Pégoulade 

 

 

             Une pégoulade a eu lieu dès la première féria, en 1952. Monsieur Jean Lauret, président du Comité de la Féria de l’époque, l’évoque en ces termes dans son allocution devant l’Académie de Nîmes : « Comment recréer à Nîmes, l’allégresse des garçons au foulard rouge de la San Firmin de Pampelune, avec des garçons et des filles de chez nous ? Nombreuses furent les associations qui se proposèrent et nous rejoignirent. Leur prestation débuta le samedi par un défilé précédant la course libre. Des alguazils à cheval et à pied ouvraient le cortège, suivis des congressistes portant gonfalon, des razeteurs en tenue blanche et les groupes folkloriques suivants : Le Ruban de Provence, Lou Velou, l’Amenlier, les Farendoleurs cheminots, les Cigalons de Jonquières et ceux d’Arles, les cavaliers de la Nation gardiane, son capitaine Alfonse Arnaud en tête. Les fanfares des cheminots et des pompiers accompagnaient la marche avec des airs du terroir que reprenaient les paso-doble de la troupe El Gallo d’Aigues-Mortes. » 

Pentecôte 2004 : les temps changent !

            On remarquera que Monsieur Lauret n’utilise pas le mot pégoulade, il parle seulement de défilé. Nous n’avons jamais rencontré le mot pégoulade dans les journaux des années 50 qui parlent simplement de défilé, ou, comme la Marseillaise et le Provençal en 1957 de « défilé de musique, de groupements sportifs et folkloriques ». En 1962, on rencontre les appellations défilé d’ouverture, ou encore défilé folklorique. Nous avons trouvé le mot pégoulade, pégoulado pour plus de précisions,  pour la première fois dans un numéro du Méridional 1963, le journaliste s’empressant d’ajouter qu’ « il ne faut voir en ce terme rien de péjoratif ». Il faut dire qu’à Nîmes, à l’époque tout au moins, pégoulade signifiait plutôt débandade, pagaille. Le terme se répand l’année suivante, la Marseillaise titre même un article Pégoulade monstre. Il s’impose définitivement en 1966. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le terme qui a la connotation la plus ancienne est le plus récent...

            Pourquoi ce mot pégoulade ? Un article du Provençal de 1964 rappelle l’origine occitane de ce mot. « Pégoulade désigne une retraite aux flambeaux (...) Dans un passé récent, la retraite aux flambeaux était faite avec des torches d’étoupes imbibées de poix, qu’on appelle en provençal la pégo. » D’où le nom pégoulado, francisé en pégoulade. Par la suite ces flambeaux ont été remplacés par des lanternes vénitiennes, mais l’appellation pégoulade est restée. La Marseillaise de 1970 évoque les « célèbres pégoulades d’avant la dernière guerre » où le régiment des tirailleurs sénégalais, basé à Nîmes, fermait la marche, chaque soldat portant pendu à une potence deux lampions multicolores. On comprend au passage d’où peut venir le contenu péjoratif du mot : la pègue dégoulinait des flambeaux, sa combustion dégageait une odeur peu délicate et une épaisse fumée.

            Le terme « défilé folklorique » employé durant de longues années n’est pas le fait du hasard. En interrogeant les anciens on a le sentiment qu’effectivement le défilé de leur époque était davantage une manifestation du folklore local. « Avant la pégoulade était réservée au gens de la ville : comité de quartiers, armée de terre ou encore sapeur-pompiers qui défilaient le long des boulevards... C’était des gens du pays. » « Le folklore local y tenait plus de place. A l’époque, le défilé ne regroupait que des gens de Nîmes et des alentours. » Effectivement, dans le programme de la première féria, on voit que ceux qui venaient du plus loin, arrivaient d’Arles ou d’Aigues-Mortes.

Pentecôte 2004 : des gens du pays ?

            Beaucoup de vieux Nîmois ont la nostalgie de cette époque. Pour eux la pégoulade était « une fête familiale. » « A l’époque toute la population y participait. » « C’était à la bonne franquette.  » « Tout le monde y participait plus ou moins. Il y avait toujours un cousin, un frère, une soeur, qui faisait partie d’une association, ou un parent qui était dans une musique. » «  Dans de nombreux groupes on reconnaissait un parent ou un ami. » « Beaucoup, parmi ceux qui défilaient, étaient reconnus par la foule qui se massait sur les boulevards.  On les interpellait. On plaisantait ceux qui au bout d’une heure de défilé, complètement crevés, traînaient la patte, on les traitait de rampélaïres. »  » En clair, pour eux, la pégoulade de jadis « c’était l’amitié, la convivialité. » A écouter les anciens on a le sentiment que l’on s’amusait bien plus que maintenant. Le public n’avait aucune honte à encourager les participants. Plusieurs personnes signalent qu’il y avait alors beaucoup plus d’applaudissements qu’aujourd’hui. En les écoutant on éprouve souvent le sentiment qu’il n’existait pratiquement pas de distinction entre les deux catégories de personnes que sont le public et les participants. On ne s’étonnera donc pas si, pour tous ces gens, la pégoulade des années Bousquet, est perçue comme étant « moins familiale », « moins populaire ». Rappelons que Feria Musique de Rue intervient dès 1985 et que les grandes mises en scènes de Stéphane Plassier se déroulent de 1988 à 1991.

            Par ailleurs la pégoulade du passé était une occasion pour chacun de faire ce dont il avait envie, tout comme pour un carnaval.  « Pas mal d’équipes de collègues se déguisaient. Certains se promenaient avec un landeau où l’un d’entre eux était installé » « Un groupe de copains avait loué une diligence pour défiler dans la ville. » L’atmosphère de décontraction apparaît magnifiquement dans un passage de Sous l’égide de Chicuelo II, un livre très instructif écrit par Anne-Marie Baillet : « Au cours du défilé (...) la discipline a laissé beaucoup à désirer (...) Certaines peñas n’hésitèrent point à s’arrêter devant tel café sous le fallacieux prétexte que c’était leur siège social, le défilé s’en trouvant disloqué (...) Trois groupements ont délibérément quitté le défilé en cours de route... »

            Par la suite, et notamment à partir des années 80, tout a changé. La pégoulade a été « destinée en majorité aux touristes ». « Maintenant on essaie d’impressionner les spectateurs. » « Il s’agit d’en mettre plein la vue aux spectateurs. » « Ces derniers temps la pégoulade est devenue un espèce de spectacle. » « C’est un défilé de snobs. » Beaucoup de nîmois que nous avons interrogés ont l’impression que la pégoulade ne leur « appartient » plus, qu’elle est désormais l’affaire de différents groupes venus du monde entier. « Il y a plus de groupes internationaux sans aucun lien avec la culture locale » « Maintenant, dans les défilés, il y a de tout : des chinois, des arabes, des noirs... » La formulation est parfois violente, du genre « autrefois il n’y avait pas tous ces chars remplis de zoulous », ou encore « ces types qui tapent sur des bidons, qu’ont-ils à faire à Nîmes durant la Féria ? Voit-on des gardians défiler pour la fête locale de Djibouti ou de Tizi-Ouzou ! »

            Deux réflexions pour finir. D’abord, quelle serait la réaction des Nîmois, même les plus nostalgiques, si on leur présentait un défilé comme au temps des premières pégoulades, avec groupes de gymnastique, fanfare des pompiers et légionnaires portant des lanternes ? Ensuite, est-ce que l’introduction de l’exotisme n’a pas commencé dès les premières pégoulades ? En effet très vite ont été invités les Armagnac d’Eauzes, les Majorettes de Nice, la Cobla de Perpignan, la Fanfare de jazz des architectes de Montparnasse. Ces groupes n’ont rien à voir avec la culture locale, et certains n’ont même aucun rapport avec la culture latine.  Et, si l’on veut jouer la carte de la provocation, ne peut-on suggérer que du point de vue des traditions nîmoises le premier grand choc exotique eut sans doute lieu en 1956 avec l’arrivée des peñas espagnoles, alors totalement étrangères à notre folklore local ?  Allons plus loin encore : les Arlésiennes, les fifres et les tambourins...  est-ce la tradition nîmoise, ou de l’exotisme importé de Provence ? Bien entendu il s’agit là de boutades, mais cela nous fourni un thème de réflexion : pour un nîmois qu’est-ce qui délimite le folklore local ?

 

            Légère adaptation de l’article de Bénédicte Arnaud et Anne Rouquette.

 

Source : La Féria de Nîmes, tome 2, éd. AL2, 1996. Sous la direction de R Domergue

 

 

 

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