Les grandes familles de mots




« Les habitants ont leurs habitudes »

La famille AVOIR


Patriarche indoeuropéen : *GhABh-, « donner, recevoir »

Les branches

1. Les deux ancêtres latins dont la descendance a été la mieux conservée sont le nom habitus, « maintien », et l’adjectif habilis, « qui tient bien, bien adapté ». En sont dérivés tous les mots en -habit- et la plupart des mots en -habil- :

habit, habiter, habitation, habitant, habitude, habituer, habituel, habituellement, inhabituel, habitacle, habitat, cohabiter, inhabité, habitable, inhabitable, cohabitation, déshabituer, réhabituer

habile, habilement, habileté, habiliter, habilitation, réhabiliter, réhabilitation, inhabile, malhabile


2. Le verbe habere, « tenir, avoir », avant d’avoir sa propre descendance que nous verrons plus loin, a d’abord eu en latin toute une série de dérivés préfixés en -hibere : exhibere, « produire au dehors », inhibere, « maintenir dans, exercer une autorité sur », prohibere, « tenir à l’écart », etc. En sont issus presque tous les mots en -hib- :

exhiber, exhibition, exhibitionnisme, exhibitionniste, inhiber, inhibition, inhibitif, prohiber, prohibition, prohibitif, rédhibitoire, rédhibition,


3. Très utilisés, les verbes habere et debere (< de-habere) se sont beaucoup déformés au fil du temps avant d’aboutir aux verbes français avoir et devoir, dont la conjugaison et la dérivation sont riches de diverses formes :

avoir, ai, as, a, avons, avez, ont, avais, aurai, eu, ayant, …

devoir, dois, devons, devrai, dû, dû, dûment, indûment, indu, dette, s’endetter, endettement, débet, débit, débiter, débiteur, redevoir, redevable, redevance,…


4. Si le germanique *geban est surtout l’ancêtre des verbes allemand geben et anglais to give, « donner », notre famille française a aussi sa branchette germanique grâce à l’adjectif morganatique, issu – par l’intermédiaire d’un vieux mot apparenté à l’allemand Morgengabe, « don du matin » – de l’adjectif latin médiéval morganatica, « (femme) qui reçoit un douaire ». Des formes intermédiaires comme morganegyba, morgincap, etc., permettent un meilleur rapprochement avec l’allemand. [1]

Les invités masqués

L’un se fait passer pour membre d’une autre famille : provende – déformé sous l’influence du verbe providere, « prévoir, pourvoir » (cf. famille VIDÉO) – mais son doublet prébende est plus fidèle à ses origines. Ces deux noms, qui ne s’emploient plus guère, sont issus du verbe latin praebere, « présenter, fournir » (< prae-habere). La provende, ce sont « les choses à fournir, les vivres, les provisions de bouche », alors qu’une prébende est un « revenu fixe accordé à un ecclésiastique », ou le titre qui donne droit à ce revenu. Dérivés : prébendé, prébendier.

Curiosités

1. gabelle : les étymologistes font remonter ce mot, nom d’un vieil impôt sur le sel, à l’arabe قبالة [qabāla], « garantie, caution », qui serait passé en France par l’Andalousie, ou par la Sicile via l’italien gabella. Or, rattaché à notre racine *GhABh-, il existe en vieil anglais un mot gafol, issu du germanique *gabulam, qui signifie « tribut, taxe, dette ». Il s’agit probablement d’une pure et simple coïncidence.


2. Locutions latines :

- habeas corpus : expression juridique désignant dès le Moyen Âge en Angleterre un écrit portant la mention en latin habeas corpus ad subjiciendum qui signifie « que tu aies le corps [la personne physique] à présenter [devant la cour, le juge] » et qui donne l’ordre de présenter devant un tribunal une personne retenue prisonnière afin que soit examiné le bien fondé de cette détention ; d’où aussi l’appellation Habeas Corpus (Act) de la loi anglaise de 1679 par laquelle cette procédure est garantie et définie.

- minus habens, ou simplement minus : expression signifiant proprement « ayant moins [d’intelligence que la moyenne] », composée de minus, « moins », et de habens, participe présent de habere.

Homonymes et faux frères

1. Il y a débit et débit !

Il y a le débit qui s’oppose au crédit, certes, mais il y a aussi le débit du fleuve ou le débit de boisson qui est, lui, d’origine germanique, peut-être scandinave.
Il y a de la même façon débiter un compte et débiter des tranches de jambon (par exemple).
Il y a même le débiteur qui vous doit de l’argent et le débiteur de discours.


2. Le verbe habiller est dérivé de bille, « tronc d’arbre, pièce de bois allongée », et s’est longtemps écrit abiller. L’orthographe avec h résulte du fait que, sémantiquement, ce verbe s’est peu à peu éloigné de la famille de bille (dès le XIIIe s.) pour se rapprocher de celle de habit (XVe – XVIe s.). Dérivés : habillage, habillement, habilleur, déshabiller, déshabillé, rhabiller.


3. hiberner : emprunt au latin hibernare, « passer l’hiver ; être en quartiers d’hiver ». Dérivés : hibernation, hiver, hiverner, …


4. hibou : mot d’origine inconnue, peut-être onomatopéique, d’après le cri du hibou.


5. Contrairement aux apparences formelles et aux attendus sémantiques, l’anglais to have et l’allemand haben ne sont pas issus de la racine *GhABh-, mais d’une autre racine très productive, la racine *KAP-. (Voir famille CAPTER).

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. cohibir, deber, deuda, exhibir, haber, hábil, habitación, habitual, inhibir, prebenda, prohibir

port. coibir, dever, exibir, hábil, habitar, hábito, haver, inibir, proibir

it. abitare, abitazione, abito, abituare, abitudine, adibire, avere

angl. able, debt, due, duty, endeavour, forgive, gift, give, habit

all. Gabe, geben, Pfründe

rus. авуары, эксгибиционизм

Notes

1 Mariage morganatique : mariage d’un roi ou d’un prince avec une personne d’un rang inférieur, qui est par là exclue des prérogatives de caste et d’héritage de son époux (de même que les enfants issus de cette union). Le passage du sens de « donation faite le lendemain des noces » au sens moderne reste inexpliqué.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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