1) Localisation et contexte de ce dialecte

 

L'arborescence suivante donne une idée du contexte générale dans lequel le vosgien de la montagne évolua et fut parlé.

De fait, la zone d'extension du vosgien de la montagne correspond à une sphère au profil assez homogène entre la plaine sous-vosgienne et les Hautes-Vosges granitiques vers Gérardmer - le Thillot. Le croquis ci-dessous montre que'on parla ce patois dans un espace intermédiaire coincé entre la côte gréseuse à l'ouest et les crêtes à l'est et sud-est.

La partie septentrionale (Pays de St-Quirin en Moselle, l'énorme massif du Donon ) est plus boisée et moins peuplée que la partie méridionale qui profite des larges fonds de vallée comme axe de communication. Autrement dit, cette zone aboutit souvent à un col.

Le paysage est marqué par la verdure des sapinières et les roches tabulaires de grès sur le sommets. Le relief est accidenté et le climat ingrat. En passant la côte gréseuse, on dépasse les 1000 mm de précipitations par an.

2) Atlas linguistique et ethnographique de la Lorraine romane

Nous reprenons ici la dénomination "La montagne" donnée par l'A.L.L.R. réalisé par Lanher Jean, Litaize Alain et Richard Jean. Il est en vente sur plusieurs sites Internet dont celui des C.N.R.S.-éditions.

Une grande partie de leur carrière professionnelle universitaire a été consacrée à l'étude du lorrain et du vosgien. On a une bibliographie sur le Net de M. Litaize, sur le catalogue de la BNF pour J. Lanher.

3) Le vosgien de la montagne : zone interaréale

Il se situe dans la zone que J. Lanher nomme"sanctuaire" à cause du caractère plus spécifique et moins proche du français standard d'un point de vue phonétique que les patois lorrains de l'ouest. De même, il existe des mots relictuels issus d'une évolution du bas-latin divergente.Cela dit, nous verrons qu'il existe des différences au sein même de cette famille. .

a) Prononciation du H aspiré - accents germanique et roman

Il s'agit d'un aspect propre aux dialectes lorrains de la partie Est dans laquel on trouve les patois vosgiens à l'exception de l'extrême sud-ouest du département. Les mots d'origine germanique (franque ou alémanique) ont été empruntés en conservant l'aspiration du H : hé [he:] , hèche [hɛʃ](haie, hache). Parfois, par habitude ou mimétisme, on a des mots pourtant issus du latin, mais qui sont proches ou influencés par le germanique voisin. L'exemple le plus typique est celui de "haut". On disait souvent "les gens des hauts" [ho:] en aspirant bien le H de haut comme si cela rajoutait une connotation supplémentaire de type émotionnel.

Il est clair que cet aspect frappe le visiteur francophone, mais il serait faux de penser qu'il donne un côté germanique à notre accent. D'abord parce qu'il n'y a pas tant que cela de mots en H d'origine germanique, ensuite parce que le Vosgien de la Montagne au contact de l'Alsace fait très nettement la différence entre le germanique et le roman. Dans ma famille, on disait toujours que les Alsaciens "hachepaillent" [haʃpay] en prononçant bien le H, en mettant un accent tonique sur la première syllabe et en hachant bien les syllabes.

Intuitivement, un Vosgien entend à l'oreille la grande caractéristique de l'accent germanique qui est l'accent tonique sur la première syllabe des mots de la langue maternelle qui déteint sur la manière de parler français. Prenons l'exemple de la phrase : J'ai 'accroché une 'affiche. or, le Vosgien n'a pas d'accent tonique réel, il a tendance à traîner un peu sur tout le mot, mais accentue légèrement plus la fin ou l'avant-dernière syllabe comme en français standard. Le H aspiré est aussi présent dans les consonnes P, T et K en germanique, il n'existe pas en vosgien.

Même si les crêtes vosgiennes représentent une limite nette entre les deux mondes linguistiques, le vosgien de la montagne et celui des Vosges granitiques ont été plus en contact avec l'alsacien que les zones vosgiennes occidentales car la proportion de personnes d'origine alsacienne installée du côté vosgien n'est pas négligeable. La création de Gérardmer remonte à un accord alsaco-lorrain où on dénombra au début une part égale d'Alsaciens et de Lorrains. C'est encore plus vrai pour la Bresse qui a entretenu pendant très longtemps des rapports privilégiés avec l'Alsace voisine malgré le passage difficile des cols en hiver.

Il y a eu aussi pour des raisons historiques des vagues d'émigration d'Alsaciens (Option 1871-72, guerres) dans la partie Est du département des Vosges. Il y a aussi le cas particulier de la communauté juive sur Saint-Dié, Bruyères et Epinal qui parle l'alsacien et/ou le yiddish alsacien de coloration germanique prononcée. Dans ma région natale, on dénombrait aussi de nombreux petits industriels ou commerçants d'origine alsacienne et/ou juive alsacienne. Dans ma propre famille, il suffit de remonter à la génération des grands-parents pour trouver une branche alsacienne.

A leur contact, le Vosgien sent de manière nette qu'il est roman dans son intonation et sa prononciation même si du côté français, on présente l'accent vosgien de la montagne comme très bizarre.

b) La consonne vélaire HH

Ce son très spécificique aux patois lorrains de la partie Est n'est pas étranger non plus à cette image que l'on a du vosgien quand on l'entend pour la première fois. Quand je prononce "lo pohhè" [pɔɣɛ ou pɔxɛ](porc), certains me disent que c'est plutôt de l'arabe ! Leur réaction est dû au fait qu'il associe cette langue aux sons très vélaires et gutturaux très nombreux. Il s'agit effectivement d'une vélaire qui se rapproche du CH allemand dans "machen".

Description: les lèvres sont légèrement ouverte, le bout de la langue est contre les dents inférieures comme quand on fait un i, le dos de langue ou la partie arrière se lève vers le palais souple (velum) sans vraiment le toucher. Qu'une légère aspiration se fasse entendre est normal car la fente large laissée ouverte par le dos de la langue provoque une sortie d'air sourde avec une friction.(cf. explication M. André)

Ce son est très récurrent dans le vosgien de la montagne. Pour simplifier énormément, on le trouve là où en français on aurait "ss" , "rs" "xc" "sc" "rc" "x". Il est un peu plus sonore entre deux voyelles qu'en fin de mot.

c) Le I nasal

Le vosgien a conservé certaines nasales qui existaient encore en ancien français, notamment le i nasalisé [i&"771;] dans sèpïn [sɛpĩŋ] ou lèpïn [lɛpĩŋ].

d) Les nasales finales avec ŋ

Quand une nasale (in, ïn, on, an, en) est en fin de mot, on entend l'adjonction d'un N nasale NG [ŋ] comme dans l'adjectif "lang" en allemand, sauf qu'en allemand il n'y a pas de voyelle nasale. Ce sont ressemble au son provençal dans le "paing", mais il faut lui enlever le ton chantant !

maison : mohon [mɔhõŋ] main : [mẽŋ]

4) Diversité et cohabitation de différents patois dans la partie montagne.

Il est difficile de donner une image homogène du patois de la montagne car il existe des variantes certes moins importantes qu'entre les différentes familles, mais comme dans toutes les régions patoisantes, on reconnaît l'origine d'un locuteur à sa manière de prononcer un son particulier ou à un mot très spécifique dans le vocabulaire basique.

En interrogeant des tas de gens pour écrire ce site, j'ai déjà assisté à des bagarres amicales sur la question de savoir quelle est la "vraie" forme vosgienne du mot que je leur demandais.

Si je prends l'exemple de ma très large famille, on fait se côtoyer des locuteurs d'au moins 6 secteurs différents de la zone "montagne", voire quelques-uns dans les Hautes-Vosges à Xonrupt-Longemer ou Gerbépal.

Le vosgien de la Montagne, comme on l'a vu plus haut, est une région de passage. De même, d'un point de vue historique, les foires et marchés d'autrefois forçaient les gens des "hauts" comme ceux de Gérardmer de venir en zone de la montagne (Bruyères, Arches, Saint-Dié) pour vendre leurs produits locaux (fromages surtout) et pour faire leur propres affaires. Ce secteur a été pendant très longtemps organisé par trois "prévôtés" de grande taille depuis la vallée jusqu'aux crêtes. De même, nous avons vu sur la carte que le vosgien de la montagne a aussi une partie dans le pays granitique. Il s'agit d'une zone de contact. Ce n'est que très récemment que l'axe s'est inversé vers le haut, essentiellement pour des raisons touristiques.

De ce fait, quand vous interrogez des locuteurs un peu patoisants, souvent ils vous nomment parfois deux à trois formes différentes qui cohabitent. On rencontre le même phénomène dans les dialectes germaniques d'Alsace.









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