Dossier
La société paysanne, matériau pour
une sociologie de l’intégration
Ecouter l’Italien, l’Espagnol, et leurs descendants, c’est comprendre que l’intégration de ces populations au village ne s’est pas faite par la reconnaissance de leur culture, l’héritage culturel est quasi inexistant. Ces estrangers ne se sont pas intégrés en tant que groupe. Ils se sont fait individuellement accepter par leurs voisins, leurs camarades de classe, leurs employeurs. C’est ce qu’exprime la parole de Manuel à qui les fermiers, d’abord réticents à l’idée d’employer un révolutionnaire espagnol, finissent par dire : « Mais cet homme, il est comme nous. »
Écouter le Gavot (ou le Raïou), c’est comprendre que le douloureux processus d’intégration vécu par les Italiens ou les Espagnols présente de nombreux points communs avec celui des Français venus des montagnes voisines, dans une période antérieure de l’histoire. C’est comprendre que la jalousie envers le nouvel arrivant, qui réussit grâce à un travail acharné alors que celui d’ici s’enfonce dans la nonchalance, est sans doute aussi vieille que l’histoire de l’immigration.
Analyser l’intégration des Gavots, c’est percevoir que le souvenir du regard discriminatoire porté sur les Gavots a quasiment disparu des mémoires, alors que celui du regard porté sur les Italiens ou les Espagnols est encore présent, parmi la population la plus âgée en tout cas. Cela montre que le processus d’intégration prend du temps, et que l’on oublie d’autant mieux les immigrés les plus anciens que de nouvelles couches se déposent.
Somme toute, en dehors des situations de crise, la frontière est ténue qui sépare le rejet et l’intégration, l’estranger et « celui d’ici ». Or, pour peu que l’on remonte quelques générations, on trouve un Gavot même dans les plus vieilles familles du village. Nous sommes finalement tous des estrangers.
Extrait de la conclusion de R. Domergue, La parole de l'estranger, éd. L'Harmattan, p. 173
(Etude de l'intégration des étrangers dans les villages du pays de Nîmes, Gard)
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