Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
écrit le Wednesday 16 Apr 14, 17:26 |
|
|
L'Atlas linguistique de Basse-Bretagne (ALBB pour les intimes) est incontournable pour une première approche de la dialectologie bretonne. Ils représentent les différentes variantes dialectales d'un même mot dans plus de quatre-vingt paroisses bretonnantes, Bourg-de-Batz (Loire-Atlantique) compris. L'enquête a été réalisé entre 1911 et 1913 puis complétée en 1919 et 1920. Il est librement consultable en ligne, ce qui permet à ceux qui s'intéressent aux parlers bretons d'enrichir leur compréhension en introduisant une approche diachronique de la dialectologie. Je le consulte fréquemment et je remarquent les changements qui se sont produits dans mon aires dialectale depuis le début du XXème siècle. Cléden-Poher se trouve entre les points 39 (Plounévézel) 40 (Plévin) et 44 (Roudouallec) de l'enquête. Je renverrai par un lien à chaque carte que j'évoquerai.
Mon sentiment général, sur les changements survenus dans le breton, est qu'on constate une progression vers le nord et l'ouest des formes supposées vannetaises.
Cette "vannetisation" est d'abord phonétique. Les palatalisations sont à présent bien plus rependues :
http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-386.jpg
Sur la carte 386-Viande (kig en breton standard), la palatalisation de la consonne initiale est encore propre au domaine vannetais avec même des enclaves sans palatalisation autour du golfe du Morbihan et le long de la frontière linguistique. Les formes relevées en Haute-Cornouailles présentent un /k/ initiale. Cette prononciation n'est plus en usage dans mon badume, on dit maintenant : tchig. La vitalité de ce traits phonétique, qui semble pourtant acquis il y a peu, est forte puisque qu'il se manifeste même dans des emprunts récents au français. Dans mon village, le mot français "équipe" est "traduit" par "etchip"
On observe un semblable phénomène aux niveau des aires lexicale (c'est-à-dire du vocabulaire) :
http://sbahuaud.free.fr/ALBB/Kartenn-468.jpg
Sur la carte 468-Octobre, la forme gouel-Mikel est circonscrites aux parlers vannetais et here domine partout ailleurs. Là encore, selon mon expérience personnelle, les formes vannetaises ont gagné vers le nord. À Cléden, on dit gou-Mitchël. Ici, je me permets de risquer une explication socio-économique. "Gouel-Mikael" désigne proprement la Saint-Michel (29 septembre), jour du paiement des loyers pour les locataires agricoles. Comme en atteste Jean Rohou dans Fils de ploucs (qui parle de "gou-mikeal" en Léon) c'était un jour redouté par les petits paysans. Je pense que cette forme a beaucoup progressé car elle avait une charge économique et émotionnelle très forte, sans doute renforcée par la précarisation de la paysannerie bretonnante lors de la Crise de 29 et des mutations économiques de l'Après-Guerre.
Que pouvons nous conclure de ce rapide coup d’œil ? Tout d'abord, que la francisation est arrivé à point nommé pour les nationalistes qui ont pu, à la faveur de l'ignorance de plus en plus large du breton, imposer une pseudo-norme qui ne tenait pas compte de la majorité des parlers vernaculaires. On a pu rejeter ainsi des formes en progression dans le breton parler en les associant au dialecte vannetais, sans cesse dévalorisé. À Carhaix, qui compte le seul lycée Diwan de Bretagne et qui s'enorgueillit de sa politique linguistique, qui sait que le breton du pays ne dit pas "kêr" (ville) mais "tchiêr" ? Ces changements montrent également que le breton est resté, tout au long du XXème siècle, une langue vivante, poursuivant son évolution phonétique propre et se transformant face aux bouleversements de son univers. |
|