Les grandes familles de mots




« Pacifier un pays païen, quel travail ! »

La famille PACTE


Patriarches indoeuropéens : *PAK- ou *PAG-, « attacher, fixer, assurer »


Les branches

1. Les mots français paix, du latin pax, « paix », et pays, du latin pagus, « borne fixée, district rural », appartiennent à une même famille étymologique. En sont issus tous les mots français qui contiennent les radicaux -pai- ou -pay- :

paie, paiement, païen, paisible, paix, payer, pays, paysage, paysan, apaiser, dépayser, impayable, ...


2. Parmi les ancêtres latins de cette famille, on trouve donc le nom pax, génitif pacis, et aussi le verbe pangere, participe passé pactus, « enfoncer ». En sont issus tous les mots français qui contiennent le radical -pac- :

pacifier, pacifique, pacifisme, pacte, pactiser, compact, impact, ...


3. Parmi les ancêtres latins de cette famille, on trouve donc le nom pagus vu plus haut, et aussi le nom pagina, « vigne plantée, colonne d’écriture, page ». En sont issus tous les mots français qui contiennent le radical -pag- :

page (n.f.), paganisme, propager, propagande, ...

NB : aréopage est bien de la famille mais par le grec (branche 5).


4. Et parmi les ancêtres latins de cette nombreuse famille, on trouve enfin les noms palus, « poteau », et pala, « bêche », d’où vient notre pelle. En sont issus un certain nombre de mots français qui contiennent les radicaux -pal- ou -pel- :

pal, palissade, empaler, lapalissade, ...
pelle, pelletée, pelleteuse, ...



5. L’équivalent grec du lat. pangere est le verbe πηγνυναι, pêgnunai, « fixer, planter ; être froid, geler, coaguler ». En est dérivé l’adjectif πηκτος, pektos, « épaissi, coagulé ». En est issu le mot pectine. Sont également reconnus comme appartenant à la famille les mots aréopage, hapax et pêne.

aréopage : du latin areopagus, lui-même du grec Αρειος παγος, à Athènes, la “colline d’Arès”, dieu de la guerre. Un tribunal y jugeait les affaires de meurtre. (Attention à ne pas dire *aéropage !)
hapax : du grec απαξ, hapax, « une fois ».
pêne : via les anciennes formes pesne et pesle, ce mot est issu du latin pessulus, « verrou, pièce mobile d’une serrure ou d’un verrou », lui-même du grec πασσαλος, passalos (< *pagyalos), « clou, cheville, piquet ».
Les invités masqués

1. Dans -pal-, il a remplacé le p par un b : balise, baliser, du portugais baliza, dérivé mozarabe du bas latin palitium, du latin classique palus. (Le phonème /p/ n’existant pas en arabe, il est le plus souvent transcrit par un b dans les emprunts d’origine étrangère.)


2. De -pal- il n’a conservé que le p : pieu, du latin palus, est donc un doublet de pal.


3. Dans -pal-, il a remplacé le p par un v et introduit un i avant le l : travail. Du latin médiéval trepalium, ou tripalium, instrument de torture à trois pieux, et aussi “appareillage permettant d’assujettir les bœufs ou chevaux difficiles à ferrer”. C'est un probable calque du grec byzantin τριπάσσαλον, composé de τρι-, « trois » et πάσσαλος « pieu ».


4. Le cousin anglo-américain : travelling. Du français travailler (Voir ci-dessus). Autrement dit, pendant que les Français travaillent, les Britanniques voyagent et les Américains font leur cinéma !
Curiosités

1. lapalissade : de La Palisse ou La Palice (< fr. palis, “enclos de pieux”), toponyme assez répandu et nom d’un maréchal de France tué devant Pavie en 1525. Une légende en fait l’auteur d’évidences célèbres, les lapalissades. À sa mort une chanson fut composée qui disait, à sa manière : “Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie”.


2. page et propager : l’origine de ces deux mots est dans la culture de la vigne. Avant d’être une “colonne d’écriture” puis un “feuillet”, une page fut une “treille”. Quant à propago, c’était une “marcotte ou bouture de vigne”, d’où propagare, “provigner, propager par boutures”. Provigner est d’ailleurs lui-même, sous l’influence de vigne, une réfection de provaigner, dérivé de provain ou provin, lui-même issu du latin propaginem, accusatif de propago.[1]


3. payer : du latin pacare, probablement “pacifier, apaiser, faire la paix” avec quelqu’un, le satisfaire en lui donnant de l’argent.


4. paysan et païen sont respectivement issus de pagensis et paganus, tous deux dérivés de pagus, « circonscription territoriale rurale », d’où vient notre pays. Pour certains, le lien entre les deux mots viendrait du fait que les campagnes ont résisté plus longtemps que les villes à la christianisation. Cette tradition étymologique est contestée par d’autres[2] qui font remarquer qu’au Moyen Âge paganus a eu le sens de “civil”, opposé à “militaire”, sens effectivement conservé dans la locution espagnole (vestido) de paisano, “(habillé) en civil” ; les clercs étaient les “soldats de Dieu”, ses milites, alors que les civils étaient des pagani.


5. Le mot latin palus, « poteau », avait un synonyme, vallus, désignant, particulièrement au pluriel, les pieux juxtaposés pour former un vallum, « palissade, rempart de camp » (> angl. wall). L’intervallum (> fr. intervalle) était l’espace entre la tête affilée de deux pieux successifs.

Homonymes et faux frères

1. Il y a page et page !
page, n.f., est de la famille, comme nous l’avons vu (branche 3).
page, n.m., est d’origine incertaine. L’hypothèse la plus vraisemblable y voit un emprunt à l’italien paggio, issu du grec paidion, « jeune enfant ».


2. Beaucoup de mots en -pal- n’ont rien à voir avec cette famille :
palais, palace et Palatinat sont issus du latin palatium, le (mont) Palatin sur lequel l’empereur Auguste avait fait édifier sa demeure. Dérivé : paladin, palatin, palatinat.
– Le palais de la bouche est issu du latin palatum, via un latin populaire *palatium. Dérivé : palatal.
– Le palier est dérivé de l’ancien français paele, ancienne forme de poêle, l’ustensile de cuisine (cf. esp. paella), probablement par analogie de forme.
– Le verbe pallier est issu du latin palliare, « couvrir d’un manteau », de pallium, « manteau ». Dérivé : palliatif.
Etc.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. compacto, empatar, impacto, pacífico, pacto, pagano, pagar, página, pago, país, palenque, paliza, palo, pauta, paz, pectina, propagar, trabajar

port. compacto, empatar, pacifico, pacto, pagão, pagar, página, país, paz

it. compatto, pace, pacifico, paese, pagano, pagare, palo, patto, travaglio

angl. appease, compact, fang, impact, impale, impinge, pace, pacific, pact, pagan, page, pay, peace, peasant, pectin, propagate, to prune, travel

all. einfach, Fach, fähig, Fang, fangen, Fuge, fügen, gefangen, Gefängnis, Pfahl, pfählen

rus. поганка, пакт, пацифист, пектин, пейзаж, погань, пропаганда

Notes :

1 Il ne semble pas y avoir de quelconque rapport entre provin au pluriel et le nom de la ville de Provins, nom dont on ignore l’origine.

2 Dictionnaire Historique de la Langue Française (article "païen")








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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