Les grandes familles de mots




« Sergent de réserve dans la Garde »

La famille GARE


Patriarche indoeuropéen : *S(W)ER- ou *WER-, “attention, veiller, garder”[1]


Les branches

1. Les deux principaux ancêtres latins de cette famille sont les mots servus, « esclave, serviteur », à l’origine personne probablement chargée de garder le bétail, de s’en occuper, et servare, « préserver, garder ». En dérivent les noms serf et dessert, le verbe servir, et tous les autres mots en -serv- :

servage, servante, serveur, serveuse, serviable, service, serviette, servile, serviteur, servitude, asservir, conservateur, conservatoire, conserve, conserver, desservir, observer, préservatif, préserver, réservation, réserve, réserver, réservoir, resservir,...


2. Il y a un autre ancêtre latin qui a une descendance plus modeste, le verbe vereri, « respecter, éprouver une crainte religieuse » ; il a donné révérer, révérence, révérend, et il a un dérivé, verecundia, « respect, modestie », d’où est issu vergogne – uniquement employé dans la locution sans vergogne – et se dévergonder.


3. La branche grecque n’a pas été très productive : il faut néanmoins signaler le nom όραμα, horama, « ce que l’on voit, vue, spectacle », à l’origine du mot panorama, dont l’élément pan- signifie « tout » (cf. panacée, panoplie), d’où le dérivé récent diaporama. Probablement aussi théorie, issu de θεωρία, theôria, « action d’examiner ; spectacle, fête solennelle ; défilé des députations des villes grecques à Delphes ; contemplation de l’esprit (chez Platon), spéculation théorique » ; d’où théorème, de θεώρημα, theôrêma, « objet de contemplation ou d’étude ».


4. La branche germanique est en revanche plus productive que la grecque. Les principaux ancêtres en sont des étymons reconstitués comme les franciques *wardōn, « attendre, soigner » et *warōn, « conserver », ou comme le germanique *warnjan, « pourvoir, munir ». Une évolution phonétique normale a fait que la syllabe germanique /wa/ est devenue /ga/ dans les langues romanes. On notera donc dans la descendance française les mots en -gar(d)- qui en sont issus :

garde, garder, gardien, égard, mégarde, regard, regardant, regarder, ... auxquels il convient d’ajouter un récent emprunt à l’anglais : steward.
garage, gare, garer, garnement, garnir, garnison, garniture, égarement, égarer, dégarnir, ...

Les invités masqués

1. Dans -serv- (branche 1), ils ont remplacé le v par un g :
sergent, de servientem, participe présent à l’accusatif de servire, « être esclave ».
concierge, de cumcerge < consergius < conservius < conservus, « compagnon d’esclavage ».


2. Dans -gar- (branche 4), ils ont remplacé le a par un e (et donc g par gu) : guérir (ancien français : garir), et aussi guérite (anciennement : à la garite ! = sauve qui peut ! aux abris !), issus l’un et l’autre du francique *warjan. Dérivés : guérison, guérisseur, inguérissable.


3. Dans -war- (branche 4), il a depuis longtemps remplacé le w par un v : vareuse, de l’ancien scandinave *varask, « avertir d’un danger ».


4. De -ward il n’a gardé que la terminaison -rd : lord, emprunt à l’anglais (voir Curiosités).

Curiosités

1. serf et esclave : l’étymologie de servus (> fr. serf) n’est pas très claire, l’origine et l’évolution de l’esclavage antique restant peu connues. Nous nous sommes néanmoins rangés du côté de la tradition qui voit en servus « le gardien du troupeau ou du village » et apparente le mot à servare.
On sait en revanche que le français esclave vient du latin médiéval slavus, « slave ». Le passage du sens de slave à celui d’esclave s’est produit durant le haut moyen âge, période où un grand nombre de Slaves des Balkans furent réduits en esclavage par les Germains et les Byzantins.


2. garnement : réfection de guarnement (nom d’action de garnir), il s’est d’abord employé pour désigner « l’équipement d’un soldat », puis, par métonymie, « un homme armé », et enfin « un vaurien » (XIIe s.).


3. lord : contraction de loaf, « pain » et ward, « garder », il désignait donc à l’origine « celui qui garde le pain », c’est à dire « le maître de la maison »[2].
Le mot steward, moins transformé, désignait quant à lui « le gardien des animaux domestiques », et, en tout premier lieu, des porcs (cf. angl. sty, « porcherie »). Le mot a pris au fil des siècles le sens de « majordome, intendant, maître d’hôtel, garçon de service » à bord d’un paquebot puis d’un avion. C’est du même mot que vient le nom de famille écossais Stuart.
Homonymes et faux frères

1. Il y a serf et cerf !
cerf est issu du lat. cervus, « cornu ; cerf ». Ce mot appartient à une assez riche famille indoeuropéenne (racine *KER- ou *KOR-) désignant des objets durs et protubérants, dont les descendants français vont de cor à rhinocéros en passant par corne, cerveau, migraine et crâne.


2. Il y a guéri et aguerri !
Autrement dit, la guérite de la sentinelle est sans rapport avec la guerre (< francique *werra) faite par le soldat, même si guerre est lui aussi d’origine germanique, comme nombre de mots français en ga- ou gue-, par exemple son homonyme guère, qui vient du francique *waigaro, « beaucoup ».

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. conserje, conservar, guardar, guardés, guardia, observar, panorama, preservar, reverencia, sargento, servicio, servir, vergüenza

port. conservar, guardar, observar, panorama, reverência, serviço

it. conservatorio, guardare, guarire, osservatore, riserbare, sergente, serva, servire, servizio, vergogna

angl. award, aware, beware, conserve, dessert, garment, garrison, guard, lord, observe, panorama, preserve, rearward, regard, reserve, revere, reward, serve, steward, ward, warden, wardrobe, ware, wary

all. bewahren, gewahren, Konserve, Reserve, Sergeant, Serviette, wahren, währen, während, Wahrung, Währung, warnen, Warnung, Warte

rus. авангард, гвардия, консервы, охрана, презерватив

Notes :

1 Il y a au moins cinq racines indoeuropéennes homonymes dénommées *WER-, et les sources divergent quant au rattachement de certains mots à telle ou telle racine. (Voir la famille VERS.)

2 Son pendant féminin, lady, signifiait « celle qui pétrit le pain ».








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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