Une fête de village dans les années 1900-1920

 

 

 

Par René Domergue

 

 

Le livre La Croix du biòu est inspiré par l’histoire de la bouvine.

 

Les extraits suivants, issus de deux ouvrages, illustrent bien la situation au début de XXe siècle.

 

Le premier ouvrage est De la garriguo a la mar bluïo, de Pierre Guérin

Editions A Gomès, Nîmes, 1923

Dans les extraits qui suivent Les choix orthographiques de l’auteur ont été respectés.

 

            L’auteur évoque d’abord l’abrivado. Les taureaux arrivent des prés, encadrés par les gardians à cheval. Le jeu consiste à faire échapper les bêtes, quitte par la suite à aider les gardians à les regrouper.

p.232.  Vènoun ! Vènoun ! (...) Li pus viel, bédigano à la man, babiavoun e fasien de glu à l’oumbro d’uno platano ou d’un amourié. Li drolas de dès e iuech’an amoulounavoun, i fourco di camin, de brassado de païo, de branco morto e de plancho pourrido, per ié mettre lou fiò e creïsse lou destourbe ou passaje de la cousso. Noou ou dès, mancha de long bastoun s’èroun agandi jusqu’ou moulin e se proumettien de saba li costo di biòou, ou besoun lou mourre e l’amalun di chival s’empachavoun.

Ils arrivent ! Ils arrivent ! Les plus vieux, un bâton souple à la main, bavardaient en groupe à l’ombre d’un platane ou d’un mûrier. Les garçons de 18 ans entassaient à la croisée des chemins des brassées de paille, de branches mortes et de planches pourries pour y mettre le feu et accroître le désordre lors du passage des taureaux. Neuf ou dix, munis de longs bâtons  s’étaient avancés jusqu’au moulin et se promettaient de tanner les côtes des taureaux, au besoin de frapper le museau et la croupe des chevaux s’ils faisaient obstacle.

 

            L’auteur décrit ensuite la course de taureaux.

p.244-5 : Lis ome crampouna d’uno man i rodo e i ridello sabavoun à tour de bras de la man libro, sus lis amalun, sus lou rèble, sus li coste, sus li banno e sus lou mourre. Lou manadié fol, avié bèu gula : « Arrestas vous ! Me l’anas creba ! » Ni per aquelo !

Les hommes, cramponnés d’une main aux roues et aux ridelles (des charrettes), de leur main libre frappaient le taureau à tour de bras sur la croupe, sur le dos, sur les côtes, sur les cornes et sur le museau. Le manadier, affolé, avait beau crier : « Arrêtez ! Vous allez me le tuer »  On ne l’écoutait pas.

 

Maï lou biôou rasavo li carretto, maï li cop de calos toumbavoun coumo la grêlo. Aurias dit la cansoun di cop de bacel à la font quand li bugadièïro saboun si lençoou trempe sus si plancho. Ou bout de quatre ou cinq tour lou paoure biòou, arenca, amaluga, ensuca, ségué lèu amouça.

Plus le taureau rasait les charrettes, et plus les coups de triques tombaient sur lui comme la grêle, vous auriez dit la chanson des battoirs à la fontaine quand les lavandières tapent sur la planche leurs draps de lit ruisselants. Au bout de quatre ou cinq tours, le pauvre taureau, éreinté, meurtri, assommé, fut vite éteint.

 

P246-8. La troumpetto souné : Dins lou round apparégué uno vaquetto (...) Vengué lou tour de l’escalo : noou ou dès brandinas plaça darries uno escalo que pourtavoun, marchavoun vers la vaquo, l’aquissavoun e quand boumbissié se tustavo i baroun, i mountant e vésié pas pus res davant sis ieul (...) Pieï jouguèron à la pastièïro. Rébalado dins lou round, cinq ou siéï jouinas se ié ténien dret dédins e brasséjavoun tant que pouien. Quand l’animaou se lançavo, s’amoulounavoun l’un sus l’aoutre noun sans tira quaouqui dourdo e la vaquo se tustavo ou brouncavo countro li pos en idoulant. Ah, la jouinesso n’en prénié per si soou !

 

La trompette sonna et dans le rond apparut une vachette (...) Vint le tour de l’échelle. Neuf ou dix gaillards, portant une échelle devant eux, s’avançaient vers la vache, l’excitaient, et quand elle bondissait, elle se heurtait aux échelons, aux montants, et ne voyait plus personne (...) Puis ils jouèrent à la pastière (grande cuve qui, lors des vendanges est montée sur une charrette pour le transport des raisins). Elle fut traînée dans la piste et cinq ou six jeunes gens s’y sont installés debout dedans, ils gesticulaient tant qu’ils pouvaient. Quand l’animal s’élançait, ils s’entassaient l’un sur l’autre non sans quelques bosses, et la vache se cognait ou bronchait contre les montants en bramant. Ah, la jeunesse en prenait pour son argent !

 

p.258-9.  Lis amatur dou péïs, un Rousseté, leste coumo uno paoumo, que à chaco razé fa per davant coupavo lou biôou e lou fasié s’espalanca d’esquino jouissien d’uno rénoumèïo à rendre jalous li péïs vésin.

 

Les amateurs du pays, par exemple Roussetet, leste comme une balle qui à chaque raset réalisé par devant coupait l’élan du taureau et le faisait tomber sur l’échine jouissaient d’une renommée à rendre jaloux les gens du pays voisin. (En fait, dans ces conditions, le taureau se retourne si vivement qu'il a de grandes chances de déraper)

 

            Enfin, la bandido. Une fois la course terminée a lieu le départ des taureaux escortés par les gardians à cheval, en direction des prés. Comme lors de l’arrivée, le jeu consiste à faire échapper les taureaux. Cette phase n’est pas racontée par Pierre Guérin, mais un passage d’Hubert Rouger, dans Raconte Vaunajòu*, permet de compléter.

 

p.271... li sèt bestio soun butado sus l’agroumelado de mounde que cerco à cop de manche de fa escala li biòu pèr la grand carrièiro que mounto dins Couvissoun. Mastrassa de cop de bastoun (...) l’amouchounado s’es abrivado, boumbissènt d’un soul vanc pèr engueina l’Erbous, seguido di gardian e d’un revoulun de mounde que tènon pas pèd.

Les sept bêtes sont poussées (par les gardians) sur la foule (en fait au travers, pour s’ouvrir un chemin) qui à coup de triques cherche à orienter les taureaux vers la grand-rue qui monte dans Calvisson. Harassés de coups de bâtons (...) le groupe des taureaux s’est élancé vers la rue de l’Herboux suivi des gardians à cheval et d’une troupe de gens qui se font distancer (cette rue, au contraire de la précédente, conduit à la sortie du village, en direction des pâturages).

 

            De tels comportements ne sont pas acceptés aujourd’hui par les amateurs de bouvine. Ce qui interroge sur la notion de traditions. Que signifie maintenir les traditions ? C’est aussi la question que pose l’histoire de La Croix du biòu.

 

            René Domergue, décembre 2018

 

*  Edité par l’association Maurice Aliger, Calvisson, 2009. L’auteur a vécu de 1875 à 1958, son texte se réfère aux fêtes du village de Calvisson. La référence à la manade Papinaud permet de dire que le contexte du récit se situe avant 1904, date à laquelle cette manade a été vendue à Raynaud. L’éditeur a harmonisé l’orthographe originale dans le sens du provençal mistralien.

 

 

 

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