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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 09 May 14, 19:03 |
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Je vais présenter les différentes façon de traduire le français "avec" en gallo et dans les autres patois de l'ouest de la France. La variabilité dialectale de ce mot est documentée par une carte de l'Atlas linguistique de la France :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/35/Avec_%28moi%29.JPG?uselang=fr
Commençons par la forme la plus utilisée en gallo : o. Avec sa variante d'o, elle est très bien représentée ès Côtes-d'Armor, en Morbihan, en Ille-et-Vilaine, en Mayenne, dans l'Orne et est présente dans le sud de la Manche et du Calvados et dans le nord de la Sarthe. Elle provient du latin APUD, auprès de. Ce mot a, de nos jours, une faible extension dans les parlers d'oïl. Il reste la norme en langue d'oc : le provençal a emé, le gascon dab (on notera l'analogie avec la forme dérivée d'o) ainsi qu'en catalan : amb. Ce mot existe dans la littérature du Moyen-Âge : on lit au laisse VIII de la Chanson de Roland :
Citation: | Li empereres est en un grant verger,
Ensembl od lui Rollant et oliver |
Une autre forme est quatë. Mon informatrice, de Saint-Gilles-Vieux-Marché, me dit que ce mot n'y était pas en usage mais qu'elle l'entendait chez en oncle, étranger à la commune. Je le graphie d'après sa prononciation. Cependant Barbey d'Aurévilly utilise ce mot lorsqu'il fait parler des paysans du Cotentin et le graphie quant et ; à-peu-près comme dans le dictionnaire de Roger le Contou et Fred le Disou : qante. Même si l'alphabet des romanistes résiste plutôt mal à la numérisation avec un scanner pourave, il ne me semble pas discerner sur la carte de l'ALF la nasalisation qu'indiquent ces deux sources... Là où il existe, quatë n'élimine pas toujours o. En effet, l'usage de quatë me semble restreint à certaines actions, peut-être aux déplacements. J'avance cette supposition en me basant sur le maigre corpus dont je dispose ; Barbey d'Aurévilly écrit dans l'Ensorcelée :
Citation: |
- Hé ! maître Tainnebouy, v'là un mônsieu qui demande le quemin de la
Haie-du-Puits, et qui, si vous v'lez, va s'en aller quant et vous !
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Semblablement, la phrase avec quatë que m'a proposé mon informatrice était : Viens don quatë mei. Quelqu'un ayant un informateur dans une zone où ce mot est en usage pourra-t-il nous éclairer ? Je ne connais par l'étymologie de ce mot, sauf à considérer que la graphie de Barbey d'Aurévilly en donne l'origine. J'ignore également s'il est attesté dans la littérature médiévale.
Enfin, il convient d'évoquer la forme qui est devenu celle du français standard : avec. Comme plusieurs mot français, elle dérive d'une expression latine qui s'est contracté, en l'occurence : AB HOC, littéralement : de cela. Ce mot n'est pas moins ancien que la forme o puisqu'il figure également dans la Chanson de Roland (au laisse XII) :
Citation: | Avoec ice plus de cinquante chars, |
Il est inusité dans le patois de Saint-Gilles-Vieux-Marché mais il est présent dans d'autres localités bretonne. Il s'est imposé partout hors de l'aire du mot o.
Dernière édition par Jeannotin le Wednesday 10 Jun 15, 1:23; édité 1 fois |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1894 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Monday 12 May 14, 21:51 |
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En wallon: avou, très proche de apud cité plus haut. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Tuesday 13 May 14, 11:32 |
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Es-tu sûr que avou n'est pas plutôt apparenté à avec ? Le c final à pu disparaître comme dans beaucoup d'endroits. À Vermand (262), le point d'enquête le plus proche de la Wallonie sur cette carte malheureusement tronquée, donne [avuk] et se trouve clairement dans l'aire du mot avec et de ses variantes phonétiques. A-t-on des traces d'un état du wallon avant la chute de la consonne finale d'avou ? On devrait pouvoir consulter des textes anciens pour voir si cette consonne était /k/ ou /d/ et trancher. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1894 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Tuesday 13 May 14, 17:14 |
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Ben, non je n'en suis pas certain, because je suis pas spécialiste, seulement un chercheur obstiné...
Ce dont je suis certain, c'est que le wallon est toujours plus proche du bas latin. Si tu as eu l’occasion de lire mes (longs) travaux, tu auras pu le constater. (On pourrait toutefois résumer l'histoire phonétique en quelques pages. Je vais le faire pour toi.)
Autre chose: pour arriver à fr. avec, il faut passer (voir TLF) de apud hoc à apŏque, puis diphtonguer en avuoc,...
Le wallon n'est pas si compliqué; on peut passer directement, ou presque, de apud à avou(d). Le wallon est rempli d'apocopes. Il s'est figé depuis les premiers siècles. On dit d'ailleurs qu'il est archaïque.
A noter que avou est à la fois préposition et adverbe, comme dans l'ancien français.
J'oubliais: il y a un homonyme avou, qui est le participe passé de avoir (eu), dérivé de latin habu(tu). Ce serait juste la même évolution phonétique: apocope et mutation: latin p ou b > en wallon v.
(HS: on dit bien boc'h en breton, pour bouche ? w. boke) |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Tuesday 13 May 14, 18:04 |
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Merci d'abord d'avoir rétabli l'étymologie correcte du avec français, celle que je donnais était fausse. Voici ce qu'écrit Littré :
Citation: | Bourguig. aivô ; nivernais, aivec ; mâconnais, aivu ; franc-comtois, aivoue, aivo, aiveû ; Berry, aveuc, anvé, anvec, et aussi, anc : je suis parti anc elle ; wallon, avou ; picard, aveu, avé, aveuc. La forme avoec, qui est la forme régulière, et dont avec est une contraction, et avecque une forme paragogique, vient de la préposition latine apud, et de hoc, cela ; apud hoc, c'est-à-dire, dans le bas-latin, en cela, d'où le sens de avec. Cette dérivation est démontrée par l'ancien français peroec, pour cela (per hoc), senoec, sans cela (sine hoc). À côté de avoec, l'ancien français a oue ou ove, qui paraît être plutôt un représentant de apud, que de ubi qui a donné où sans e.
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Il semble rapprocher avou de avec, mais il s'agit évidemment de travaux qui datent un peu... À noter la forme oue ou ove qui doit être le pendant "bon français" du o des patois de l'ouest.
C'est donc bien cette consonne finale qui existait à date ancienne ? Cela prouverait l'étymologie que tu proposes.
Citation: | avou est à la fois préposition et adverbe, comme dans l'ancien français |
Ou dans le français populaire de bien des régions : du pain tu auras, et du beurre pour manger avec ?
Citation: | On pourrait toutefois résumer l'histoire phonétique en quelques pages. Je vais le faire pour toi. |
Merci beaucoup, je lirais cela avec attention, comme je l'ai fait pour tes sujets précédents sur l'histoire du wallon (tu l'auras remarqué grâce à la polémique un peu stérile que j'ai déclenchée autour de drôle).
Boc'h [boχ], ou boh suivant l'orthographe retenue, est un mot peu utilisé qui signifie joue. Chez moi, il existe dans buhrudig (joue-rouge : le rouge-gorge). Le mot roman jod est plus répandu que boh. Il est possible qu'on puisse rapprocher boh de ton boke wallon. Il y a un autre mot, d'origine probablement gauloise, qui lui ressemble et qui est commun au breton et aux langues d'oïl : beg [be:k] : bec. Il prend souvent le sens de bouche, comme dans beaucoup de parlers d'oïl. |
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PatoisantLorrain
Inscrit le: 25 Aug 2006 Messages: 224 Lieu: Bayonnais
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écrit le Tuesday 13 May 14, 21:29 |
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En Lorraine, on dit généralement èvo (variantes : èva, èvieu, ovon). Mais dans la vallée de la Moselotte, dans les Hautes-Vosges (La Bresse, Cornimont, Ventron, Vagney), on emploie une autre forme quand cette préposition exprime un rapport de cause instrumentale et matérielle : èto dé m'piéd, èto dé m'pau, d'èto dé s'moutch'ré : avec mon pied, avec mon bâton, avec son mouchoir. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Tuesday 13 May 14, 21:38 |
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As-tu une idée de l'étymologie de ton èto ?
Ils doit y avoir, dans les parlers d'oïl, encore d'autres moyens d'exprimer la cause instrumentale et matérielle. Je viens de me souvenir qu'à Rennes j'avais été très surpris en entendant dire à un camarde originaire de l'Orne : "Oh, regarde le petit chien enfermé de par la porte !" |
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PatoisantLorrain
Inscrit le: 25 Aug 2006 Messages: 224 Lieu: Bayonnais
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écrit le Friday 16 May 14, 21:32 |
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Dans la vallée de la Moselotte, ainsi que plus bas (Fresse, le Thillot), on dit également d'èvo. En fait, il faut chercher dans les patois franc-comtois (dans les patois des Vosges méridionales, on sent l'influence des patois franc-comtois). Dans la région de l'Ajoie (en Suisse, Porrentruy), on retrouve également la préposition d'aito en conccurence avec d'aivo
Pour la préposition de par, ça ressemble étrangement à la préposition bretonne digant. |
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