Ma China

 

Pour une fois je me permets de modifier un peu le texte, en mettant au présent les phrases du deuxième paragraphe qui sont récitées à l’imparfait, ce qui pourrait laisser penser que la chienne de l’auteur est décédée au moment où il parle.

C’est d’ailleurs le contraire qui advint, peu de temps après l’enregistrement de ce récit (où la fatigue de l’auteur est palpable). RD.

 

 

 

Ma chienne (Perlette)

           Je ne pouvais pas continuer de raconter mes petites histoires sans dire un mot de ma chienne.


           Fidèle comme une bague de fiançailles, je ne peux pas faire un pas sans la sentir derrière moi.

Elle me rappelle à l’ordre si je l’oublie un moment en me passant devant au cours de nos longues promenades dans les bois.

Dégourdie escarabillada comme une puce, elle saute de tous les côtés.

 

 J'étais allé la chercher au refuge de la route de Sauve, le Refuge des murailles.

Là, il en sortait de partout, des maigres comme des vieux sarments de vigne sauvage lambrusqua , d’autres hargneux,

des galeux, des grands, des petits, des pelés péla, rascla, des aboyeurs, des pleureurs, ils menaient un boucan à vous faire mal aux oreilles.

Des cages partout, où étaient mêlés sept ou huit chiens qui se grognaient ou se battaient s’espoussavou li niéira  pour une écuelle presque vide.

Dans un coin d’une cage un rayon de soleil m’a sauté aux yeux. Un petit animal se blottissait à l’écart des conflits.

Son regard a rencontré le mien et semblait m’implorer : «  Monsieur, ne me laissez pas ici, je serai votre amie la plus fidèle, je vous défendrai des malfaiteurs,

Personne ne passera votre porte si vous le souhaitez, lors de vos promenades je ne quitterai pas votre semelle, je serai toujours là pour vous tenir compagnie.

Si vous faites une mauvaise rencontre, vous verrez qu’avec mes crocs bien affûtés je me chargerai d’éloigner le danger. » Je n’ai pas pu résister davantage.

 

           Depuis on ne se quitte plus. Si un jour je la laisse pour aller à Nîmes, elle le passe derrière la porte du portail à regarder dehors par une fente, et quand mon auto s’arrête vous l’entendiez gémir.

Une fois la porte ouverte elle me fait des fêtes comme si on ne s’était pas vu depuis un mois.

 

Vous la décrire demanderait une journée complète.

La taille d’un épagneul, rousse comme un pain de Beaucaire qui sortirait du four, une raie blanche qui part du milieu de son front, descend entre ses deux miroirs 1 brillants comme des agates 2

et s’élargissait de chaque côté d’ 3 une truffe noire. Le blanc de son poitrail glisse jusque sous son ventre, aussi blanc qu’une une robe de mariée.

Ses quatre pattes finissaient dans de petits chaussons blancs.

 

           Je ne saurais jamais si sa queue manquait à la naissance, ou si on la lui a coupée, mais alors il la lui ont faite ras du cul.

Il ne reste que quelques poils qui remuent lorsque quelque chose lui plait, et toujours quand elle me voit avec sa gamelle.

 

           Derrière ses cuisses et jusqu’à son derrière lui pousse une toison blanche qui semble de la laine en de longs poils. On dirait des culottes de cavalier.

 

           Depuis sept ans on ne se quitte plus. Quand elle me voit prendre la vieille auto, la portière à peine entr’ouverte ? abadaoulada elle se glisse comme une anguille, s’assied à mon côté,

et semble me dire : « Dépêches-toi de partir que je languis d’aller courir dans le chemin de l’armas du château. » 4

Et dès arrivé dans ce chemin de traverse, elle m fait comprendre qu’il me faut ouvrir la porte.

Là elle descend et d’un bond passe devant la voiture, file comme l’éclair, grimpe sur un talus, bondit de l’autre côté du ruisseau.

Là elle traverse un tas de terre qu’a vidé un camion. Elle s’arrête à un passage carraou qu’a pu emprunter quelque gibier saouvagine.

Alors, dans le rétroviseur, je la vois courir arpiona à toute allure, elle ne veut pas que je la sème. Je ne fais pas durer ce jeu trop longtemps, j’ai peur qu’elle s’épuise.

Alors je m’arrête et j’ouvre la porte dans laquelle elle se glisse vivement qu’engoulis pour s’asseoir à mon côté en tirant une langue d’un empan pan de long où on distingue deux tâches noires.

Et souffle que tu souffleras pendant un bon moment. Si la vitre de son côté est baissée, elle aime sortir sa tête au vent pour se rafraîchir le museau.

 

           Je l’emmène à la pêche sur les bords du Vidourle. Là je m’installe sur la rive, à l’ombre, je sors mon matériel, je déplie ma ligne et j’attends que le poisson morde.

Elle vient s’asseoir à mon côté et si j’attrape un de ces gros cabots qui nagent tranquillement à la surface en quête de nourriture,

c’est alors qu’elle piétine peneja de joie et ne quitte pas le sac de vue aussi longtemps que le poisson frétille couétédia.

Si un autre pêcheur approche un peu trop à son goût, ses poils se dressent et elle retrousse les babines.

Elle se met à lui aboyer, et ne veut pas le laisser approcher. J’ai toutes les peines du monde à la faire cesser, mais dès qu’elle a constaté que ce n’est pas un ennemi, et qu’on est plutôt collègue, elle l’accepte.

Il n’a pas à avoir peur pour ses mollets. Alors elle vient se frotter à moi et me regarde d’un air qui semble me dire : « Si je n’avais pas été là, il serait peut-être venu te chercher noise.

Il viendra pas t’embêter en s’installant tout à côté, on est bien assez comme ça. »

 

           Pendant ce temps que j’écris à ma table, elle est couchée à mes pieds sur le tapis, elle me les tient au chaud, c’est l’endroit qu’elle préfère,

mais si quelqu’un sonne à la porte de la rue, d’un bond elle est là qu’elle l’attend, et si je n’intervenais pas, l’entrée serait laborieuse.

 

           J’arrête de faire son panégyrique. Si je m’écoutais je n’en finirai plus.

Un jour il faudra bien se séparer. Que ce soit toi ou moi, on aura c’est sûr beaucoup de peine.

Comme je ne te vois pas vieillir, je pourrais bien être le premier. Dors tranquille, je suis sûr que ma femme continuera à te gâter. à t’abesti.

 

 

                                                      Terminé en 1994, Montpezat

 

 

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1 - Miral : les yeux.

2 - Agates, mais aussi billes en verre avec lesquelles jouaient les enfants.

3 - Passage manquant dans l’enregistrement

4 - L’armas daou castel (terre inculte achetée au châtelain). C’est le chemin qui mène à notre maset.