La pluralité de la Lorraine

D’abord il faut distinguer la Lorraine germanophone de la Lorraine romanophone. Il existe d’énormes confusions sur les termes employés dans le langage de tous les jours et suivant l’endroit où l’on habite.
Il ne faut pas mélanger les aspects historiques avec les critères linguistiques. Par commodité, il est plus facile de garder un schéma généralement admis qui est le suivant:


• Le lorrain désigne la langue d’oïl parlée dans les 4 départements de la Région lorraine , une petite enclave de la Belgique au sud de la Semois et les vallées vosgiennes d’Alsace. C’est une langue romane qui est apparentée au français classique parce qu’elle est également issue d’une variante du latin.


• Le francique désigne la langue régionale moyen-allemande de la partie nord-est du département de la Moselle. On a d’est en ouest le francique rhénan, le francique mosellan et le francique luxembourgeois.


• La Lorraine, dans sa partie mosellane, est donc traversée par une limite des langues germano-romanes. La Lorraine est à l’origine diglossique c’est-à-dire que deux langues différentes cohabitaient l’une à côté les de l’autre comme en Suisse avec les 4 langues actuelles. Une partie de la population était bilingue par la force des choses. Avec l’arrivée de la Lorraine en France, le bilinguisme s’est généralisé en Moselle germanophone pendant que les Lorrains romans passent progressivement du dialecte au français «classique » en gardant quelles traces dialectales frappantes.


Les sous-familles de l'aire lorraine

A l’intérieur de la famille dialectale lorraine, on distingue plusieurs sous-dialectes. Ils ont été définis par l’Atlas linguistique de la Lorraine romane (A.L.L.R.). La carte simplifiée ci-dessous donne un aperçu global de ces variantes régionales.



La partie montagneuse ne correspond pas à l'aire d'expression vosgienne exclusivement. Au contraire, il faut plutôt la percevoir comme une zone tampon entre l'aire germanique alsacienne à l'est et l'aire romane lorraine à l'ouest. Les crêtes ne sont pas une limite exacte entre les deux grandes familles de langue. Il y a des zones romanophones en Alsace et il y a une zone germanophone dans la partie mosellane de la Lorraine.

Le massif fait la jonction entre les deux: depuis l'antiquité, il existe des cols et des voies de passage qui permettent la transition entre le monde roman (Romania) et le monde germanique (Germania)

 

Vosgien du sud-est


On observe sur la carte des patois que la partie montagneuse du département des Vosges est composée du Vosgien de la Montagne (2), du Vosgien des Hautes-Vosges (1) et du Vosgien des vallées alsaciennes (3). Il s’agit d’une zone située grossièrement au-dessus de 450 m d’altitude qui monte jusqu’aux crêtes. Les limites occidentales correspondent à des frontières naturelles qui sont des massifs gréseux densément boisés peu praticables, répulsifs pour des raisons diverses. Historiquement ce sont aussi les régions qui ont été peuplées plus tardivement à quelques îlots près. Le vosgien des vallées alsaciennes est néanmoins très à part tant d'unb point de vue phonétique que d'un point de vue lexical.


Au Nord, l’énorme Massif du Donon et ses contreforts de St-Quirin à Raon-l’Etape. Au centre le massif de la Chipotte, les Forêts d’Housseras, d’Autrey , de Mortagne, de Faîte, du Ménil et d’Epinal. Au sud, la partie la moins élevée, mais très boisée qui fait la transition avec la Vôge, donc les forêts autour de Xertigny.
De ce fait, on parle du Vosgien de la plaine et celui de la montagne, voire de la « haute » montagne, plutôt les « hauts » en langue locale.

Exemple de cette barrière gréseuse boisée : vallée moyenne de la Vologne:


La dichotomie linguistique et culturelle de la Lorraine

Pour conclure, on s'aperçoit que deux mondes différents s'opposent et donnent au pays une tête à deux visages : le monde roman et le monde germanique. On peut parler d'une dichotomie romano-germanique.

Sur les quatre départements lorraine, la Moselle et les Vosges dans leur partie orientale sont directement concernés par la cohabitation des deux cultures. Les mots et sobriquets ne manquent pas non plus pour désigner l'autre, en gros celui qui est différent ou qui ne parle pas comme tout le monde.

Pour les germanophones sont welsches (on écrit aussi velches) tous ceux qui ne parlent pas "deutsch" ou en d'autres termes une langue germanique occidentale. Cela dépasse donc le cadre des Vosges et de la Moselle et concerne toutes les zones de rencontre entre les deux cultures romane d'une part, germanique d'autre part. Le terme "welsch" ne signifie pas "étranger", mais "de langue et culture gallo-romaines" et donc par déduction "étranger".

Le mot "thiois" est la prononciation welche lorraine d'un mot qu'on retrouve sous plusieurs formes : tudesque ou theodiscus voire tiche. Tous ces termes sont une prononciation romane du mot "deutsch" qui, au haut Moyen Age, se disait "diutisk" transcrit par les érudits en latin par "theodiscus" . A l'image du terme "welsche", il signifie tout ce qui appartient au peuple de langue germanique, ou a contrario tout ce qui n'est pas welsche ! Une langue européenne moderne, l'italien, a conservé cette définition : "allemand" se dit "tedesco". Cela dit le mot "thiois" est plus usité par les Lorrains du Nord de même qu'en Belgique et une partie de la Champagne septentrionale.

Les Vosgiens et les Lorrains du Sud utilisaient fréquemment les termes " "Allemaigne" et "Allemants" ou "Ollemants" pour désigner tout ce qui est germanique. Donc l'Allemaigne commençait aux crêtes des Vosges et à la limite linguistique de la Moselle. En clair, l'Alsace est en Allemaigne dans le sens "pays de langue allemande".

On avait coutume de décomposer la Lorraine en bailliages, aujourd'hui on dirait des gros départements. La zone mosellane de langue germanique s'appelait le bailliage d'Allemagne. Contrairement à aujourd'hui, personne n'était surpris d'appartenir à l'Allemagne parce que, dans un pays bilingue comme la Lorraine, les gens avaient conscience d'être "allemant" ou "welche".

N'oublions pas que les ducs de Lorraine étaient majoritairement romanophones. Ce sont les événements politiques des 19ème et 20ème siècles qui ont changé le sens du mot "Allemaigne" ; Longtemps, les peuples sur la frontière linguistique ont eu une définition linguistique du mot "allemand" de la même manière que les Allemands mettaient tous les romans, Welches, dans le même panier.

La confrontation sur le terrain des deux cultures romano-germaniques n'est pas spécifique au massif des Vosges. Il y autant de diversité dans les welches que dans les tudesques, gaulois ou romains, germaniques du nord ou de l'ouest, peuples mixtes germaniques ou peuples mixtes romans.

Pour s'en convaincre, il suffit de rechercher des noms de pays ou de peuples qui commencent par wel- , wal- ou gal et qui seraient proches d'une nation germanique.

Gallo-Romans
Germaniques
Galles,gallois, Wales, welsh Angles,Saxons,Vikings (Grande-retagne)
Wallonie, wallon Flamands (Belgique)
Gaulois, welsch, walsch Francs, Alamans (France)
Welsch Alamans (Suisse)
Galates Goths (Anatolie, Turquie)
Galice Suèbes, Wisigoths (Espagne, Portugal)







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