Frustration des enquêteurs

 

            « Monsieur, ça marche pas ! On y est pas arrivé ! » Dix ans après, cette phrase résonne encore à mes oreilles. C’était au lycée, un après-midi de mars 1989. Les élèves présentent les conclusions de leur enquête. Leur désarroi fait peine à voir. Depuis des mois ils remontent des pistes et sont ballottés d’un informateur à l’autre. Les rares fois où ils obtiennent un nom de noyé, celui-ci se trouve sur la liste officielle. Ils n’ont pas pu démontrer le mensonge officiel, mettre à nu l’imposture. Cela est ressenti comme un échec. Ils n’ont pas été au niveau de leur sujet !

            Triste fin pour une recherche commencée dans l’enthousiasme.

            Dans l’incrédulité générale, je m’efforce d’expliquer aux élèves qu’au plan scientifique l’enquête n’est pas un échec : leur sentiment vient du fait qu’ils ont trouvé autre chose que ce qu’ils cherchaient. A ce stade, le plan scientifique leur importe peu. Dans leur esprit, je m’emploie à panser leur plaie. Mon insistance finit par lasser. La rencontre se termine sur un malaise.

            Dans les jours qui suivent, les élèves commencent à prendre conscience que leur démarche n’est pas vaine, mais personne n’a le cœur à l’ouvrage pour rédiger le compte-rendu de l’enquête, et si je n’avais pas décidé de noter les contributions de chacun, il est probable que rien n’aurait jamais été écrit.

            Tant bien que mal, un polycopié finit par être réalisé. Le premier article consacré à l’enquête commence à les rassurer. Une pleine page de Midi Libre !

            Mais cette merveilleuse équipe d’enquêteurs n’était pas encore au bout de sa souffrance. Juste avant que le polycopié ne devienne livre, nous avons réalisé une petite enquête supplémentaire, juste pour voir. Nouvelle déception : la rumeur est toujours là ! « Alors, ce qu’on a écrit a servi à rien ! » Pire, deux personnes faisaient référence à leur recherche, comme preuve du mensonge officiel.

            Ce jour-là, les élèves ont pris conscience d’un mécanisme que connaissent bien les spécialistes : tout démenti de la rumeur a de bonnes chances de la renforcer.

            Plus généralement, ce qu’ils ont appris, tout comme leurs successeurs de 1998, c’est que la quête de la vérité est chose difficile, parfois douloureuse car elle met en péril le confort des idées reçues.

            Ils ont appris les vertus de la recherche, et ses exigences aussi.

            Ils ont appris sans doute d’autres choses encore... et j’ai appris avec eux.

 

Source : La Rumeur de Nîmes, sous la direction de René Domergue, éd. Edisud,  p.72-73

 

 

 

Accueil

 

Sommaire

 

Début de page