en 1834... et qui perdure encore !
À l’heure actuelle la veine n’est pas tarie, loin s’en faut, comme en témoignent la revue ethnographique « Aguiaine » (revue de la SEFCO) et la revue historique, patrimoniale et touristique « Le Picton » (à Poitiers), qui toutes deux ont constamment laissé une place importante à la langue régionale. Elles paraissent sans discontinuer pour la première depuis 1962 (Poitou-Charentes avec Vendée incluse), et pour la seconde depuis 1977 (qui hésite selon les époques entre Poitou-Charentes avec ou sans la Vendée).
Citons encore la revue « Écrits d’Ouest » publiée sans discontinuer depuis 1992 par la Société rochelaise d’Histoire moderne et contemporaine, et qui, comme on le lit dans le numéro de 2003 : « se propose de s’intéresser plus particulièrement à l’histoire, à la littérature et à l’art contemporain dans les départements de Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vendée et Vienne ». L’éditorial du premier numéro (1992), signé Claudy Valin, nous parle de la volonté que les travaux de cette société « embrassent un territoire grand comme les cinq départements du Poitou-Charentes, des plages de notre façade maritime aux confins granitiques de la Vienne, tant il est vrai que sont forts les liens qui, par delà les limites administratives, unissent des populations ayant, au fil des siècles, mêlé leur sang, leurs inclinations et leurs idées. » On aura noté « les cinq départements du Poitou-Charentes » (donc Poitou-Charentes plus Vendée). L’éditorial du second numéro (1993), signé André Reynaud, précise : « Nous souhaitons […] proposer une complémentarité aux nombreux et passionnants bulletins des sociétés savantes des départements de la région Poitou-Charentes auxquels vient s’ajouter – le plus naturellement du monde, nous semble-t-il – la Vendée. Il peut être utile de souligner, une nouvelle fois, que l’identité de cette dernière ne date que de la révolution […]. »
Enfin une petite dernière est née en 2008. Nommée « Comme une culture » elle affiche clairement sur son bandeau de titre son domaine de diffusion : « Vendée Poitou-Charentes ». Dans l’éditorial du n°7 (juillet-août 2009) son rédacteur en chef, Abderrahmane Kerzazi, y parle d’ailleurs de « notre belle région de Vendée et Poitou-Charentes » qu’il évoque plus loin sous le nom de « cette région élargie »…
AVANT LA CREATION DE LA REGION POITOU-CHARENTES
Pour l’Exposition internationale de Paris de 1937, fut créé un Centre Régional présentant les différentes régions françaises. Une région fut constituée à cette occasion en réunissant Poitou, Aunis, Saintonge et Angoumois (soit la Vendée, les Deux-Sèvres, la Vienne, la Charente et la Charente-maritime). Le Commissaire Général Labbé, lors de l’inauguration du Pavillon Général, associa la région a sa langue : «Entre la Loire et l’Océan, la Garonne et le Plateau Central, s’étend une terre plate, basse, parfois marécageuse, parfois luxuriante, où tout se mêle, le pré et le bosquet, le bois et la rivière, pour donner une impression de fertilité et d’aise qui se retrouve dans la poppulation, qui se traduit par la ligne sobre des villes, par l’accent trainant qui fait de votre langage une sorte de poésie. »
Après 1937 l’Association Régionale assura sa perennité en se transformant en Comité Régional avec le but statiutaire suivant : «poursuivre le meilleur aménagement de la Région avec ses caractères propres, dans son économie générale, ses métiers, ses arts, sa littéraruure, ses sciences, son folklore, sa gastronomie, ses fêtes et ses jeux, ses monuments et ses sites – et, d’une manière générale, susciter, développer et faire connaître les ressources et les activités régionales. »
En janvier 1941, alors que le gouvernement de l’époque prépare la création des régions administratives , la Revue du Bas Poitou (Vendée), publie un numéro spécial thématique, intitulé Livraison consacrée à l’étude de notre région de demain, qui se trouve être un manifeste pour la constitution d’une région Poitou-Charentes à cinq départements, incluant donc la Vendée. On y trouve un article de Pierre Gaudin (Président de la région Poitou-Aunis-Saintonge-Angoumois à l’exposition de 1937) intitulé "La leçon de l’expérience de 1937" , un article de A. Loez (secrétaire général de la Chambre de commerce de Niort et des Deux-Sèvres) "La région économique de l’Ouest Charentes et Poitou" , un article de Louis Merle "Le Poitou et les provinces charentaises, région normale et cohérente", un de A.D. Poirier (professeur de philologie romane à l’Université catholique d’Angers) "Éléments d’unité : le parler, le folklore, l’art" , et un de Mlle de Roux "La région Poitou-Charentes dans l’Histoire".
En 1937 A. Loez, dans son article "La région économique de l’Ouest Charentes et Poitou", évoque la création de "L’association centrale des Laiteries coopératives des Charentes et du Poitou" comme un argument pour la constitution d’une région Poitou-Charentes avec Vendée incluse. Cette association, crée en 1893 existe toujours, et la production laitière régionale en porte toujours l’empreinte.
En conclusion à cette livraison exceptionnelle de la Revue du bas-Poitou, Jacques de Maupeou, directeur de la revue, écrit : «J’ai beau m’interroger, je ne sens pas le Poitou nantais – encore moins breton. […] je trouve des différences frappantes et profondes entre l’âpre côte bretonne, découpée dans le granit, et nos longues plages vendéennes, rectilignes et ensoleillées ; parce que, quoi qu’on en dise ou qu’on fasse, la Loire est et restera, dans l’ouest, la frontière de l’ardoise et de la tuile, de l’Armorique et de l’Aquitaine, le passage des pays de la brume aux pays du soleil. […] les études qui précèdent m’expliquent d’une façon remarquable les ressemblances qui font que nous, poitevins puisque bas-poitevins, nous sentons tout naturellement disposés à faire équipe avec nos voisins du sud, les Charentais. Des affinités anciennes –ainsi que le montrent M. de Roux et M. l’abbé Poirier – nous y portent. L’expérience de ces dernières années, au point de vue économique, la création spontanée des organismes qu’énumère M. Loez et qui ont librement réuni des intérêts communs ; les résultats tangibles qu’une telle union a déjà donnés dans le domaine des réalisations et que vient de rappeler M. Pierre Gaudin : autant de raisons claires qui nous assurent que nous ne faisons pas fausse route et que notre sentiment correspond à la réalité des faits.»
DEPUIS LA CREATION DE LA REGION POITOU-CHARENTES :
Mais ces vœux restèrent inexaucés, l’administration choisissant en 1941 de créer une région Poitou-Charentes à quatre départements (Vienne, Deux-Sèvres, Charente, Charente-Maritime) sans la Vendée…
En 1967, Patrick de Ruffray, natif d’Angoulême (Charente), essayiste et collaborateur du Figaro, dans son ouvrage "Décoloniser les provinces : conversations régionalistes en poitou-Charentes" , écrit que «pour le Poitou-Charentes» on aurait du éviter «la sottise historique, géographique et humaine, contre laquelle je protesterai de toutes mes forces jusqu’à mon dernier jour, et qui consiste à l’amputer de la Vendée tout entière.»
Au milieu des années 1980, Arantelle, une association vendéenne de La Roche-sur-Yon, très impliquée dans la défense et l’illustration du poitevin , réalise un pin’s (sorte de badge en vogue à l’époque) avec la mention suivante « Vendaïe en Poétou » revendiquant clairement l’appartenance poitevine de la Vendée.
A peu près à la même époque se colle sur les lunettes arrières de voitures un autocollant, produit par l’U.P.C.P. (Union Poitou-Charentes Vendée Pour la Culture Populaire) représentant la carte d’un Poitou réunissant Vienne, Deux-Sèvres et Vendée, avec la mention suivante « en Poitou de noirmoutiers … à charroux ».
A la jonction des années 1980 et 1990, sous l’impulsion de l’association vendéenne Arantelle, l’U.P.C.P. fait imprimer une affiche grand format, avec, en gros carctères, le slogan suivant, sans équivoque : «Poitou Charentes Vendée 1 région !». Une campagne d’affichage, tant en Vendée qu’en Poitou-Charentes, la mit en évidence. On la voyait affichée il y a encore peu de temps à Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime), dans les locaux de la S.E.F.C.O., le long de l’escalier montant à la bibliothèque.
En 1997, Louis Fruchard, ex président de la région Poitou-Charentes, dans son livre "Histoire culturelle du Poitou" , évoque en ces termes la séparation de la Vendée du reste du Poitou lors des prémices de la création de la région Poitou-Charentes : «En 1960 une main anonyme a cru devoir amputer d’un tiers la province. Si notre identité avait été plus affirmée on n’aurait pas osé faire cela. Le préjudice est considérable. Mais, si le Poitou est affaibli, il ne cesse pas pour autant d’exister. On ne supprime pas d’un trait de plume le poids de l’histoire ni l’ensemble des liens immatériels qui réunissent des centaines de milliers d’hommes.»
En 2004, Raoul Mestre, avocat vendéen, publie un livre intitulé : "La fin des pays de la Loire : réunifions la Vendée et le Poitou, Plaidoyer par Raoul Mestre l'avocat des Vendéens". Dans le conte-rendu qu’en fait l’Agence Bretagne Presse, on peut lire : «Au chapitre 6, Raoul Mestre propose de “Concasser les Pays de la Loire”. C'est le titre du chapitre. Jeter cette région artificielle aux poubelles de l'histoire, en quelque sorte ! Il propose de faire du Poitou [Poitou-Charentes à cinq départements, Vendée incluse] et de la Bretagne [à cinq départements également, Loire-Atlantique incluse] des régions de taille européenne certes, mais aussi des régions cohérentes ancrées dans une identité et une histoire.»