Les grandes familles de mots




« Le képi du capitaine  »

La famille CAPITAL


Patriarche indoeuropéen : *KAP-UT- [1], « tête »


Les branches

1. Le principal membre français de cette famille est, comme il se doit, le nom chef, issu d’un lat. populaire *capum, forme altérée du classique caput gén. capitis, « tête ». On ne retrouve cet élément tel quel qu’en composition dans couvre-chef, sous-chef, et chef-d’œuvre, et comme radical dans chefferie et cheftaine. Dans les autres mots qui lui sont apparentés, comme chevet et achever, le radical -chef- devient -chev-.


2. Un autre grand ancêtre de cette famille est le nom bas latin cappa, « chape »[2]. Il est à l’origine d’autres vieux mots français en -chap- :

chape, chapitre, chapiteau, chapeau, chapelet, chapelle, chaperon, échapper, réchapper, ...

On retrouve ce même radical dans un mot emprunté au russe : chapka.


3. Une partie importante de la descendance française de cette famille se reconnaît par son radical « savant » -capit- qui lui vient des autres cas de caput, capitis :

capitaine, capital, capiteux, capitonner, capituler, récapituler, décapiter, ...


4. Les autres descendants français, qu’ils aient ou non transité par l’italien, le provençal ou l’espagnol, signalent leur appartenance à cette famille simplement par les radicaux -cap- ou -cab- :

cap, caporal, caprice ; accaparer ; rescapé, escapade, cape, capot, capote, décaper, décapoter, capuchon, capuche, capucin, capucine, ...
cabot, caboter, caboche
, ...


5. Les mots anglais head et allemand Haupt attestent de la branche germanique de la famille indoeuropéenne. Mais en français, comme mots issus de cette branche, il n’y a guère qu’un terme de marine, hauban, aboutissement de l’ancien scandinave höfudbenda, « cable principal ou lien du sommet ».


6. Il n’y a pas de branche grecque dans cette famille. Les étymologistes s’accordent pour faire descendre le mot qui désigne la tête en grec, κεφαλη, kephalê, d’une autre racine indoeuropéenne, *GhEBh-EL- (cf. angl. gable et all. Giebel et Gipfel). Dérivés : céphalée, encéphale, bicéphale, Bucéphale (« tête de taureau », nom du cheval d’Alexandre le Grand), etc.


7. Et notre tête alors, d’où vient-il ? Du latin testa, « coquille, tout objet fait en argile cuite ». En bas latin le mot a pris le sens de « crâne, tête », qui a fortement concurrencé le latin caput. Il a une variante neutre, testum, qui signifie « couvercle de pot, pot en terre ». Dérivés : têtu, têtard, étêter, entêté, tesson ; et aussi test et tester (au sens de « faire subir un test ») qui sont des emprunts à l’anglais test, lui-même issu de l’ancien français test, issu du latin testum.[3]

Les invités masqués

1. Dans -cap-, il a remplacé le a par un e : biceps, muscle ayant deux attaches à sa partie supérieure.


2. Dans -cap-, il a remplacé le a par un e et le c par un k : képi, d’origine suisse alémanique, ce qui explique la présence du k.


3. Dans -cap-, il a remplacé le a par un i : précipice, du latin praeceps, « (qui tombe) la tête en avant ». Dérivés : précipiter, précipitation, précipité, précipitamment.


4. Dans -chev-, il a remplacé le e par un a : chavirer, du provençal capvira, « tourner la tête en bas, se retourner ». Façon provençale, un peu particulière, de virer de cap !


5. Quant à cadeau, cadet et cheptel, ils ne sont guère reconnaissables (voir Curiosités).

Curiosités

1. cadeau est un emprunt à l’ancien provençal capdel, « personnage placé en tête, capitaine », lui-même issu du latin capitellum qui signifie proprement « petite tête, extrémité » et qui a donné chapiteau, diminutif de caput. On est en droit de penser qu’en ancien provençal, le mot désignait déjà une grande initiale ornementale (comprenant souvent une tête de personnage) placée en tête d’un alinéa (cf. capitale). Le mot cadeau désigne donc d’abord une lettre capitale ornée. Un déplacement de sens fondamental s’est fait au cours du XVIIe s. : d’après l’ornementation raffinée et luxueuse des lettres initiales, cadeau a désigné en langue classique une fête galante avec musique et banquet, offerte à une dame. Puis, par extension, le mot a pris son sens actuel.


2. cadet est emprunté à l’équivalent gascon du précédent, à savoir capdet. Son sens moderne de « celui qui vient après un autre frère par ordre de naissance », attesté dès les premiers emplois (1466), vient de ce que les chefs gascons venus servir dans les armées des rois de France au XVe s. étaient souvent des fils puînés de familles nobles. Le sens s’est ensuite étendu au dernier-né.


3. chapelle est issu du latin populaire capella, diminutif de cappa, attesté en latin médiéval pour désigner le manteau de saint Martin, relique conservée à la cour des rois francs. Par extension, capella en vint à désigner le trésor des reliques royales et l’oratoire du Palais-Royal abritant ce trésor. Le mot désignera par suite dès l’ancien français un lieu de culte dans une demeure particulière et une petite église secondaire.


4. cheptel est le résultat d’une réfection, par adjonction d’un p étymologique, de l’ancien français chatel[4] puis chetel, issu du latin capitale, adjectif neutre substantivé, « le principal (des biens possédés) ». C’est donc le doublet populaire de capital. Le mot anglais cattle, « troupeau », est issu de la forme normande du même mot.


5. échapper et escapade sont issus – le deuxième via l’espagnol – du latin populaire *excappare, proprement « sortir de la chape », d’où « laisser seulement son manteau aux mains des poursuivants ».

Faux frères

1. Un certain nombre de mots en -cap- sont issus d’une autre famille, riche elle aussi, celle du verbe latin capere, « saisir, prendre, contenir » : capable, incapable, capture, capturer, captiver, capacité, incapacité, capter. (Voir la famille CAPTER).


2. Tous les mots en -chev- ne sont pas de la famille de chef ; c’est notamment le cas de cheval, de cheville, de chèvre, et même de cheveu.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. acabar, cabeza, cabo, capicúa, capitán, capuzar, chapuzar, chapuzón, caudal, caudillo, jefe

port. cabeça, cabo, capataz, capital, chefe, coudel

it. capezzale, capitale, capitano, capitare, capitello, capitolo, capo, caporale, capezzolo

angl. cabbage, cape, captain, capsize, cattle, chapel, chief, head, heady

all. Haube, Haupt, Hauptmann, Kappe, Kapelle, Kapital, Kapitäl, Kapitel, Kaputze

rus. капитал, капитальный, капитан, шапка, шеф

Notes :

1 Des rapprochements avec des mots sanskrits en kap- prouvent que l’élément -ut- n’est pas essentiel.

2 Le rattachement du bas latin cappa à cette racine n’est affirmé par personne mais déclaré par tous les étymologistes comme fortement probable.

3 Il y a en français d’autres mots en -test- qui n’ont rien à voir avec testum ou testa mais qui sont quant à eux issus du latin testis, « témoin » : tester (= établir son testament), testament, testicules, attestation, détester, contester, protester, ... ; quant à témoin, l’invité masqué de cette petite famille, il est issu du latin testimonium, « témoignage ».

4 Aucun rapport avec château – parfois écrit châtel en toponymie – qui vient quant à lui du latin castellum, « forteresse », diminutif du classique castrum, « retranchement, lieu fortifié ». D’où les noms de villes Castelnaudary, Châtillon, Châtel-Guyon en France, Castellón en Espagne, etc.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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