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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 1:35 |
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Je lève tout d'abord les ambigüités sur le sujet de ce fil.
Il s'agit de présenter des traits phonétiques particuliers au français parlé par les classes populaires là où on peut encore distinguer un fort substrat lié à une langue régionale.
Il convient de ne pas confondre les parlers régionaux avec les patois.
On ne s'occupera ici que des variétés linguistiques utilisées par les locuteurs lorsque ceux-ci considèrent qu'ils parlent français. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 2:02 |
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Je vais, en ce qui me concerne, décrire le parler que je connais le plus intimement : le français de Basse-Bretagne. La description complète sera nécessairement longue, j'espère qu'on m'excusera de la diviser en plusieurs postes.
Les consonnes
En breton, le mot fait partie d'une chaîne parlée et sa prononciation dépend énormément de sa position dans la phrase. Outre les simplifications communes à tous les parlers populaires, le français bas-breton présente également ce phénomène.
On y rencontre donc :
Le dévoisement final
En finale absolue, les consonnes : g, d, b, j, v, z sont dévoisées (ou renforcées) l'appareil phonatoire ne vibre plus lors de l'articulation de ces consonnes. Elles deviennent k, t, p, ch, f, s.
Exemples :
"R'garde don su' l'cataloc' !"
"T'auras des pommes chaut' ?"
"Le ricard est tout troup'."
"T'auras un coup d'rouch' ?"
"Çâ m'énerf' !"
"On s'fait la biss' ?"
Attention, ce dévoisement n'intervient qu'à la fin de la phrase et pas à la fin de chaque mot. La phrase "le fromage est bon" s'entendra presque comme à Paris, puisque "fromage" n'est pas en fin de phrase et est suivi d'une voyelle. Il ne suffit donc pas de parodier l'accent allemand pour parler avec l'accent bas-breton.
La prononciation des groupes -ble, -bre, -vre (C voisée + l ou r +e) est variable. On a : soit dévoisement et simplification du groupe consonantique : "À tap' !" ; soit conservation du groupe consonantique mais dévoisement de la consonne voisée : "un jolie chèfr".
Ils arrivent aussi, mais je ne l'ai jamais entendu dans le Poher, que le r tende vers c'h dans cette postion : "c'est beau l'amouc'h !". |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 13:44 |
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La lénition
La façon dont on prononce les liaisons est bien différente en français et en breton. Alors qu'en français on prononce la liaison avec la variante dure de la consonne : "quand T-il vient", le breton privilégie systématiquement la variante douce (lénifiée) de la consonne : "kollet eo" ("il est perdu") s'entend toujours /kɔləD e/. On prononce également ainsi quand la dernière consonne d'un mot est suivie par les consonnes : l, m, n et r. Cela se retrouve dans la prononciation locale du français. Les liaisons sont prononcées correctement (type "quand T-il vient") mais des consonnes qui sont prononcées mêmes quand elle ne sont pas en liaison sont lénifiées là où elle le seraient en breton :
"On en trouve n'impord'où"
"Des p'tid' roues"
Cette lénition apparait aussi pour simplifier l'articulation de certains groupes consonnantiques :
"C'est les championnats d'adlétiss'"
ou encore en sandhi interne :
"J'ai tra'aillé toud la z'maine !".
Dernière édition par Jeannotin le Friday 25 Apr 14, 16:19; édité 1 fois |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 14:01 |
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La nasalisation
En français standard, il est bien rare qu'une consonne nasale succède à une voyelle nasale (on citera le contre exemple du mot "ennuyer"). Soit la consonne nasale a été "absorbée" par la nasalisation de la voyelle, soit la consonne nasale reste prononcée mais la voyelle qui la précède n'est pas nasalisée. En breton, la succession voyelle nasale + consonne nasale est au contraire très fréquente et le français bas-breton à tendance à reconstituer de tels son. Ainsi, à la fin d'un mot, les groupes -nde, -nte, -ndre, -ntre, -mbe, -mpe, -mbre, -mble, -ngue, -nque précédés d'une voyelle nasale sont simplifiés et nasalisés. On a alors :
"j'ai ach'té L'Mõnn"
"y chãnn'"
"j'vai l'prãnn"
"j'ai mal à ma jãmm"
"tue la lãmm" (éteins la lampe)
"viens dans ma chãmm"
"y marche à l'ãmm"
"montre voire ta lãng"
"j'vais à la bang"
La nasalisation joue également un rôle en sandhi lorsqu'une consonne possédant une variante nasale se retrouve au contacte d'une voyelle nasale. On entend ainsi :
"il est minuit et n'mi" |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 14:16 |
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la palatalisation
Les groupes -ti- et -di-, quand il ne commencent pas un mot, on tendance à être palatalisés en -tchi- et -dji-, comme c'est le cas en français acadien. On observe ce phénomène en breton mais il est peu signalé en raison de l'omerta qui règne sur la palatalisation, stigmate supposé des dialectes "vannetais". En français, je pense que c'est un des traits qui se conserve le mieux chez les jeunes car il va dans le sens de l'évolution normale de la langue.
On entend donc :
"c'est un dur métchier"
Quand ce son est précédé d'une voyelle nasale, on entend presque plus le -t- ou le -d- :
"y doit porter un danchier". |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 25 Apr 14, 14:34 |
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les élisions
Comme tout les parlers populaires français, celui de Basse-Bretagne connait ces simplifications stigmatisées par ceux qui parle le français pointu :
"j'aim'rais bien la connaît'..."
"Et l'premier miniss' a dit qu'c'était un minap' !"
Certaines élisions, courantes dans les dialectes bretons, lui sont cependant propres. Ainsi le /v/ disparait souvent en position intervocalique. Cela est fréquent en breton : a'il = avel (vent), pêr = pevar (quatre) et se retrouve en français local :
"j'a'ais tra'aillé ensemble a'è lui"
Certains petits mots très courants présentent des formes contractées où l'on ne saurait débrouiller la part du substrat breton et des archaïsmes français :
"t'as fait tout çâ pou' moi ?"
"tais-toi don'" (en vérité c'est la prononciation correcte mais elle est de plus en plus décriée sous l'influence de l'effet Buben : la prononciation des mots est altérée par leur orthographe)
"ce champ, là-bas, a'ait été avè nous" (avec)
"le journal est a'è lui" (avec) |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 26 Apr 14, 17:37 |
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Tu nous donne des règles phonétiques qui nous rapprochent fortement, moi qui suis Liégeois (de cœur).
Je savais déjà que feu ma belle-mère bretonne était parfois soupçonnée d'être Belge...(Il eut fallu dire Wallonne)
En effet: Citation: | Le dévoisement final
En finale absolue, les consonnes : g, d, b, j, v, z sont dévoisées (ou renforcées) l'appareil phonatoire ne vibre plus lors de l'articulation de ces consonnes. Elles deviennent k, t, p, ch, f, s.
Exemples :
"R'garde don su' l'cataloc' !"
"T'auras des pommes chaut' ?"
"Le ricard est tout troup'."
"T'auras un coup d'rouch' ?"
"Çâ m'énerf' !"
"On s'fait la biss' ?" | En français de Liège, on dit exactement pareil !
Palatalisations:
On dit aussi: exercer un dur métché et porter un dentché...
Les élisions:
Citation: | "j'aim'rais bien la connaît'..."
"Et l'premier miniss' a dit qu'c'était un minap'... !"
"C'est les championnats d'adlétiss...'" | Exactement pareil !
Il ne faut pas me demander d'explication historique ou autre sur cette ressemblance. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Saturday 26 Apr 14, 23:33 |
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Attention, la ressemblance pour les dévoisements n'est à mon avis que superficielle. À Liège, dit-on : le fromaj est bon ou le fromach est bon ?
En Basse-Bretagne, le dévoisement n'intervient qu'à la fin d'une phrase et pas à la fin de chaque mot comme en picard par exemple. Je ne connais pas bien la prononciation des patois des Ardennes mais le picard, que j'ai déjà entendu chez des ouvriers "immigrés" en Bretagne, me semble avoir conserver une vieille tendance du français. Ainsi, le latin NOVum donne neuf par chute gallo-romane de toutes les voyelle finales sauf le -a puis par dévoisement de la consonne finale. Si le picard semble exotique aux oreilles purement francophone c'est parce qu'en français ce phénomène a cessé alors que les e muets s'entendaient encore. On donc bien neuf mais rouge. En picard, le phénomène s'est maintenu après la chute des e muets. Les consonnes désormais finales ont subit le même traitement et on a : rouche quelque soit la position de ce mot dans la phrase. Je soupçonne qu'on a le même phénomène dans les Ardennes.
Y a-t-il à Liège un substrat favorable à la palatalisation ? Si ce n'est pas le cas, il ne doit s'agir que d'une évolution normale du français qui est moins réprimée dans les milieux populaire. |
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Feintisti
Inscrit le: 09 Oct 2005 Messages: 1591 Lieu: Liège, Belgique
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 1:50 |
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Je crois qu'à Liège, on entend aussi "le fromaj est bon". L'assourdissement, comme dans les dialectes de Flandre, ne semble pas toucher les consonnes directement en contact avec une voyelle ou une consonne sonore.
À l'inverse, j'entends souvent des sonorisations de consonnes finales sourdes dans ce type d'environnement phonétique. Par exemple, "grâce à" se prononce "grâz' à". |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 13:34 |
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D'accord, la ressemblance entre l'accent breton et l'accent des Ardennes est donc plus profonde que je le soupçonnais. Il est étrange que dans l'imaginaire collectif français ces dévoisements soient l'apanage des seuls Alsaciens alors qu'ils sont assez répandus dans le domaine francophone. Mais ceci est plus de la sociologie que de la linguistique...
Sinon, Feintisti, il me semble que tu connais le wallon. Penses-tu qu'il est lié aux prononciations palatalisées citées par dawance ? |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 13:56 |
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Le h aspiré
En breton, tout comme en gallo et en moyen-français, le h aspiré est une vraie consonne. Il s'efface cependant devant l'article. En breton, on entend donc : kal-hañv (les calendes d'été, i.e. le 1er mai) mais ën (h)añv /ənãõ/ (l'été). Le français bas-breton conserve donc cette consonne sauf dans le cas où elle est précédée de l'article "un", dont la prononciation possède une assez forte analogie avec les articles bretons. La prononciation est donc :
"Il est dehors"
"Avè la hõnn" (expression proverbiale : quelle honte)
mais :
"un nangar"
Dernière édition par Jeannotin le Monday 28 Apr 14, 2:28; édité 1 fois |
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Feintisti
Inscrit le: 09 Oct 2005 Messages: 1591 Lieu: Liège, Belgique
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 16:55 |
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Pareil qu'en wallon ou français wallon pour le H. J'entends souvent le mot "hangar" avec le H prononcé.
Pour ce qui est de la palatalisation, le wallon en général la fait systématiquement dans les cas où T ou D est suivi de I puis d'une autre voyelle. Ex. tiens > tchins, radio > radjo*.
*Le "o" de radio est prononcé ouvert, comme celui de "botte". C'est une autre caractéristique du français de Belgique et du wallon.
Autre chose, les voyelles suivies de consonnes sonores ou R (mais pas nasales ou latérales) sont prononcées longues et fermées, sinon elles sont courtes et ouvertes, sauf dans certains cas (notamment ceux où un accent circonflexe se trouve déjà sur la voyelle).
Ex. Liège > Liééch', aimable > aimââp', etc.
Jusqu'ici, j'ai cité des caractéristiques wallonnes en général, mais le français liégeois peut être différencié du reste par certaines caractéristiques. La première est l'intonation souvent lente qui monte et descend sans arrêt, similaire à celle du dialecte limbourgeois (limitrophe).
La deuxième est celle-ci:
- Français: C'est vrai quand même !
- Carolo: C'est vré quand min-me ! - Les "ai" se changent souvent en "é" dans l'Ouest, et les "è/ê/ai" suivis de nasales se nasalisent en "in" (surtout à Bruxelles !).
- Liégeois: C'est vrai quôd mééme ! - Les nasales sont allongées et dénasalisées, les ê se changent en é longs.
Une troisième caractéristique est que le son "un" est bien différencié du son "in", ce qui n'est pas toujours le cas à l'Ouest. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3873 Lieu: Paris
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 17:04 |
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Feintisti a écrit: | Pareil qu'en wallon ou français wallon pour le H. J'entends souvent le mot "hangar" avec le H prononcé. |
Mais même en français hexagonal, on peut entendre assez souvent un nangar ou des zangars, et grâce à Internet, on peut même le lire. |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 898 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Sunday 27 Apr 14, 20:36 |
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Ce qu'il fallait comprendre, c'est qu'à Liège, le H (aspiré) est aussi une vraie consonne, clairement prononcée (expirée).
Plus au sud ou à l'ouest de la Wallonie, c'est comme en français : il sert juste à empêcher la liaison mais on ne l'entend pas distinctement.
http://rifondou.walon.org/sicole/11.html |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Monday 28 Apr 14, 10:13 |
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A Liège: Citation: | J'entends souvent le mot "hangar" avec le H prononcé. | Je suis bien d'accord, ce qui en fait une différence avec le "un nangar" breton.
Il y a d'autres différences avec le breton rensigné par Jeannotin.
On ne dit pas ici:
tra'aillé, a'ait,...
Si l'on dit mont' (pour montre), on dit mont' (pour monde) et non mõnn'.
On dira aussi jamp' (pour jambe), etc.
C'est à dire que les finales -nde, -nte, -mbe, -mpe ne subissent pas le même sort en wallon qu'en breton.
Comme en breton (correction: français bas-breton: voir message ci-dessous), si j'ai bien compris, on dit champ' (pour chambre).
Dernière édition par dawance le Tuesday 29 Apr 14, 18:25; édité 1 fois |
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