Maset

 

 

             Etymologiquement un maset est un petit mas. Les masets du pays Nîmois sont de minuscules habitations, souvent formées d’une seule pièce qui servaient d’abri aux paysans et de lieu de détente, le dimanche, pour les citadins.

            Bernard Aigon est né en 1946. Il nous parle de la « féria des masets », qu’il a connu entre 1975 et 1983. En bon Nîmois, il utilise le langage local dans les conversations amicales. Nous lui avons demandé de ne pas se censurer... bien au contraire !

 

Quelle est cette « féria des masets » que votre génération a bien connue ?

            Avant l’arrivée de la municipalité Bousquet en 1983, en temps de féria il n’y avait pas de lieux comme les bodégas aujourd’hui. Il y avait des bals, mais on ne pouvait y parler tranquillement, c’était anonyme, beaucoup de gens étaient saouls... Alors, le soir, des nîmois se retrouvaient dans les masets de l’un ou de l’autre. Venaient les amis, les amis des amis. On pouvait être jusqu’à 200, mais tout le monde se connaissait plus ou moins.

 

Avec une telle affluence, il devait y avoir de gros problèmes d’organisation et de financement

                Chez Aigon, c’était financé par mon frère et moi. On était seulemnent deux, alors on essayait de faire bon marché. Et on s’arrangeait avec les copains, chacun apportait un peu de biace. Par exemple une fois des copains pécheurs ont ramené une caisse de sardines du Grau-du-Roi. Qu’est-ce qu’il nous fallait ? du pastis, de la sangria, de quoi faire une rouille. Ca ne revenait pas très cher. L’important c’était de réunir assez de copains pour préparer tout ça, pour installer les tables, la sono. Le maset n’avait pas d’installation électrique, il fallait trimbaler le générateur électrique dans une brouette, par des chemins plus ou moins praticables.

 

Quel genre de musique passiez-vous ?

            On passait des airs de l’époque et des pasos. Mais il n’y avait pas que des disques. Pour mettre l’ambiance on faisait venir des gars qui touchaient un peu à la musique, ils amenaient leur guitare, on les appelait des grattaïres. Venaient aussi les « tunas », qu’on pourrait définir comme des étudiants prolongés espagnols. Ils portaient leur costume traditionnel d’étudiants sous Philippe II, avec une cape, un béret, une culotte bouffante et un justaucorps. Ils avaient toujours leurs instruments avec eux : mandoline, flûte, guitare, tambourin. Mais, les tunas, c’était surtout de grands bringueurs qui, pour picoler ne craignaient personne.

 

J’imagine qu’il y avait une grosse ambiance...

            On dansait partout. On était si nombreux qu’on tenait plus sur la terrasse ! Pendant toute la soirée il y en avait qui mangeaient, qui buvaient, d’autres qui dansaient. Et tout ça se relayaient. Certains jouaient à la pétanque, d’autres parlaient de la corrida. De temps à autres un type s’en allait en direction de la garrigue, pris d’une grosse fatigue... et s’affalait dans les bartas. Il s’endormait là, et on lui apportait une couverture, en attendant qu’il refasse surface. Et si ça n’allait pas trop mal, il espélissait avant que la fête soit finie.

 

Y avait-il des personnalités qui venaient vous rendre visite ?

            Il y avait des masets où il était de bon ton de se faire voir, comme dans certaines bodégas aujourd’hui. Chez nous on savait qu’il y aurait des grattaïres, les tunas, des gens du milieu taurin. Alors ceux de la mairie, et d’autres personnalités locales, passaient. Emile Jourdan venait régulièrement.

 

A cette époque, les parents laissaient sortir les filles ?

            Les filles ? Il y en avait beaucoup, car à l’époque avait commencé la libération des moeurs. Des couples se formaient,... et certains s’en allaient bartasséger à quelques pas de là.

 

Et au matin, je suppose qu’il fallait faire un brin de rangement...

            Au petit matin, c’était... (soupir) la caverne d’Ali Baba après le départ des 40 voleurs. Il est impossible de dire tout ce qu’il y avait à faire pour laisser le maset en ordre ! Puis, on rentrait à la maison pour faire un peu de toilette, et on partait à la corrida de l’après-midi. Elle avait lieu vers 4 heures. A la sortie, on se retrouvait au maset d’un autre copain.

 

Pourquoi la féria des masets s’est-elle arrêtée ?

            Ca s’est terminé le jour où Jean Bousquet a décidé de faire des casetas sur le boulevard Jean Jaurès, en 1988. Alors avec la peña Campuzano on a monté une caseta. On s’était dit que ce qu’on faisait au maset on le ferait à la caseta. Mais on était mal organisé et au lieu de se marrer, ça a été une vrai galère. Puis on a monté la bodéga, rue Porte de France où elle est encore actuellement.

 

Avez-vous la nostalgie du maset ?

            A la bodéga on a réussi à créer une véritable ambiance familiale. Les taurins viennent, et on parle de la corrida jusqu’à minuit où une heure du matin. A la bodéga ils sont chez eux. Je me souviens qu’une fois un jeune torero est venu, un soir de fracasso, on est resté toute la soirée avec lui, parce qu’il en avait besoin. Dans ce sens c’est un peu comme au maset. Mais, plus tard dans la nuit, c’est pas pareil. Des gens qu’on ne connaît pas viennent, dansent, il faut mettre la musique fort, on ne s’entend plus, les gens ne communiquent plus. Là je ne me sens pas bien. Cette cassure n’existait pas au maset. Sans parler des fins de soirée. A la bodéga, quand c’est l’heure de la fermeture, à deux heures du matin, il faut se débrouiller pour faire partir les gens, c’est très désagréable. Au maset, chacun partait quand il en avait envie, les plus empégués s’endormaient sous les étoiles, ceux qui en avaient envie pouvaient parler aussi longtemps qu’ils le voulaient.

 

                        Légère adaptation de l’article de Magali Ranc. 

 

Source : La Féria de Nîmes, tome 2, éd. AL2, 1996. Sous la direction de R Domergue

 

 

 

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