« La pianiste et le planteur »
La famille PLAN
Patriarches indoeuropéens : *PELA- et *PLAT-[1], « plat, étendu »
Les branches
1. Les principaux membres français de cette grande famille sont l’adjectif
plat, du grec
πλατυς, platus, « large et plat », et le nom
place, du grec
πλατεια, plateia, « grande rue, place publique », tous deux passés au français via les formes latines populaires respectives *
plattus et *
plattea. Dans les sous-familles de
plat et
place, on trouve :
platane, plateau, plateforme, platine, platitude, aplatir, omoplate, ...
placement, placer, déplacer, emplacement, remplacer, replacer, ...
(Pour
placenta et
plage, probables dérivés lointains du nom grec
πλαξ, plax, « surface large et plate »), voir plus loin dans Homonymes et faux frères.)
2. Le principal ancêtre latin de cette famille est le nom
planta, « plant, plante, plante du pied », d’où viennent tous les mots français qui contiennent le radical -
plant- :
plant, plantation, plante, planter, planteur, implant, implanter, supplanter, transplantation, transplanter, ...
3. Un autre ancêtre latin de cette famille est le nom
palma, « paume de la main, palmier », d’où viennent tous les mots français qui contiennent le radical -
palm- :
palme, palmier, palmeraie, palmipède, palmarès, napalm, palmé, ...
NB : Il y a en français deux mots «
plan » homonymes :
– L’un, de loin le plus usuel, est un nom dérivé du latin
planta ; il relève donc, avec ses dérivés, de la branche 2 vue plus haut.
– L’autre est un adjectif dérivé du latin
planus, « plan, plat, uni, égal », qui est apparenté à
palma (branche 3). Il est surtout utilisé dans
surface plane, mais ses dérivés sont plus usuels.
Dérivent du nom :
planifier, planification, planning, ...
Dérivent de l’adjectif :
planer, planeur, aplanir, deltaplane, esplanade, ...
4. La branche germanique est représentée par quelques mots en
fla- (cf. angl.
flat) comme
flan et
flatter (= caresser avec le plat, la paume de la main). Dérivés :
flatterie, flatteur, flatteusement.
5. Il y a enfin quelques mots issus de la branche slave par l’intermédiaire du nom de la Pologne ; nous les avons groupés dans les Curiosités.
Les invités masqués
1. Doublet de
palme, il a remplacé le
l par un
u :
paume.
Les mots argotiques
paumer et
paumé, très anciens, sont de probables dérivés de
paume mais le lien sémantique n’est pas clair.
2. Dans le -
plan- adjectival, le cousin italien a remplacé le
l par un
i :
piano. Dérivé :
pianiste, pianissimo.
3. Le
fond est bel et bien
plat mais le
t de l’élément initial a disparu :
plafond. Dérivés :
plafonner, plafonnement, plafonnier.
4. Dans le -
plan- adjectival, il a introduit un
i entre
a et
n :
plaine. Féminin substantivé de l’adjectif
plain (< lat.
planus) qui ne subsiste au masculin que dans le nom
plain-chant et dans la locution
de plain-pied.
5. Dans -
plant-, il a remplacé le
t par un
qu :
planque. Le verbe dérivé
planquer est une variante de
planter qui a subi l’influence de
plaquer, lequel est issu du moyen néerlandais
placken, « enduire, rapiécer ».
6. Dans -
fla-, il a remplacé le
a par un
e :
flétrir, (« vouer à l’opprobre »), altération de l’ancien verbe
flatir (voir Homonymes ci-après.) Dérivé :
flétrissure.
Curiosités
1. Le nom de la
Pologne, un « plat pays », dérivé du polonais
polje, « plaine », est à l’origine de la branche slave de la famille. En sont issus quelques mots français :
polonaise, vêtement, danse et gâteau ;
polonium, nom d’un métal découvert par Marie Curie ;
polka, mot tchèque signifiant « polonaise », femme et danse ; et le vieux mot
poulaine (< pol.
poljane, « polonais ») dans la locution
souliers à la poulaine, chaussures de la fin du Moyen Âge à l’extrémité relevée en pointe ; par analogie de forme, ce mot
poulaine a désigné au XVIIe s. une construction triangulaire en saillie à l’avant d’un navire, où les matelots lavaient leur linge et où étaient situées les latrines.
2.
clan : mot emprunté à l’anglais
clan, « groupe social issu d’un même ancêtre en Écosse », d’où « tribu », puis aussi par extension « groupe, association ». Lui-même est emprunté à l’ancien gaélique
clann, « race, famille », qui ne serait autre que le représentant – avec une altération de
p en
c propre au gaélique – du latin
planta, « plant, rejeton ».
Homonymes et faux frères
1. Il y a
plain et
plein !
– L’adjectif
plain, comme nous l’avons vu ci-dessus, est de la famille mais il est rare. Son féminin, substantivé en
plaine, est en revanche très usuel.
– L’adjectif
plein vient du latin
plenus, « plein ». Dérivés :
plénitude, remplir, complet, complément, supplément, accomplir, compliment.
2. Il y a
flétrir et
flétrir !
–
flétrir (1) (en parlant de la fleur) n’est pas de la famille. C’est un dérivé de l’ancien adjectif
flaistre, flestre, « flasque », aboutissement oral du latin
flaccidus, même sens.
–
flétrir (2) (d’abord « marquer au fer rouge »), qui est quant à lui de la famille, représente une altération, d’après
flétrir (1), de
flastrir, lui-même de l’ancien verbe
flatir, « tomber ou jeter par terre », issu probablement, comme
flatter, d’un francique *
flatjan, « passer le plat de la main sur ».
3. Il est bien possible que les mots
placenta (< grec
πλακους, plakous, « gâteau plat »),
plage (< it.
piaggia), et
archipel (< grec
πελαγος, pelagos, « mer » pour le 2e élément) soient aussi de la famille. En revanche, en dépit de la platitude de leurs signifiés, ni
planche ni
plaque n’en sont. On a vu plus haut à propos de
planque l’origine du verbe
plaquer. Quant à
planche, il est d’origine grecque via le latin et apparenté à
palan et à
phalange.
4.
placebo n’est pas de la famille ; il est issu du v. lat.
placere, « plaire ». Autres dérivés :
placide, implacable.
5.
plantureux est l’altération, par croisement avec
heureux, de l’ancien français
plenteïveus,
plentiveux, dérivé de l’ancien adjectif
plentif, plenteïf qui dérive à son tour de l’ancien substantif
plenté. Ce dernier, également écrit
planté, exprime la notion d’ “abondance” et se rencontre encore dans de nombreux parlers septentrionaux (cf. angl.
plenty). Il remonte au latin de basse époque
plenitatem, accusatif de
plenitas, “saturation ; abondance, fertilité”, dérivé de
plenus, “plein”.
Plantureux qualifie ce qui est fertile, riche, très abondant. Il s’applique particulièrement aux rondeurs féminines.
6.
planète n’est pas non plus de la famille ; il est dérivé d’un v. grec
πλανασθαι, planasthai, « être en mouvement, errer ça et là, vagabonder ». Les planètes furent appelées « (astres) errants » par opposition aux immobiles étoiles.
7. Les
Flandres sont un autre « plat pays » mais leur
flan- initial est sans rapport avec la branche germanique de notre racine ; le mot signifie en fait « terres inondables ».
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
chato, llano, omóplato, palma, piano, plan, plano, plantar, plantear, plataforma, plátano, plato, plata, plaza
port.
chato, omoplata, palma, piano, plano, planta, plataforma, plátano
it.
omoplata, palese, palma, piano, pianta, pianura, piatto, platano, spianata
angl.
explain, palm, piano, place, plain, plan, plane, plant, plate, platinium
all.
Palme, Pflanze, pflanzen, plan, Plan, planen, planieren, platt, Platte, platten
rus.
пальма, план, плантация, платформа, поле, фельдмаршал
Notes :
1 On voit que pour exprimer la notion de
platitude, il existe au moins deux racines dont la deuxième est probablement une extension de la première. Nos sources divergent parfois sur la racine de rattachement de tel ou tel mot, mais elles sont à peu près d’accord sur l’ensemble. Aussi avons-nous réuni ici ces deux racines en une seule grande famille avec leurs descendants les plus communément admis.