« Le Concile a classé les réclamations des Clarisses »
La famille CLAMEUR
Patriarche indoeuropéen : *K(E)LĀ-, « appeler »
Les branches
1. Dans cette bruyante famille aux origines lointaines car probablement onomatopéiques, on trouve d’abord des ancêtres latins : le nom
clamor, « cri, clameur », l’adjectif
clarus, « clair, éclatant » (> fr.
clair), utilisé d’abord pour qualifier des sons, des choses entendues, puis des choses vues, et aussi le nom
classis qui a dû signifier proprement « appel », et qui, par métonymie, a désigné d’une part les différentes divisions de citoyens susceptibles d’être appelées sous les armes et, d’autre part, la troupe ainsi convoquée (cf. en fr. "les appelés")[
1]. En sont issus tous les mots en -
clam-, -
clar- et -
class- et, bien sûr, la petite sous-famille de
clair :
clamer, clameur, acclamer, déclamer, s’exclamer, proclamer, réclamer...
Clara, clarifier, clarinette, Clarisse, clarté, déclarer...
classe, classique, classer, classeur, déclasser, inclassable, classifier...
clair, Claire, clairière, clairon, clairsemé, clairvoyant, éclair, éclairage, éclaircie, éclaireur...
2. Un autre grand ancêtre de la famille est le verbe latin
calare, « appeler, proclamer, convoquer », verbe archaïque employé dans des expressions juridiques ou religieuses. En sont issus :
–
calendes, emprunté au latin
calendae, « premier jour du mois », jour où le pontife publiait à haute voix quel jour de ce même mois tomberaient les ides et les nones. Dérivé :
calendrier.
–
intercaler, emprunté au latin
intercalare, « proclamer un jour ou un mois supplémentaire (pour remédier aux irrégularités du calendrier) ; insérer ». Dérivé :
intercalaire.
–
concile, emprunté au latin
concilium, « convocation ; assemblée délibérante ». Dérivés :
conciliaire, conciliabule, concilier, conciliateur, conciliation, conciliable, inconciliable, réconcilier, ...
– et aussi
nomenclature (Voir Curiosités).
3. Il existe aussi une branche grecque issue du verbe
καλειν, kalein, « appeler » dont nous verrons les descendants dans les Curiosités.
4. Enfin il existe probablement une branche celtique, celle qui a donné
cloche au français,
clock à l’anglais et
Glocke à l’allemand, via le latin de très basse époque
cloc(c)a, « cloche », latinisation par les moines irlandais d’un mot de leur langue maternelle.
Les invités masqués
Ils ont comme point commun d’avoir changé leur
c initial en un
g plus sonore :
– de
clarus :
glaire, du lat. populaire *
clarea (< lat. class.
clara) puis *
claria puis *
glaria. Dérivé :
glaireux.
– de
classis :
glas, d’abord
clas en ancien français, est issu du lat. pop. *
classum, du lat, class.
classicum, « sonnerie de trompettes ».
Curiosités
1. Les descendants du v.
καλειν, kalein, l’équivalent grec de
calare :
–
église est issu du lat. pop.
eclesia, altération du latin chrétien
ecclesia, lui-même emprunté au grec
εκκλησια, ekklêsia, « assemblée des citoyens ; assemblée des fidèles (Nouveau Testament) ». C’est donc, en fait, l’équivalent grec du latin
concilium, une assemblée ainsi dénommée parce que ses membres ont été convoqués, appelés (cf. aussi ce que nous avons dit plus haut à propos de
classis). Dérivé :
ecclésiastique.
–
céladon : du grec
κελαδων, keladôn, « bruyant, retentissant ». Nom d’un fleuve en grec, repris en latin par Ovide dans ses
Métamorphoses sous la forme
Celadon comme nom d’un guerrier, puis en français par Honoré d’Urfé dans son
Astrée (1607)[
2] comme nom de son héros masculin, un berger dont le costume était agrémenté de rubans verts. Depuis lors, en référence à cette couleur, le mot exprime une nuance de vert tendre, comme adjectif et substantif. Il s’emploie par métonymie comme nom d’une porcelaine de cette couleur.
-
Paraclet : nom donné au Saint-Esprit, troisième personne de la Trinité, signifiant « aide, protecteur, intercesseur, consolateur ». Emprunt au latin chrétien
paracletus,
paraclitus « défenseur, consolateur », appliqué au Saint-Esprit, grec παράκλητος adjectif « qu’on appelle à son secours », d’où substantif « avocat, défenseur ; intercesseur » et, dans la version grecque du Nouveau Testament, « le Saint-Esprit », de παρακαλέω « appeler auprès de soi ».
2.
nomenclature est emprunté au latin
nomenclatura (< *
nomen-calatura < nomen calo), “inventaire des termes employés pour désigner les objets d’une étude ou d’une collection”, lui-même issu de
nomenclator, littéralement “celui qui s’adresse à quelqu’un en l’appelant par son nom”, spécialement à propos de l’esclave qui accompagnait le candidat à une magistrature et qui devait lui désigner discrètement les citoyens qu’il avait intérêt à saluer.
La forme
nomenklatura est un emprunt au russe
номенклатура de même origine, au sens spécialisé de “liste des personnages (de l’ex-régime communiste) ayant droit à des prérogatives exceptionnelles”.
Le premier élément du mot,
nomen, « nom », est de la même famille que le grec
onoma, même sens. D’où la double série de dérivés :
nommer, renom, surnom, prénom, pronom, nomination, ignominie, etc. et
onomatopée, synonyme, antonyme, patronyme, anonyme, homonyme, etc.
Homonymes et faux frères
1. Aucun des deux verbes
caler n’a de rapport avec
intercaler : l’un est dérivé de
cale, probablement emprunté à l’allemand
Keil, « coin, cale ». Dérivés :
calage, recaler, décaler, décalage. L’autre est un terme maritime d’origine méditerranéenne qu’on peut faire remonter à la Grèce par la Provence mais pas au delà.
2.
éclat est sans rapport avec
éclair ; on ne sait pas très bien d’où il vient, il est peut-être tout simplement d’origine onomatopéique. Dérivés :
éclater, éclatant, éclatement.
3. En dépit de ressemblances à la fois formelles et sémantiques, le verbe anglais
to call, « appeler », dont le français a depuis peu (1960) hérité du dérivé
call girl, relève de la branche germanique d’une autre famille dont le patriarche indoeuropéen, la racine *GAL-, signifie également « appeler, crier ». La branche latine de cette famille a donné le latin
gallus, « coq ». Dérivés :
gallinacé, gélinotte.
C’est ainsi que, de façon plaisante mais parfaitement fortuite, une poule de luxe née outre-atlantique en est venue à être associée aux gauloises cocottes.[
3]
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
aclarar, calendario, clamar, claro, clase, concilio, declarar, feligrés, iglesia, intercalar, llamar, nomenclatura
port.
calendário, clamor, claro, classe, clássico, concelho, igreja
it.
chiamare, chiaro, chiesa, clamare, classe, concilio
angl.
calendar, claim, clamour, claret, clarify, clarinet, class, clear, conciliate, council, declare, intercalate, nomenclature
all.
Akklamation, Aufklärung, Hall, hell, holen, Kalender, klar, klären, Klasse, Konzil
rus.
гласность, голос, декларация, календарь, класс, кларнет, номенклатура
Notes :
1 On verra plus loin qu’un dérivé de
classis, le nom
classicum, signifie « sonnerie de trompette ».
2 Œuvre littéraire majeure du XVIIe s.,
l’Astrée est parfois appelé « le Roman des romans », d’abord par sa taille, qui fait qu’on le considère comme le premier roman-fleuve
de la
littérature française (5 parties, 40 histoires, 60 livres, 5 399 pages), mais aussi par le succès considérable qu’il a eu dans l’Europe tout entière (traduit en un grand nombre de langues et lu par toutes les cours européennes de l’époque).
3 Quant à nos ancêtres les Gaulois, ils sont bien évidemment cousins aussi bien des Galois que des Valaques ; leur étymon commun est le mot francique *Walha, « les Romans ». Mais il est peu probable qu’il y ait un quelconque rapport autre qu’homonymique – et emblématique – entre les deux
gallus latins, le « coq » et le « gaulois ».