« Cancans et quolibets »
La famille QUOI
Patriarche indoeuropéen : *KwO-, « qui, que, quoi, quel, etc. »
Les branches
1. Parmi les principaux ancêtres de cette famille, il faut d’abord citer l’adjectif
qualis, « de quelle sorte », et son dérivé le nom
qualitas, « qualité ». En sont issus tous les mots en
qual- ou
quel- :
qualité, qualitatif, qualitativement, qualifier, qualification, qualificatif, disqualifier, disqualification, inqualifiable,...
quel, lequel, quelque, quelqu’un, quelconque, quelquefois
2. Il faut citer ensuite la conjonction
quando, « quand », l’adjectif
quantus, « combien ... grand, aussi grand que », et son dérivé le nom
quantitas, « quantité ». En sont issus tous les mots en
quan- :
quand
quant à, quantité, quantifier, quantitatif, ...
Sont à situer également dans ce groupe les emprunts au latin
quanta et
quantum
3. Un troisième groupe est constitué par les descendants de l’adverbe
quot, « combien », qui se reconnaissent à leur radical
quot- ou
cot- :
quotient, quotidien, quote-part, et l’emprunt quota
cote, coter, cotation, décote, cotiser,cotisant, cotisation
4. Il reste un nombre important de petits mots grammaticaux comme
quam, « que, combien ! »,
quasi, « comme si »,
qui, « qui »,
quia, « parce que »,
quorum, « desquels », etc. dont certains sont encore employés tels quels en français et dont les autres se reconnaissent au radical
qu- initial :
que, qui, quoi, quiconque, pourquoi, quoique, quasiment
Emprunts au latin :
quasi, quia, quid, quidam, quiproquo, quolibet, quorum, statu quo, sine qua non
Les invités masqués
Ils sont très nombreux dans cette famille où abondent les mots grammaticaux dont on se sert sans cesse et qui, de ce fait, se transforment beaucoup.
1. Les descendants de quelques mots latins :
ubi, « à la place où, au moment où »,
unde, « d’où »,
usque, « jusqu’à »,
uter, « lequel des deux »,
neuter, « aucun des deux, ni l’un ni l’autre, neutre » etc., dont le
u- à l’initiale s’explique par la disparition de
kw- à l’initiale de formes antérieures *
kwubi, *
kwunde, etc. Citons :
– de
ubi :
où, ubiquité
– de
unde, via le latin populaire
de unde :
dont
– de
usque :
jusque(s)
– de
uter et
neuter :
neutre et ses dérivés :
neutralisation neutraliser, neutralité, neutron
2.
aucun est très probablement un emprunt au latin populaire *
alcunus ou *
alicunus, altération du latin classique
aliquem unum, « un certain ». (L’élément
al-, issu de
alius, « autre », appartient à une assez riche famille où l’on trouve, en autres,
alias, aussi, ailleurs, autre, alibi, allergie, aliéné, ultra, etc.)
3. La conjonction
car est issue du latin classique
quare, « par quelle, pourquoi, c’est pourquoi », soudure de
qua re, « par quelle chose, chose par laquelle ». (C’est du mot
re qu’est issu le français
rien.)
4.
chacun est issu du latin populaire *
casquunus, croisement de
quisque unus, « chaque un » et de *
cata unum, avec la préposition grecque
kata à valeur distributive, et
unus. Dérivé :
chaque.
5.
comme est issu du latin populaire *
quomo, lui-même issu du latin classique
quomodo, « de quelle manière, comment ». Dérivés :
comment, combien. (Pour l’élément -modo, voir famille
MEDITER.)
6.
cancan : du latin
quamquam, forme redoublée de
quam. (Voir Curiosités).
7.
encan : du latin médiéval
incantus, altération du latin classique
in quantum, « pour combien ».
8.
hidalgo, mot espagnol peut-être issu de
aliquod, forme neutre de l’adjectif
aliqui, « quelque ». (Voir Curiosités).
9.
posologie, issu du grec
ποσος, posos, « combien »[
1], est le seul mot français de la famille qui soit d’origine grecque.
10.
vasistas est le seul mot français de la famille qui soit d’origine germanique. (Voir Curiosités).
Curiosités
1.
cancan : d’abord
quanquan puis
quanquam, est l’emprunt francisé de la conjonction latine
quamquam. Celle-ci, issue de
quam par réduplication, s’employait souvent dans les disputes d’école avec son sens de “quoique, de toute manière, pourtant”. En passant au français le mot a pris par métonymie le sens de “harangue universitaire”. Avant la fin du XVIe s. son origine n’étant plus sentie, il a reçu, dans la locution
faire quanquam, la valeur expressive de “grand bruit fait autour d’une chose qui ne le mérite pas”. Au XVIIe s., quand le mot est entré dans l’usage courant, il a pris le sens de “médisance”. Dérivés :
cancaner, cancanier.
2.
hidalgo : emprunt à l’espagnol composé de
hijo, « fils » et de
algo, « quelque chose »,
algo étant issu du latin
aliquod, neutre de
aliqui (branche 4). À l’origine, ce
hijo de algo s’oppose à l’
infanzón : ce dernier est noble par sa parenté, il est
hijo de alguien, c’est-à-dire « fils de quelqu’un », alors que l’hidalgo est noble par ce qu’il a, par ses propres biens (propriétés, etc.) et n’est donc que « fils de quelque chose ».[
2]
3.
quolibet : emprunt au latin scolastique
quolibet (< lat.
quo libet, “ce qui plaît”), dans l’expression
disputationes de quolibet, “questions, débats sur n’importe quel sujet”. Ces questions étant souvent ridicules,
quolibet a fini par prendre le sens de “propos décousu” puis l’acception péjorative moderne de “propos railleur”.
4.
vasistas : (1760) a aussi été noté
wass-ist-dass, wasistas, et
vagistas. Transcrit l’allemand
Was ist das ?, “Qu’est-ce que c’est ?”, question posée à travers un guichet. C’est un emprunt oral qui suppose un contact entre un milieu germanophone et des francophones (peut-être des militaires) suivi de l’importation du mot par l’est et le nord-est de la France.
L’équivalent provençal de cette question est
Qu’es aco ?, utilisé en français familier et transcrit sous la forme
Quésaco ?, même sens.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
cancan et
cancan !
Le (French)-
cancan de la Belle Époque n’a rien à voir avec les
cancans des
cancaniers. Il viendrait de la démarche du canard, et serait donc une “danse du canard”, en quelque sorte.
2. Il y a
car et
car !
Le nom du véhicule vient de l’anglais
car, « voiture », lequel n’est que l’équivalent normanno-picard du français
char. C’est donc un autre retour à l’envoyeur. Dérivés :
autocar, car-ferry.
3. Il y a
cote et
côte !
côte est issu du latin
costa qui désigne à la fois le côté et l’os de la cage thoracique. Son origine n’est pas connue.
4. Il y a
où et
ou !
ou est issu du latin
aut, même sens, mot italique correspondant à une particule indoeuropéenne de forme *
u, *
au, largement représentée et souvent élargie par d’autres éléments.
5. Il y a
quasi et
quasi !
quasi, terme de boucherie désignant un morceau du haut de la cuisse du bœuf ou du veau, est relativement tardif (1739) et d’origine discutée. Outre l’hypothèse d’un rattachement à son homonyme latin, on a avancé une origine provençale, voire turque.
6. Parmi les mots à initiale
qu-, n’appartiennent à la famille QUOI que les petits mots grammaticaux et leurs dérivés (branche 4). Il faut donc en exclure les autres mots, comme
quatre (famille
QUATRE),
quinze, question, querelle, etc.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
algo, cantidad, cociente, como, cota, cotejar, cotidiano, cotizar, cual, cualidad, cuando, cuantía, cuanto, cuota, cuyo, donde, neutro, posología, que, quien, quórum, ubicar
port.
cota, cotidiano, neutro, qualidade, quantidade, quanto, quem, quota
it.
alcuno, che, chi, chiacchiero, ciascun, come, donde, dove, nequizia, neutro, onde, ove, qualche, quale, qualita, quando, quanto, quota, quotare
angl.
cue, either, how, neuter, posology, qualify, quality, quantity, quasi, quibble, quorum, quote, quotidian, quotient, ubiquity, what, when, where, whether, which, whither, who, whom, whose, why
all.
Neutralität, Qualität, Quantität, was, welcher, wenn, wer, wie, wo
rus.
квази-, квалификация, квота, кворум, который, кто, что
Notes :
1. Il est normal qu’au son *
Kw- à l’initiale en indoeuropéen correspondent les graphies
π-,
p- en grec,
qu- en latin et *
hw- en germanique.
2. Cette étymologie, traditionnelle, a été contestée par Américo Castro dans son
España en su historia (ch. II, Islam e Iberia). A. Castro pense que
algo est issu de l’arabe
al-khoms, “le cinquième (des terres conquises)”, converti en propriété de l’État selon une prescription coranique. Ceux qui cultivèrent ces terres et leurs descendants furent appelés
bani-l-akhmas, “fils des cinquièmes”, au singulier
ibn-al-khoms. De ce nom, seule la première partie fut traduite ce qui donna
fijo de al-khoms, qui serait devenu au fil des siècles
fidalgo puis
hidalgo, par contamination avec
algo.